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Gilles Louïse L'audition La scène est à Philadelphie, aux États- Unis. Cette ville se situe au sud-ouest de New York. À partir de la position de notre bonne ville de Paris sur une carte du monde, tournez votre regard à gauche de façon rectiligne avec une légère déclinai- son dirigée vers le bas, traversant allègre- ment l’Atlantique en un clin d’œil, vous apercevez New York City sur l'autre rive de l'océan. En axant maintenant votre point de visibilité par une diagonale très pentue orientée au sud à gauche, vous ar- rivez presque immédiatement à Philadel- phie. En continuant d'ailleurs dans cette même direction, vous débarquez à Wa- shington, ce qui fait qu'on explique sou- vent pour simplifier que Philadelphie se situe entre New York et Washington. De par ses deux racines grecques, d'une part “phil” qui signifie amour ou amitié, et d'autre part “adelph” qui renvoie tant 2 au frère qu'à la sœur en fonction de la ter- minaison masculine ou féminine de ce dé- but de mot, ce nom peut signifier par exemple “amitiés des frères et des sœurs” ou encore “amour fraternel et sororal”. De toute façon, le terme Φιλαδελφία existe en tant que tel dans le lexique du grec ancien et se traduit régulièrement par “amitié pour un frère ou une sœur”.
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08 avril 2014

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Français

Gilles Louïse L'audition
La scène est à Philadelphie, aux États-Unis. Cette ville se situe au sud-ouest de New York. À partir de la position de notre bonne ville de Paris sur une carte du monde, tournez votre regard à gauche de façon rectiligne avec une légère déclinai-son dirigée vers le bas, traversant allègre-ment l’Atlantique en un clin d’œil, vous apercevez New York City sur l'autre rive de l'océan. En axant maintenant votre point de visibilité par une diagonale très pentue orientée au sud à gauche, vous ar-rivez presque immédiatement à Philadel-phie. En continuant d'ailleurs dans cette même direction, vous débarquez à Wa-shington, ce qui fait qu'on explique sou-vent pour simplifier que Philadelphie se situe entre New York et Washington.
De par ses deux racines grecques, d'une part “phil” qui signifie amour ou amitié, et d'autre part “adelph” qui renvoie tant
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au frère qu'à la sœur en fonction de la ter-minaison masculine ou féminine de ce dé-but de mot, ce nom peut signifier par exemple “amitiés des frères et des sœurs” ou encore “amour fraternel et sororal”. De toute façon, le terme Φιλαδελφία existe en tant que tel dans le lexique du grec ancien et se traduit régulièrement par “amitié pour un frère ou une sœur”. Comme il s'agit là d'une des plus anciennes villes des États-Unis, elle en fut même la capi-e tale durant la dernière décennie du XVIII siècle, il se peut que ses premiers habi-tants se soient spontanément considérés comme frères et sœurs, ce qui, outre une bienveillance instinctive entre citoyens, devait également impliquer une très grande tolérance dans les orientations idéelles de chacun. e Vers la fin du XXsiècle, un metteur en scène organise une audition dans un
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théâtre du sud de Philadelphie, il est à la recherche d'un enfant d'une dizaine d'an-nées qui deviendra la vedette du film qu'il va prochainement tourner dans cette ville. En réalité, le garçon n'a que neuf ans dans le script mais il est fréquent au cinéma de tricher quelque peu sur les âges réels, no-tamment des plus petits, le tournage se fera très probablement avec un garçon ayant deux ou trois ans de plus que l'âge indiqué dans le scénario, exploitant ainsi discrètement un léger retard de croissance du futur acteur et bénéficiant d'une meilleure maturité psychologique plus à même de surmonter les contraintes néces-sairement inhérentes à un tournage ciné-matographique. Comme celui-ci n'aura lieu que dans six ou huit mois, l'enfant de-vrait avoir aux alentours de dix ans et demi au moment de cette sélection.
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Dans un cas de ce genre, un organisa-teur d'auditions théâtrales dispose de trois possibilités pour produire ce type d'événe-ment :soit les candidats sont invités à se réunir dans les coulisses, accompagnés de présentateurs, d'animateurs, voire de ma-quilleurs et autres professionnels du spec-tacle ; soit ils investissent tous ensemble le bord de la scène en s'y asseyant à la bonne franquette sans autre forme de procès, comme cela arrive parfois dans les concerts de fin d'année de certaines écoles de musique; soit ils s'installent dans la salle et occupent avec leurs accompagna-teurs adultes les fauteuils réservés aux spectateurs. Ce directeur artistique a opté pour cette troisième possibilité, son idée est sans doute de voir évoluer librement les enfants qui vont passer cet oral à tour de rôle, et de savoir entre autres comment ils vont gravir les quelques marches pour arriver à la scène. En effet, deux petits es-
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caliers portatifs ont été installés de part et d'autre du plateau pour y accéder. C'est sans doute pour éviter une nudité complète qu'outre un micro élevé à hau-teur d'enfant et placé au milieu de l'avant-scène, un piano à queue occupe l'arrière de l'espace, même si personne n'est appelé à en jouer, ce magnifique instrument, réac-cordé systématiquement la veille de chaque concert, est vraisemblablement la fierté du théâtre. Le réalisateur s'est assis au milieu du cinquième rang, c'est là sa préférence au-ditive et visuelle. Une planche carrée en bois, posée horizontalement devant lui sur les dossiers des banquettes, lui sert de bu-reau, un petit micro rivé dessus lui per-mettra de ne pas avoir à élever la voix pour s'adresser aux candidats durant l'en-tretien, une lumière discrète éclaire cet es-pace de travail sur lequel sont déjà posés
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des cahiers et des documents divers. Ce sélectionneur est entouré de personnes plus ou moins officielles, plus ou moins liées à l’œuvre à venir, car se greffent tou-jours en pareille circonstance des amis, des curieux et autres outsiders de tout style. Personne ne s'est avisé de s'installer sur les premiers rangs, tous les candidats, à peu près une quinzaine, et leurs accom-pagnateurs, sans qu'il y ait eu de consignes particulières à ce sujet, se sont éparpillés d'eux-mêmes derrière ce res-ponsable de l'esthétique, soit pour s'effa-cer par une sorte de respect intuitif, soit pour ne pas lui boucher la vue, soit peut-être aussi pour se soustraire à la perma-nence de son regard.
À la septième des rangées centrales, en bordure d'une des deux allées, celle de gauche quand on est face au public, un en-fant d'une dizaine d'années attend silen-
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cieusement son tour, il semble très attentif, il est accompagné de deux adultes placés à sa gauche, probablement ses parents. Il donne l'impression de quelqu'un qui a dé-jà quelque expérience dans ce domaine, il a sans doute tourné de petites publicités, des courts métrages, ou encore des “cas-tings”, comme on dit dans le jargon de la profession, c'est-à-dire des essais de prises de vue à partir desquels on sélectionne les acteurs qui auront un rôle dans un film. Il a mis une cravate pour cette occasion, signe délicat qu'il a lu attentivement le scénario.
De toute façon, on peut considérer que les jeux sont faits, le réalisateur, qui signe, soit dit en passant, cette trame dialoguée qu'il a plusieurs fois intégralement réécrite tant il était insatisfait de ses premières ten-tatives, a d'ores et déjà une idée précise du garçon qu'il choisira in fine, et ce, pour
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une raison toute simple, à savoir que le rôle est à peu près injouable, rendant ra-rissimes les candidats crédibles. C'est pourquoi il a eu pas mal de difficultés à convaincre les décideurs à financer son projet, on lui a objecté la quasi-impossibi-lité de trouver un enfant capable d'assu-mer théâtralement parlant des situations aussi inaccessibles d'interprétation: “J'ai trouvé le garçon” a-t-il rétorqué immédia-tement. C'est sur cette seule parole, dite avec une immense persuasion, que les fonds se sont finalement débloqués. Bien entendu, il est connu dans cet univers, il a lui-même joué dans des œuvres audiovi-suelles, la firme, qui doit prendre des déci-sions rapides, lui a donc fait confiance sur cette base. En réalité, il n'était pas absolu-ment certain que le garçon auquel il pen-sait, quelque peu illustre dans ce micro-cosme pour avoir participé à plusieurs longs métrages, allait pouvoir accepter ce
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contrat mais il fit le nécessaire pour faire parvenir par courrier à ses père et mère le script du film ainsi que les lieu et heure de cette sélection, et est ravi de constater que sa vedette tant espérée s'est présentée ac-compagnée de ses parents et se trouve dans la salle. Cela dit, on se doit d'écouter tout le monde, il faut aussi que le choix fi-nal soit une évidence pour tous, sans contestation possible. Ceux qui se pré-sentent n'ont d'ailleurs pas forcément pour objectif d'être engagés, leur but est aussi de se faire connaître, de montrer leur disponibilité pour tout autre événement de ce genre, car tout se sait assez vite dans ce monde spécifique.
On entend chuchoter dans la salle, cer-tains enfants se saluent et se rapprochent avec les leurs car ils se reconnaissent.
Le metteur en scène, qui feuillette en ce moment des papiers, est sur le point d'in-
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viter le premier concurrent à se présenter quand le régisseur du théâtre fait une ap-parition discrète à la lisière du “côté jar-din”, on appelle ainsi la gauche de la scène du point de vue du public, il attend qu'on s'aperçoive de sa présence. C'est un vieux monsieur en bleu de travail, ce maître des coulisses est de toute évidence proche de la retraite, il espère être rapide-ment vu par un responsable potentiel, il a manifestement quelque chose à signaler. Une jeune assistante, munie de son bloc-notes et d'un stylo, prend sur elle d'aller voir ce qui se passe, elle emprunte le petit escalier de gauche qu'elle escalade assez lestement malgré ses talons aiguilles et une jupette serrée, elle parlemente quelques instants avec ce préparateur de l'ombre avant de s'engouffrer avec lui dans les coulisses. Le directeur artistique, qui a vaguement observé ce qui se passait, patiente sans mot dire, en réalité, rien ne
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