L’État actuel du problème de l’Atlantide
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Revue Générale des Sciences, t. 27, 1916Lucas Fernandez NavarroL’État actuel du problème de l’AtlantideL’État actuel du problème de l’AtlantideIl y a plusieurs années, d’abord à l’occasion de mes études géologiques auxCanaries, puis à la suite d’un voyage dans le Maroc occidental, j’ai dû m’occuperde ce que la Géologie peut nous enseigner sur le mystérieux continent qui gît sousles eaux de la mer Ténébreuse. Depuis lors, j’ai parcouru tout ce qui a été écrit surce sujet dans les temps modernes, j’ai compulsé les principaux textes anciens, et jesuis arrivé à la conclusion que le problème, s’il n’est pas résolu, peut êtreaujourd’hui formulé par la Géologie en termes qui en permettent la solutionprochaine.Sommaire1 I2 II3 III4 IV5 V6 VI7 NotesIJe commencerai par retracer l’historique succinct de la question. Chez différentsauteurs de l’Antiquité, on trouve des allusions plus ou moins voilées à l’Atlantide ;mais, en général, ou elles méritent peu de foi à cause de leur caractère vague, ouelles constituent des rappels de citations antérieures. Quelques-unes, toutefois,méritent un certain intérêt, comme celle de Marcel, écrivain grec du 1er siècle avantJ. C, qui, parlant des « sept îles » (Canaries), dit que ses habitants conservent lesouvenir d’une autre île plus grande, l’Atlantide, dont le domaine s’étendait bien audelà des autres terres atlantiques. D’après Théopompe, contemporain de Platon,dix millions d’hommes, habitant un immense continent ...

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Revue Générale des Sciences, t. 27, 1916Lucas Fernandez NavarroL’État actuel du problème de l’AtlantideL’État actuel du problème de l’AtlantideIl y a plusieurs années, d’abord à l’occasion de mes études géologiques auxCanaries, puis à la suite d’un voyage dans le Maroc occidental, j’ai dû m’occuperde ce que la Géologie peut nous enseigner sur le mystérieux continent qui gît sousles eaux de la mer Ténébreuse. Depuis lors, j’ai parcouru tout ce qui a été écrit surce sujet dans les temps modernes, j’ai compulsé les principaux textes anciens, et jesuis arrivé à la conclusion que le problème, s’il n’est pas résolu, peut êtreaujourd’hui formulé par la Géologie en termes qui en permettent la solutionprochaine.Sommaire21  III43  IIIIV65  VVI7 NotesIJe commencerai par retracer l’historique succinct de la question. Chez différentsauteurs de l’Antiquité, on trouve des allusions plus ou moins voilées à l’Atlantide ;mais, en général, ou elles méritent peu de foi à cause de leur caractère vague, ouelles constituent des rappels de citations antérieures. Quelques-unes, toutefois,méritent un certain intérêt, comme celle de Marcel, écrivain grec du 1er siècle avantJ. C, qui, parlant des « sept îles » (Canaries), dit que ses habitants conservent lesouvenir d’une autre île plus grande, l’Atlantide, dont le domaine s’étendait bien audelà des autres terres atlantiques. D’après Théopompe, contemporain de Platon,dix millions d’hommes, habitant un immense continent situé « bien au delà del’Atlantique », vinrent en Europe et s’étendirent sur les contrées qu’occupaient lesraces celtiques. Il paraît, enfin, qu’il existe aussi des légendes haïtiennes etmexicaines qui se rapportent à un cataclysme assimilable à l’affaissement del’Atlantide sous les eaux de l’Océan.Mais la véritable origine de la légende atlantique réside dans les deux fameuxdialogues de Platon. En voici les passages qui nous intéressent.Dans l’un d’eux, un vieux prêtre de Sais s’adresse à Solon en ces termes : « VotreRépublique (grecque) résista aux efforts d’une grande puissance qui, sortie de lamer Atlantique, avait envahi injustement toute l’Europe et l’Asie, car alors cette merétait guéable.« Sur ses bords était une île, en face du détroit que vous appelez les Colonnesd’Hercule.« Cette île était plus étendue que la Libye et l’Asie réunies.« De là, les voyageurs pouvaient passer à d’autres îles, desquelles on pouvait serendre dans tout le continent situé à l’opposite et sur les bords de la merproprement appelée Pontos.« Dans cette île, il y avait des rois dont le pouvoir était très grand et s’étendait surcette île, et beaucoup d’autres, et des parties de continents. Ces rois régnaient enoutre sur tous les pays du côté de la Libye jusqu’en Egypte et du côté de l’Europejusqu’à la Tyrrhénie...
« Mais, dans les derniers temps, il survint des tremblements de terre et desinondations, et dans l’espace d’un jour et d’une nuit fatale, l’île Atlantide disparutsous la mer. » (Timée ou De la Nature).Dans l’autre dialogue, on dit : «... Il faut nous rappeler avant tout que 9.000 ans ontpassé depuis le temps qu’une guerre s’est élevée entre ceux qui demeuraient endeçà des Colonnes d’Hercule et ceux qui vivaient au delà.« On dit que notre République (la Grèce) avait le commandement sur les premierset qu’elle dirigea toute la guerre.« Les autres étaient gouvernés par le roi de l’île Atlantide, dont nous avons déjà ditqu’elle était plus étendue que la Libye et que l’Asie et qui est aujourd’hui un limonimpraticable produit par les tremblements de terre ». (Critias ou De l’Atlantide).Sur une base aussi frêle que les dialogues précédents, les interprétations ont étéfantastiques et variées. A l’un des extrêmes de la série, Humboldt considère cerécit comme tout à fait mythique, attribuant son invention à la tendance des auteursgrecs à exalter leur patrie, qu’ils présentent comme le sauveur du monde orientaldans les âges les plus reculés. A l’extrême opposé de la crédulité, l’ArgentinLlerena ne se borne pas à croire à l’Atlantide passée, mais il ne décrit rien moinsque celle qui surgira plus tard de l’Atlantique.Quoique le texte de Platon, dans son dialogue de Timée, soit assez concluant surl’emplacement du pays des Atlantes, il n’a pas manqué d’auteurs qui l’onttransporté vers des limites beaucoup plus lointaines. Ainsi Rudbeck le situe enSuède et fixe même la position de sa capitale, qui ne serait autre que l’Upsalactuel. Bailly le considère encore plus septentrional, puisqu’il suppose qu’ilcomprend les terres actuelles du Groenland, de l’Islande, du Spitzberg et de laNouvelle-Zemble, réunies par un relief sous-marin marqué. Pour notre historien desIndes, Oviedo, l’Atlantide et l’Amérique sont une même chose.Bory de Saint-Vincent est le premier qui ait traité la question d’une manièrescientifique [1]. Se fondant sur ses études de Géographie et de Sciences naturelleset sur des raisons alors très judicieuses, bien que les progrès scientifiques leuraient fait perdre de valeur, il admet la réalité du récit de Platon. Pour lui, lesCanaries sont les antiques Hespérides, le Teyde n’est pas autre chose que lefameux Mont Atlas, et les Guanches, habitants primitifs de ces îles, descendentdirectement des Atlantes. Tous les groupes d’archipels de l’Atlantique nord :Açores, Madère, Salvajes, Canaries et Cap-Vert-, ont formé autrefois, pour Saint-Vincent, un pays fertile compris entre les 12" et 41e degrés de latitude N. Unecurieuse carte conjecturale de l’Atlantide, dont l’auteur n’ose pas fixer les limitesoccidentales, traduit graphiquement ses conclusions.On peut dire que les opinions de Saint-Vincent firent époque, et il faut arriver à destemps bien postérieurs pour voir se renouveler les points de vue d’où le problèmeavait été scruté. Entre-temps, les études sur l’Atlantide n’ont pas manqué ; mais cesont exclusivement des interprétations ethnographiques de légendes, travaux depure fantaisie presque toujours, qui n’ont fait qu’embrouiller la question.Mentionnons-en deux comme exemples.L’Américain Donnelly [2] croit en une civilisation bien antérieure aux Atlantes, d’oùles peuples connus les plus anciens auraient reçu tous leurs enseignements. Pourprouver l’existence de l’Atlantide, il recherche le témoignage de la mer, de la flore etde la faune, croyait rencontrer le récit de la catastrophe qui détruisit cette terre dansles légendes du Déluge communes à l’Ancien et au Nouveau Monde. Il décrit,comme s’il venait de le parcourir, le continent atlantique — avec sa carte —énumère les colonies de cet empire du Mexique à l’Egypte et de l’Irlande à l’Afriqueéquatoriale, et conclut en demandant que les escadres oisives soient employées àessayer de retirer des fonds océaniques les merveilles qui sans doute furentensevelies avec la fameuse île.Le Français Berlioux [3] parle avec une assurance non moins admirable de la nationatlante. Pour lui, il n’a pas existé un empire océanique proprement dit, mass leterritoire de l’Atlantide s’enracinait dans l’Atlas africain, et la nation qui l’habitait avécu avec les peuples de l’Attique, de la Tyrrhénie, de l’Egypte et de la Phéniciejusqu’aux siècles proches de notre ère. De l’Atlas ce peuple combatif — qui à la finfut détruit par la guerre – s’irradia non seulement dans tout le monde alors connu,mais encore en Amérique, où le conduisait une voie maritime, celle des alises, qui,passant par les Iles Fortunées, se terminait sur les côtes mexicaines.Quelques années après, le géographe italien Borsari [4] sapait par une critique
raisonnée les interprétations fantaisistes et revenait à l’étude scientifique du sujet.Il recueille les opinions des géologues espagnols sur l’ancienne extension de notrepéninsule, ainsi que l’opinion de Verneau sur les Canaries, d’après lequel ces îles,loin de représenter des terres affaissées, sont le résultat du soulèvement de stratessubmergées sous la mer. Il considère l’analogie des faunes et des flores tertiairesde l’Amérique et de l’Europe et profite des conséquences tirées par W. Kobelt del’étude des faunes des îles atlantiques. De l’ensemble, il déduit l’existenceindubitable d’une Atlantide mésozoïque et d’une communication terrestre entrel’Europe et l’Amérique pendant l’ère tertiaire ; mais, jusqu’à présent, il estimpossible de prouver que la terre atlantique discutée a existé au Quaternaire etencore moins à l’époque préhistorique et historique.La brève étude de Borsari résume magistralement ce qu’on pouvait dire alors surce sujet, et c’est une étape de laquelle il convient de partir pour apprécier lestravaux postérieurs qui ont remis sur le tapis le problème de l’Atlantide [5].IIPassant à l’étude de l’état actuel de la question, nous commencerons par examinerles enseignements de la Zoologie et de la Botanique.Il ne paraît pas douteux que les continents aujourd’hui séparés par l’Atlantique furentréunis aux âges les plus anciens de l’histoire de notre planète, et que c’estseulement à une époque récente, géologiquement parlant, qu’ont dû s’effondrersous les eaux les ponts qui se tendaient entre l’Ancien et le Nouveau Monde.Robett F. Scharff, étudiant comparativement les faunes terrestres européennes etaméricaines et leurs relations avec celles des périodes géologiques antérieures, aconclu que la connexion entre l’Amérique du Sud et l’Afrique est anté-tertiaire,tandis que la communication terrestre entre l’Europe et l’Amérique du Nord estindubitablement tertiaire. Cette communication devait exister aussi bien entre lesAntilles et la région méditerranéenne qu’entre le Canada et l’Europe baltique. Ilpense que certaines espèces autochtones du Groenland, comme l' Helix hortentis,se sont répandues alors en Europe d’une part, en Amérique de l’autre.Presque tous les zoologistes qui se sont occupés plus spécialement de ladistribution géographique des espèces et de leurs corrélations génétiques avec lesfaunes disparues ont abondé, depuis, dans les idées de Scharff. Mais personnen’est arrivé à des conclusions aussi précises que Germain, dont le dernier travail[6], résumé et application de toutes les connaissances zoogéographiques auproblème qui nous occupe, mérite d’être analysé avec quelques détails.Examinant les faunes des îles atlantiques en général, il observe dès l’abord deuxgroupes parfaitement distincts : d’une part, les îles du golfe de Guinée, de caractèreafricain équatorial, et de l’autre les archipels de l’Atlantique nord, sans connexionfaunique quelconque avec l’Afrique tropicale. Le caractère de ces derniers leur estdonné par la faune terrestre, car la faune potamique ou d’eau douce est très rare etd’introduction récente. La faune terrestre, au contraire, est presque totalementautochtone, d’aspect continental et sans différences notables d’un archipel à l’autre,quoique les espèces exclusives et donc caractéristiques ne manquent pas, surtoutaux Canaries. Les affinités de cette faune avec la faune circum-méditerranéennesonttrès grandes ; elle en a aussi, quoique à un moindre degré,avec les faunes des Antilles et de l’Amérique centrale.Germain confirme ces relations en étudiant successivement chacun des groupesd’animaux terrestres. Nous ne le suivrons pas en détail, et nous nous bornerons àciter quelques exemples. Les Lépidoptères de ces îles comptent 70 % d’espècesméditerrannesnes et 20 % d’espèces américaines ; il reste à peine 10 %d’espèces propres. Le genre Nonalhiera, hémiptère particulier aux Canaries, a sesaffinités d’une part en Algérie (Marmothania), d’autre part au Guatemala(Sisammes). Chez les Coléoptères des îles atlantiques prédomintnt les espècssnord-africaines et circum-méditerranéennes, mêlées à des types américains asseznombreux. Mais on observe l’absence des genres Carabus et Lampyris, siabondants en Europe, ce que l’auteur prétend expliquer par le fait que ces genressont d’autant moins fréquents qu’ils sont plus à l’Ouest dans la région considérée :ainsi, sur les 153 espèces du premier, 17 seulement habitent l’Espagne, 8 1ePortugal et 2 le Maroc [7]. On peut dire quelque chose d’analogue des autresgroupes d’Insectes, des Vers de terre, des Arachnides, des Isopodes et desMollusques terrestres, spécialement du genre Helix.
Les considérations d’ordre paléontologique font apparaître la faune malacologiquede ces archipels comme une survivance de la faune tertiaire de l’Europe centro-occidentale. Dans cet ordre d’idées, Germain signale comme un fait notable lasurvivance aux Canaries et aux Açores d’une fougère, l' Adiantum reniforme,propre au Pliocène du Portugal. Des connexions plus modernes sont décelées parl’existence de la Rumina decollata, si caractéristique de la faune méditerranéenne,dans les dépôts quaternaires des Iles du Cap-Vert. Et enfin il faut considérercomme très significative l’existence, tout le long de la côte atlantique marocaine, dedépôts quaternaires à Helix Gruveli, mollusque très analogue aux espèces vivantesdes Canaries. Récemment notre malheureux géologue Font y Sagué a trouvé àFuerteventura quelques dépôts de ce genre, qui peuvent faire supposer uneconnexion terrestre très moderne entre l’Afrique et les Canaries.Quelques données zoogéographiques paraissent confirmer, dans l’opinion deGermain, la déduction précédente. Telle est principalement la répartition desOleacinidœ (Mollusques Pulmonés), qui ne vivent plus que dans l’Amériquecentrale, les Antilles, les archipels atlantiques et le bassin méditerranéen ; enAmérique, comme dans la faune miocène de l’Europe méridionale, ils sontreprésentés par des formes de grande taille, tandis que, dans les archipels et larégion méditerranéenne, ils sont de dimensions modestes. Les Polixenus(Myriapodes nocturnes) n’habitent plus que l’Europe méridionale, le nord del’Afrique, les Antilles, le Guatemala et une partie de l’Amérique du Sud. Des cinqespèces connues du genre Brachysteles (Hémiptère), deux sont européennes,deux se trouvent à Madère et une aux Antilles. Des faits très analogues s’observentdans la distribution des Clausilidœ (Mollusques terrestres), des Gekonidœ(Reptiles), etc., ainsi que de quelques Fougères et de l’ensemble de la flore.Gitons enfin, avec Germain, et comme très significatives, certaines analogies entreles faunes carcinologiques littorales américaine et africaine, l’existence de 15Mollusques marins communs aux Antilles et au Sénégal (sans qu’on puisseinvoquer le transport des embryons, qui n’arriveraient pas vivants après un trajetaussi étendu), et surtout des Madréporaires de San Thomé étudiés par Gravier etconnus seulement, en dehors de cette localité, en Floride et aux Bermudes.Louis Germain, dans son grand travail, a épuisé tout ce que peuvent fournir lesdocuments biologiques aujourd’hui connus, particulièrement ceux qui se rapportentau règne animal. De leur analyse, il se croit autorisé à conclure que les archipelsatlantiques furent autrefois soudés en un continent qui s’unissait au Portugal et auMaroc et qui était limité au Sud par une côte orientée du SE au NW entre le Cap-Vert et le Venezuela. La portion méridionale de cette terre prolongeait la bandedésertique africaine, tandis que par le Nord se continuait la zone montagneuse sud-européenne.L’effondrement de l’Atlantide a été indubitablement postérieur à celui du continentafricano-brésilien, qui occupait l’emplacement actuel de l’Atlantique méridional.Voici quel a dû être le processus du phénomène :Formation primaire de la fosse américaine, jalonnée à l’Ouest par la Floride, lesBahamas et les Antilles ; il y avait déjà alors une communication maritime entre lesAntilles et la côte occidentale d’Afrique, au sud du Cap-Vert.Plus tard, le continent se disloqua, laissant subsister une immense plate-formedivisée en fragments, îles étendues dans lesquelles la faune et la flore évoluèrentavec une certaine indépendance.Puis, à une époque plus récente, mais impossible à préciser, la masse continentalese disloqua complètement pour donner naissance aux groupes d’îles actuels.Et Germain conclut par ces paroles : « La séparation de cet archipel (du continent),que Louis Gentil considérait comme pliocène supérieure ou quaternaire, estcertainement plus récente, ainsi que le prouve l’existence simultanée des dépôts àHelix Gruveli en Maurétanie et aux Iles Canaries. Elle doit se placer au voisinagedu Néolithique. » C’est à cette époque que remonterait la tradition de l’Atlantide.Laissons de côté pour le moment les considérations d’ordre géologique alléguéespar Germain, qui ne sont pas originales et dont nous tiendrons compte plus loin, etfaisons ressortir la conclusion de l’auteur que la convulsion finale du continentatlantique a dû se produire à la fin de la période préhistorique, tout au moins à uneépoque assez récente pour que la relation orale d’un si grand événement ait puparvenir aux premières périodes de l’Histoire.Malgré la documentation sincère et copieuse du travail de Germain, les raisons
qu’il invoque sont loin d’avoir la force qu’il leur attribue. Quelques-unes même sontcontraires à l’objet de sa démonstration : ainsi l’existence de la faunule deCoralliaires de San Thomé, qui, pour être probante, devrait comporter quelquereprésentant intermédiaire, surtout dans l’Archipel du Cap-Vert, car il serait tout àfait extraordinaire qu’elle ne se fut conservée qu’aux points extrêmes de son aire dedispersion. En effet, les larves de ces animaux ne vivant pas plus de 2 ou 3 jours,leur transport n’a pu être effectué par les courants directement d’un point à unautre ; si donc la dissémination s’est effectuée par étapes le long d’une côte — lacôte méridionale de l’Atlantide — comment se fait-il qu'aucun représentant de lafaunule ne se soit conservé sur les restes de cette côte, en particulier au Cap-Vertet aux Canaries ? J’avoue sincèrement qu’il y a là un phénomène zoogéographiqueinexplicable avec les données actuelles [8].Quant à la valeur des particularités de distribution de certains groupes actuelsisolés, comme les Oléacinidés ou les Clausilidés, par exemple, si elles nouspermettent bien d’affirmer une connexion ancienne entre le Vieux et le NouveauMonde, elles ne nous autorisent aucunement à fixer une date post-tertiaire àl’interruption de cette connexion. Qu’on n’oublie pas que la valeur stratigraphiquedes Mollusques terrestres est très discutable.Le fameux Adiantum reniforme des Canaries n’est que pliocène, c’est-à-diretoujours tertiaire, au Portugal. Rien ne s’oppose à ce que, de même qu’il a persistéjusqu’à aujourd’hui dans l’archipel, il ait pu s’y maintenir depuis des époquesantérieures, tout en disparaissant sur le continent, pour des raisons climatologiquesou d’un autre ordre à un moment donné, qui n’est pas forcément celui de laséparation des deux terres. On pourrait en dire autant de l’existence de la Ruminadecollate, dans les gisements quaternaires des îles du Cap-Vert.La rencontre à Fuertevenaura et sur la côte mauritanienne de dépôts quaternairesidentiques à Helix Graveli constitue un fait plus décisif, quoiqu’il n’indique enaucune façon la connexion des Canaries avec le continent jusqu’au Néolithique,mais seulement jusqu’au Quaternaire. La réalité du phénomène mériterait d’êtreconfirmée par une exploration prolongée, qui permettrait d’étudier en détail lacomposition et la situation de ces dépôts et de les comparer avec ceux de la côtefrontière. Le séjour du P. Font aux Canaries orientales n’a été que passager, et leproblème est assez important et difficile à résoudre pour mériter une plus grandeattention.IIITandis que le travail précédent de Germain est celui qui peut servir de guide pourles données zoologiques, au point de vue botanique ce sont les études de Proust etPitard sur la flore des Canaries qui ont apporté le plus de documents à la solutionde notre problème [9]. Lemoine, dans une note publiée sur ce dernier travail, arriveaux mêmes conclusions [10]. Voyons donc brièvement quelles sont ces conclusionset comment raisonnent leurs partisans :La flore canarienne est constituée par 1.352 espèces connues, appartenant à 512genres. Parmi ces plantes, 468 (soit environ un tiers) sont endémiques, 534 (ou àpeu près les deux cinquièmes) sont méditerranéennes, et le reste, soit 350espèces, ubiquistes. Ajoutons que quelques-unes des plantes qui viventactuellement aux Canaries disparurent d’Europe à l’époque tertiaire.L’endémisme extraordinaire de cette flore, représenté par un tiers des espèces etun douzième des genres, lui donne un caractère d’antiquité notable ; les plantesendémiques de Madère ne comptent que pour un septième, celles des Açores pourun dixième et celles du Cap-Vert pour un vingt-cinquième. Dans l’hypothèse d’uneterre commune dont tous ces archipels auraient formé une partie, la région la plusancienne de ce continent devrait correspondre aux Canaries, dont l’insularité estprécisément la plus moderne, comme paraît l’indiquer la Zoologie et le démontreindubitablement la Géologie. D’autre part, la richesse de la flore canarienne etsurtout la proportion élevée des espèces par rapport aux genres (2,6:1) luiconfèrent un caractère continental marqué.La conséquence que Pitard et Proust tirent de ces caractères est que, sans doute,il a existé... « un vaste continent qui, ayant subi depuis la fin des temps secondairestoutes les vicissitudes des terres déjà émergées, a pu se recouvrir depuis sonapparition de Phanérogames spéciaux et s’adjoindre dans son passage vers unclimat plus doux les types plus récents du Pliocène et du Pléistocène de l’Europe ».Je confesse ne pas saisir très bien ce raisonnement. Je ne sais pourquoi il faudrait
dater l’origine du continent disparu « de la fin des temps secondaires », lorsquel’union du Vieux au Nouveau-Monde remonte sans doute aux époquessédimentaires les plus anciennes. Je ne vois pas non plus de raison, puisque lesespèces disparues de l’Europe et conservées aux Canaries sont du Tertiaire, poursupposer qu’au Pléistocène encore les plantes européennes purent émigrer versles régions plus méridionales du continent atlantique.Laissant donc de côté ces déductions non fondées, d’après lesquelles laséparation des mondes atlantique et africano-européen se serait réalisée depuis lePléistocène, c’est-à-dire à l’époque au moins préhistorique, nous retiendronscomme caractéristiques non douteuses de la flore canarienne son antiquité et sonaspect continental. Il nous semble que les considérations d’ordre botanique,comme celles d’ordre zoologique, ne permettent, pas de fixer une date au moinsapproximative ni pour la disparition du continent atlantique, ni pour la séparationdes archipels qui pourraient en représenter les restes.Dans une seconde partie, nous examinerons le problème de l'Atlantide aux pointsde vue bathymétrique et géologique [11].VIAvant de passer à l’étude du problème du point de vue purement géologique, oupour mien dire tectonique, il nous faut dire quelques mots de la bathymétrie del’Atlantique et du peu que les plus récentes recherches nous enseignent sur lanature de ses fonds.Dans l’ensemble, le fond de cet océan (fig. 1) se présente à nous comme unplateau allongé dans le sens de son axe, encadré de deux sillons marginaux, dontl’occidental est plus profond que celui qui borde les côtes européennes. Ainsi, unesection transversale entre la Floride et la côte méridionale de l’Espagne, enpassant par les Açores, nous conduit rapidement, à partir des côtes américaines, àdes profondeurs supérieures à 4.000 m., dans lesquelles s’élèvent, comme unaccident local, les Bermudes et desquelles on monte par échelons jusqu’à la plate-forme où culminent, au-dessus de l’eau, les Açores. A l'E de ces dernières, unepente brusque fait de nouveau descendre le fond à plus de 4.000 mètres ; il serelève peu après pour émerger des flots à l’île de Madère. De là jusqu’à nos côtes,la dépression est moins profonde et plus étroite.Si nous suivons le tracé de la courbe de niveau de 4.000 m. de profondeur, et sinous supposons que le niveau de la mer soit abaissée jusque là, la forme desnouvelles terres émergées sera très intéressante. Toute l’Europe formera un massifunique, les mess intérieures : Baltique, mer du Nord, mer d’Irlande, ayant disparu, etle littoral courra presque sans sinuosités du N au S, en passant très à proximité descôtes ibériques actuelles. En passant vers le détroit de Gibraltar, maintenant effacé,les terres feront vers l’W un saillant pour comprendre les îles Madère et diversbancs sous-marins (Joséphine, Gettysburg, etc.).Un golfe allongé du SW au NEpénètrera jusqu’aux terres marocaines, limité au S par un autre saillant plus grandqui soudera les Canaries et les îles du Cap-Vert au continent africain. Du côté ducontinent américain, les côtes n’avanceront pas beaucoup vers l’E, excepté dans lamer des Antilles et le golfe du Mexique, qui émergeront en totalité (fig. 1).La côte du Labrador s’unira à l’Europe par l’intermédiaire du Groenland, del’Islande et des îles Feroe. De cette terre circumpolaire s’avancera vers le S une
péninsule qui se prolongera suivant l’axe de l’Atlantique, jusqu’à environ 60° delatitude sud, en comprenant les îles Açores, Saint-Paul, de l’Ascension, Tristand’Acunha, Gough et Bouvet. La largeur maximum de cette langue de terreprolongée, dont la distance de la surface n’est en aucun point supérieure à l.800mètres, serait de 20° environ au niveau des Açores, pour se rétrécir beaucoup plusau Sud et s’élargir de nouveau depuis le parallèle de Tristan d’Acunha. Notons quela petite île de Sainte-Hélène n’est pas comprise dans ce plateau sous-marin, ni nese réunit au continent africain ; c’est un pic aigu isolé et comme perdu dansl’immense solitude de l’Atlantique méridional.Cette topographie, dont la figure 1 nous donne une idée claire, fait naître aussitôtdans la pensée l’image d’un immense géosynclinal, d’un anticlinal flanqué de deuxsynclinaux, où, comme dans l’antique Tethys de Suess s’est élaboré le mondealpin, se préparerait aujourd’hui l’éclosion d’un continent futur étendu qui changeraitd’une façon radicale la loi de distribution des terres et des mers. Je me hâte de direque cette hypothèse audacieuse, qui subvertirait beaucoup d’idées considéréesaujourd’hui comme fondamentales en Géographie physique, ne s’appuie suraucune base ferme, car nous ne savons rien de la structure du sol sous-marin etpeu de chose de sa composition superficielle.Cet aspect de grandes inégalités qu’accuse l’étude d’ensemble du fond sous-marinne s’atténue pas si l’on examine en détail une région limitée. On peut le vérifier, parexemple, sur la dernière carte bathymétrique des Açores, due à Thoulet (fig. 2).L’ensemble de l’archipel s’élève sur une plate-forme allongée dans le sens E-W,d’environ 2.000 m. de profondeur, mais à l’intérieur de laquelle on a enregistré degrandes dépressions qui fréquemment sont de véritables fosses. Sur cette plate-forme, la courbe de niveau de 1.500 m. dessine trois autres plates-formes pluspetites, isolées, sur chacune desquelles siège un groupe d’îles. Le plus importantde ces trois piédestaux est le piédestal central, qui poree les îles San Miguel,Terceira, Graciosa, San Jorge, Pico, Fayal et les bancs Açor et Princesse Alice ;dans celui-ci, il y a des fosses aussi profondes que celle de l’Hirondelle, compriseentre Terceira et San Miguel, qui offre des sondages de 3.500 mètres, et que cellecomprise entre San Jorge, Graciosa et Terceira, étroite dépression qui s’abaissejusqu’à 2.419 m. Le plateau occidental, sur lequel reposent les îles Corvo et Flores,est plus nivelé, et entre lui et le précédent s’élèvent deux autres plates-formesanalogues, mais qui ne supportent pas d’îles.La reconnaissance des Canaries et de leurs environs est non moins instructive àcet égard [12] (fig.3). La ligne de 2.000 brasses (environ3.600m.) passe au large del’archipel, quoique près de ses îles occidentales, et se dirige vers le N. E. enlongeant les îles Salvajes et le blanc de Dacia (31° lat. N., 14° long W), pour tournerau N W en face de l’embouchure du Sebou. Entre ce point et la ligne de fondsrelativement élevés que marquent le banc de Gettysburg (36°30' lat. N, 12° long.
W), le banc de Seine (33°45’lat. N., 14°30’ long. W) et la plate-forme sur laquelles’élève l’archipel de Madère, se trouve un ravin étroit, orienté du SW au NE, danslequel on a enregistré des coups de sonde de 4.400 mètres.Cette même direction est approximativement celle qui est marquée par la ligned’affleurements éruptifs Hierra-Gomera-Ténérife-Salvajes et sa parallèleFuerteventura-Lanzarote-Isletas-Banc de Concepcion (30° lat.N., 12°45 long. W).Enfin, la pose des câbles sous-marins a démontré le caractère abrupt et accidentédes bords des îles Ténérife, Grande Canarie et La Palma, ainsi que la grandeprofondeur des détroits intermédiaires ; entre Ténérife et La Palma, on a sondéjusqu’à 3.250 mètres, et dans le canal, beaucoup plus étroit, qui sépare Ténérife dela Grande Canarie, la sonde est descendue jusqu'à 3.300 mètres.La nature volcanique de tous les archipels atlantiques, leur orientation générale etjusqu’à la disposition des îles dans chacun d’eux, semblent nous parler de grandeslignes de fracture par où les matériaux internes ont été rejetés à l’extérieur. Cesfractures et les émissions volcaniques qui les ont traversées ne peuvent devoir leurorigine qu’à des mouvements tectoniques. Aussi, en constatant l’orientationuniforme du phénomène, concordant avec celle des lignes orographiquesdominantes, l’idée du géosynclinal nous paraît très séduisante.Nous savons peu de chose, pour ne pas dire presque rien, sur la nature des fondsocéaniques. Par suite de la difficulté de recueillir des échantillons, les explorateursse sont bornés jusqu’à présent à en déterminer la topographie, en négligeant leurnature. Les spécimens de roches sous-marines sont rares et de faiblesdimensions. Le problème, cependant, est d’intérêt primordial, et il ne paraît pasimpossible d’imaginer des mécanismes permettant d’arracher au fond marin desfragments qui en révèlent la constitution lithologique.Paul Lemoine, dans un travail récent, a attiré l’attention sur ce même point et amontré le parti qu’on pourrait tirer de la connaissance des roches sous-marines [13].En effet, les observations sporadiques ont démontré l’existence des matériauxsuivants : 1° dans le banc de Rockhall (6° à l’W des Hébrides), roches àhornblende ; 2° dans le banc Porcupine (en face du littoral de Mayo et Galway, enIrlande), gabbros ;3° basaltes au S du Porcupine et à l’W de l’extrémité méridionalede l’Irlande ; 4° syénites néphéliniques à 240kilomètrss au SW de l’Irlande. Or laligne N-S formée par ces pointements de roches éruptives passe très près dulittoral ibérique et vient les réunir à la grande masse de même origine de la Sierrade Monauchique, au sud du Portugal. Il semble donc très logique d’admettrel’existence d’une grande fracture qui expliquerait beaucoup de phénomènestectoniques de l’Europe occidentale, entre autres la forme des côtes atlantiques dela Péninsule ibérique, la présence de grands fonds à leur proximité et peut-êtrequelques-uns des mouvements qui, aux temps néogènes, ont affecté probablementle plateau qui forme le noyau du massif ibérique.Sans doute, il faut être très prudent dans l’interprétation de documents siclairsemés et ne pas chercher à tirer de conclusions prématurées qui pécheraientpar leur hardiesse. Du simple fait d’avoir dragué un petit fragment de lave à 900kilomètres au nord des Açores, un éminent géologue prétend déduire que cetteterre était émergée et couverte de laves aujourd’hui ensevelies à 3.000 mètres au-dessous de la surface de la mer, et il ajoute : « Comme la surface des roches aconservé ses aspérités et sa rugosité, les arêtes vives des courants de laves trèsrécents, il est nécessaire que la submersion ait suivi de très près l’émission deslaves et qu’elle ait été brusque. Sans cela, l’érosion marine et atmosphérique auraitnivelé les inégalités et aplani toute la surface. » Si nous nous en tenions à cesparoles, les pénéplaines qui sont émergées depuis les âges géologiques les plusanciens devraient être des plaines idéales, et les Alpes mêmes, exposées depuisle Tertiaire à l’érosion sub-aérienne, n’auraient pu conserver leur élévation et leursaspérités actuelles.VDans l’énumération des données qui doivent précéder nos conclusions sur leproblème de l’Atlantide, nous allons maintenant faire entrer en ligne de compte lesdocuments purement géologiques, qui, en définitive sont ceux qui permettentsurtout de résoudre la question.C’est un fait démontré avec une entière certitude par la Géologie queremplacement actuel de l’Atlantique était occupé aux époques antérieures par des
terres qui réunissaient l'Ancien au Nouveau Monde. Dans les âges les plus reculés,l'Afrique formait avec le Brésil une bande étendue de terres équatoriales, tandisqu’au Nord, entourant le pôle, une autre bande parallèle comprenait les terrescanadiennes, le Groenland, les pays scandinaves, la Finlande, et peut-être laSibérie européenne et asiatique. Entre ces deux masses continentales, uneMéditerranée, dont ce n’est pas le moment de retracer les vicissitudes historiques,a étendu le ruban de ses ondes jusqu’à une époque relativement moderne.La rupture de ces deux continents par disparition d’un segment central permit unelibre communication entre les eaux polaires des deux hémisphères et donna lieu àla formation de l’Atlantique. Mais celui-ci n’est pas né en une fois et par unprocessus rapide, comme les non-géologues se plaisent à le supposer. En ce quiconcerne l’Atlantique méridional, il semble que son ouverture définitive date de lafin de l’ère secondaire. L’Atlantique nord, le seul qui nous intéresse pour le moment,est sans doute plus moderne. Peut-être la fragmentation de ses terres a-t-ellecommencé déjà aux temps secondaires, mais jusqu’à l’ère tertiaire nous nepouvons reconnaître les traces d’une communication entre les eaux arctiques etméditerranéennes.Ce phénomène se reconnaît à ce que la faune de la Méditerranée, de caractèreéquatorial, se charge brusquement de types propres aux mers froides, dont il fautchercher les ancêtres dans les eaux de l’océan Arctique. Ce fait s’est produit pardeux fois durant le Tertiaire : une fois au Miocène et une autre fois au Pliocène.Nous devons donc placer dans les derniers temps du Néogène l’ouverture définitivede l’Atlantique septentrional. Avec elle coïncidèrent le soulèvement de l’isthme dePanama, l’ouverture du détroit de Gibraltar et l’établissement du courant du Golfeavec son régime actuel, tous faits dont il n’est pas nécessaire de souligner latranscendance géographique.Personne ne prétendra chercher dans la disparition de ce continent atlantique unebase à la légende platonienne. Ni son progrès bien gradué, ni sa date lointaine nele permettent. Une humanité non encore née n’aurait pu conserver la tradition de cetévénement. C’est vers des phénomènes de moindre amplitude, par suite plussusceptibles d’un caractère catastrophique (quelque paradoxal que cela paraisse),et surtout d’un âge plus récent, que nous devons diriger nos recherches. Voyons ceque la Science géologique peut aujourd’hui nous dire à ce point de vue.Macpherson, étudiant la géologie de la province de Cadix, a attiré l’attention surl’existence dans cette région de dépôts diluviaux venus du Sud, ce qui démontreune plus grande extension du territoire vers l’Atlantique. Le même géologue asignalé au sud de la Galice et au nord du Portugal des formations diluviales trèspuissantes, qui indiquent l’existence de grands fleuves dont les eaux venaient detrès loin vers le NW. C’est un fait bien connu que les vallées du Tage et du Duero seprolongent en pleine mer, de même que les embouchures des fleuves de Galicereprésentent des vallées fluviales ensevelies à une époque peu ancienne. Au suddu Portugal, il existe des preuves nombreuses d’un affaissement des côtes ; dansun travail récent, Pereira de Souza en a signalé à Lagos, Olhao, Villa Real deSanto Antonio et en d’autres points. Enfin, Choffat et les géologues portugais ont puaffirmer que les petites îles Berlengas et Farilhoes, situées en face du capCarvoeiro, ne sont pas autre chose que les restes de terrains cristallins qui, à unecertaine époque, s’étendaient beaucoup plus à l’Occident. Tous ces faitsconcordants démontrent que le plateau ibérique s’est prolongé vers l’W avantl’époque actuelle, avec une extension qui fut sans doute considérable, sans quenous puissions nous aventurer à lui donner une valeur même approximative.Le prolongement atlantique des terres marocaines n’est pas aussi évident ; maisGentil, qui connaît si bien la structure et la nature du Magreb, en est partisan. Selonce savant géologue, les Canaries sont dans le prolongement de la Mesetamarocaine, englobée comme son homologue, la Meseta ibérique, dans lesplissements alpins, et les plis du Haut Atlas y viennent mourir en s’atténuant. Lecanal qui sépare les Canaries de la côte méridionale du Maroc serait, d’après lui,comparable au détroit de Gibraltar, et, de même que d’un côté et d’autre de celui-ciil y a une continuité parfaite entre les systèmes rifain et pénibétique, les îles del’archipel espagnol représenteraient l’émersion, de l’autre côté du canal, des plis del’Atlas qui s’abaissent sous l’Atlantique entre Agadir et le cap Guir.Pour beaucoup de raisons, il nous paraît difficile de comparer avec le détroit deGibraltar ce canal qui, au large de Fuerïeventura et non loin de ses côtes, offre déjàune profondeur qui oscille entre 1.000 et 1.500 mètres. Mais cela n’empêche pasque nous partagions l’opinion que le piédestal sédimentaire sur lequel s’appuientsans doute les Canaries ait été, en d’autre temps, soudé au continent africain.
Une opinion semblable est professée par Termier, pour lequel ou bien la Mesetamarocaine se prolongeait longitudinalement en séparant à travers l’Atlantique deuxchaînes alpines, l’Atlas et le Rif, ou bien le vrai système alpin s’arrêtait entreTrafalgar et Tanger, brisé « par l’obstacle infranchissable d’un immense morceaudes Altaïdes, aujourd’hui coupé en deux par l’effondrement de l’Atlantide, réunissantautrefois la Meseta marocaine et la Meseta espagnole [14] ».Le problème paraît donc être de fixer l’époque où les Canaries actuelles, ou leurplate-forme sédimentaire, furent séparées du sol africain. A ce point de vue, lesopinions sont loin d’être d’accord, comme nous allons le voir.Jusqu’à présent, les estimations des divers auteurs, bien qu’elles concordent sur lepoint que le phénomène est très récent géologiquement parlant, n’arrivent pas àfixer le moment d’une manière assez précise pour nous permettre d’affirmer que lesouvenir en a pu ou non parvenir aux hommes à l’aurore de l’histoire.L’existence aux Canaries d’espèces disparues est une arme à deux tranchants,comme le démontre clairement l’étude faite par Dollfus des fossiles recueillis auRio de Oro par le P. Fon. Des 28 espèces rapportées par le géologue espagnol,23 sont encore vivantes, 19 sont communes avec le Pliocène, 16 étaient déjàconnues au Miocène et 7 sont caractéristiques du Quaternaire. Appliquant à notreproblème les enseignements qui découlent de son étude, l’auteur n’ose rienaffirmer sur la séparation des Canaries, sinon qu’elle est certainement d’âge post-miocène et peut-être plus récente [15].En se basant sur un autre ordre de considérations, Gentil arrive à des conclusionségalement imprécises. L’existence, tout le long de la côte entre Mogador et Agadir,de grès torloniens à Ostraea crassissima, antérieurs aux plissements de la région,démontre que l’effondrement de la chaîne est certainement post-miocène. En outre,une bande presque continue de Plaisancien, bien détermine par sa faune dePectinidés, borde la côte de Tanger au Sous. Ce Plaisancien s’élève sur le flancseptentrional du Cap Guir et recouvre ensuite jusqu’à Agadir les plateaux côtiers àune altitude de 200 à 250 m. « Ce terrain, dit Gentil, a pris part aux derniersmouvements de la chaîne et les plissements du Plaisancie n sont encore visiblesdans les brachyanliclinaux qui, dans la région littorale, surgissent, comme au DjebelHadid, du Crétacé tabulaire [16]. » De ce fait, il déduit avec une grande probabilitéque la séparation de l’Afrique et des Canaries serait de la fin du Pliocène ou peut-être du Quaternaire. Dans un travail postérieur, après avoir reconnu que l’âge del’Atlas dans ces régions ne peut être précisé au moins d’une façon absolue, il semontre plus enclin à dater du Quaternaire l’effondrement des plis de la chaîne,phénomène auquel est du le canal qui sépare aujourd’hui l’archipel des côtesafricaines[17].Le géologue et voyageur français Chudeau a fait l’observation curieuse que lesrivières qui naissent dans l’Adrar Sotof, à environ 80 kilomètres de la côte entre leRio de Oro et le Cap Blanc, au lieu de se diriger vers la mer comme il paraît naturelpuisque aucun obstacle ne s’interpose sur leur trajet, courent vers le Sudparallèlement à la mer, et vont se perdre dans des sebkas littorales au lieu deformer des vallées encaissées dans la Meseta quaternaire. Cette anomalie nes’explique pas facilement si l’on n’admet pas un changement récent dans le tracéde la ligne des côtes [18]. En se basant sur la coexistence de l' Helix Gruveli auxCanaries et au Cap Blanc, il affirme que la séparation n’était pas réalisée auQuaternaire ancien, lequel fournit au moins une limite inférieure. La limitesupérieure serait donnée par le Néolithique, qui n’existe pas aux Canaries et estbien connu sur le littoral saharien. Signalons dès maintenant l’exagération de cettedernière assertion, car, le Néolithique du Sahara étant de date beaucoup plusrécente que celui de l’Europe d’après les dires des spécialistes, elle équivaudrait àreculer la possibilité de ce phénomène aux premières époques historiques, opinionqui est en contradiction absolue avec la profondeur du canal, la masse d’éruptionsque représentent les Canaries, la structure de l’archipel et l’âge auquel remontentquelques-uns de ses matériaux éruptifs. L’absence du Néolithique aux Canaries,affirmation pour le moins très discutable aujourd’hui, pourrait seule nous prouverqu’elles n’étaient pas habitées à cette époque.IVAyant terminé cette rapide énumération des données que les Sciencesbiologiques, la Géographie physique et la Géologie peuvent fournir pour la solutionde notre problème, je vais essayer d’en résumer et d’en accorder les conclusions
pour en faire ressortir l’état actuel de la question. Nous verrons ainsi si lacontemporanéité de l’Atlantide et des premiers hommes est admissible, et dansquelle direction il faudra diriger nos recherches pour résoudre le problème, si parhasard il est susceptible d’une solution.Dans le résumé historique que nous avons donné au commencement de cet article,on peut voir, malgré le petit nombre d’opinions citées, quelle confusion règne entreelles et comment chacun interprète à son goût et de son point de vue spécial lesdocuments dont il dispose. Il faut beaucoup de peine pour se défendre de latradition séductrice, et dans la majeure partie de ces études il ne paraît pas qu’onait fait autre chose que de la justifier. Le travail même de Bory de Saint-Vincent, sidocumenté au point de vue scientifique, n’échappe pas à cette critique. Dans sacarte conjecturale, il a dessiné le lac de Tritonide et assigné une place au pays desGorgonides (Cap Vert), à celui des Amazones Fortunées (Canaries) avec leur MontAtlas et leur jardin des Hespérides, à Purpuraria (Madère), Hespérie (Vigias) et aupays des Atlantes proprement dit (Acores), En somme, il a cherche une justificationde toute la fable mythologique, dominé par l’idée que cette fable doit répondre pointpar point à une réalité historique ou protohistorique.Il faut donc se défendre d’abord de la suggestion de la légende et ne pas chercher,ce que la plupart ont fait, à vérifier une existence avant d’avoir déduit cetteexistence même de raisonnements rigoureux appuyés sur des faits indubitables :autrement dit, de l’étude de la réalité tangible actuelle, s’élever à la connaissancede la réalité antérieure ; ne pas partir d’une réalité antérieure supposée pour yaccommoder les faits actuels.De la légende, et seulement comme moyen de vérification, nous ne prendrons quece qu'elle nous dit librement, sans interprétations recherchées ou capricieuses.Ainsi, puisque les dialogues de Platon placent l’Atlantide directement en face descolonnes d’Hercule, ils ne peuvent se rapporter qu'à Madère ou aux Açores. LesCanaries étaient bien connues des Grecs, et s’il avait voulu y faire allusion il n’auraitpas manqué de signaler leur situation beaucoup plus méridionale.En ce qui concerne les considérations d’ordre biologique, je note un fait biensignificatif : c’est que les botanistes et les zoologistes n’arrivent pas exactementaux mêmes conclusions. D’après eux, on peut affirmer que les archipelsatlantiques, l’archipel canarien surtout, ont été unis au continent africain et que leurséparation est de date géologique récente. Mais leurs données manquent deprécision, surtout lorsqu’il s’agit de fixer le moment où les portions marginales ducontinent total furent transformées en îles. Nous pouvons encore moins leurdemander de nous dire quelque chose sur le processus et le mécanisme de cetisolement.La topographie sous-marine de l’océan paraît jeter quelque lumière nouvelle sur lesrelations entre les diverses îles atlantiques. Qu’on admette ou non l’existence d’ungéosynclinal en voie d’élévation, il est certain que les renseignementstopographiques accusent pour les Açores une origine distincte de celle des autresarchipels. Celui-ci, placé sur la ligne médiane des hauts-fonds, semblevéritablement et originairement atlantique, tandis que les autres sont en relationavec le continent européen (Madère) ou africain (Salvajes, Canaries, Cap Vert).Entre les uns et les autres, la ligne des bas-fonds de l’Atlantique oriental interposeses abîmes de plus de 5.000 mètres.Mais c’est sur le terrain de la Géologie, comme nous l’avons vu, que l’on peutarriver aux conclusions les plus précises. L’existence d’une Atlantide géologiqueest un fait pleinement confirmé, ainsi que sa persistance dans l’Atlantique nordjusqu’à la fin de l’ère tertiaire. Etant donnée l’extension des terres qui ont uni lesdeux continents, elles n’ont pu disparaître soudainement, mais seulement par unprocessus plus ou moins lent. La séparation à la lisière américaine fut antérieure àla séparation du côté européen ; de toute façon, entre les deux côtes persistapendant quelque temps une terre isolée, plus ou moins étendue, l’Atlantidegéologique, dont les restes peuvent être représentés par la bande axiale de hauts-fonds sur lesquels s’élèvent les Açores.Or, ces événements, antérieurs à l’ère quaternaire, ne peuvent servir de base à lalégende platonienne. L’humanité consciente, capable de conserver une tradition,leur est postérieure. Il n’existe aucune preuve indubitable de l’existence del’humanité avant le Quaternaire. Les instruments d’origine indiscutablementhumaine sont tous postérieurs, de même que les restes fossiles de l’homme. Lamandibule de Mauer, près d’Heidelberg, reste humain le plus ancien de dateauthentique, est de la période rissienne, c’est-à-dire de la troisième glaciation.Il est certain que les conditions physiques de la Terre pendant l’ère tertiaire, surtout
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