Jean-Pierre Claris de Florian — Fables, Livre ILes Serins et le Chardonneret Un amateur d’oiseaux avait, en grand secret, Parmi les œufs d’une serine Glissé l’œuf d’un ...
Unamateur d’oiseaux avait, en grand secret, Parmiles œufs d’une serine Glissél’œuf d’un chardonneret. Lamère des serins, bien plus tendre que fine, Nes’en aperçut point, et couva comme sien Cetœuf qui dans peu vint à bien. Lepetit étranger, sorti de sa coquille, Desdeux époux trompés reçoit les tendres soins, Pareux traité ni plus ni moins Ques’il était de la famille. Couchédans le duvet, il dort le long du jour Acôté des serins dont il se croit le frère, Reçoitla béquée à son tour, Etrepose la nuit sous l’aile de la mère. Chaqueoisillon grandit, et, devenant oiseau, D’unbrillant plumage s’habille ; Lechardonneret seul ne devient point jonquille, Etne se croit pas moins des serins le plus beau. Sesfrères pensent tout de même : Douceerreur qui toujours fait voir l’objet qu’on aime Ressemblantà nous trait pour trait ! Jalouxde son bonheur, un vieux chardonneret Vientlui dire : il est temps enfin de vous connaître ; Ceuxpour qui vous avez de si doux sentiments Nesont point du tout vos parents. C’estd’un chardonneret que le sort vous fit naître. Vousne fûtes jamais serin : regardez-vous, Vousavez le corps fauve et la tête écarlate, Lebec... oui, dit l’oiseau, j’ai ce qu’il vous plaira ; Maisje n’ai point une âme ingrate, Etmon cœur toujours chérira Ceuxqui soignèrent mon enfance. Simon plumage au leur ne ressemble pas bien, J’ensuis fâché ; mais leur cœur et le mien Ontune grande ressemblance. Vousprétendez prouver que je ne leur suis rien, Leurssoins me prouvent le contraire : Rienn’est vrai comme ce qu’on sent. Pourun oiseau reconnaissant Unbienfaiteur est plus qu’un père.