La Rose cassante , livre ebook

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Un tueur mutile ses victimes en déposant sur leur cadavre des énigmes en forme de courts poèmes.
Le lieutenant Étienne Proto, une pointure de la Criminelle, est chargé de l’enquête.
Cet homme, issu d’une famille bourgeoise de province, n’était pas destiné à devenir enquêteur. La mort violente de sa petite sœur de 16 ans n’y est pas étrangère.
Seulement, le lieutenant Proto n’a, jusqu’à présent, jamais été confronté à un tueur aussi imprévisible et raffiné que celui qu’il pourchasse.
Le tueur en question est un énigmatique et fin lettré, joueur de surcroît. Ses victimes appartiennent, pour la plupart, au monde de la Culture et des médias. Ses meurtres sont-ils gratuits ou répondent-ils à un autre motif ?
Question à laquelle l’enquêteur, aidé de son équipe, va tenter de répondre, fouillant à la fois dans le présent et le passé, le sien y compris…
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Date de parution

14 mars 2016

Nombre de lectures

470

EAN13

9782370114242

Langue

Français

LA ROSE CASSANTE

Charles Demassieux



© Éditions Hélène Jacob, 2016. Collection Policier/Polar . Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-424-2
« Les agneaux vont se taire, pour le moment. Mais, Clarice, vous vous jugez avec la miséricorde d’un inquisiteur du Moyen Âge ; il vous faudra constamment le mériter, ce silence béni. Parce que ce sont les situations désespérées qui vous poussent à agir, et il y aura toujours des situations désespérées.
Je n’ai pas l’intention de vous rendre visite, Clarice ; sans vous le monde serait beaucoup moins intéressant. Je suis sûr, polie comme vous l’êtes, que vous me diriez la même chose. »
Thomas Harris
Le Silence des agneaux
À mon fils Maxence.
À ma chère Laurence Marini.
À Thomas Harris, qui a réussi ce tour de force de peindre l’abomination criminelle dans toute son élégance.
À ces metteurs en scène, enfin, qui ont participé, sans le savoir, à l’élaboration de cette histoire.
1 – « Que reste-t-il de nos amours ? »


Le 22 décembre 1985, assis dans un grand canapé d’angle en cuir sombre, chacun à une extrémité, deux hommes d’âge mûr buvaient un vin de Bourgogne, Pommard, 1976. Ils ne fêtaient rien de particulier, sinon le plaisir d’être ensemble, pendant que leurs femmes respectives s’octroyaient une séance de soins aux Thermes de Saint-Malo, de l’autre côté de la Rance. Il pleuvait sur Dinard et la nuit – nous étions en décembre – était déjà bien installée, tandis que l’horloge de la cheminée n’affichait que 18 heures. Il planait une musique légère, perceptible seulement quand la discussion marquait une pause : des sonates pour piano de Mozart, par Alfred Brendel.
Ainsi, tu as lu mon dernier livre… Alors, qu’en penses-tu ?
Je suis avare de louanges, ma femme s’en plaint depuis vingt-deux années de vie commune. Mais là, je ferai volontiers une entorse à mon règlement intérieur : forme impeccable, quoique très académique, fond stupéfiant. Une question me taraude : pourquoi maintenant ? Jusqu’à présent, tu écrivais des romans, des nouvelles, des pièces, et voilà que tu romps avec ce qui a fait ton succès en produisant un manifeste antisocial agressif qui te fera passer pour le plus accompli des misanthropes, voire le plus parfait réactionnaire.
Avant, je trichais en accablant mes personnages des tares de notre société sans avoir le courage de nommer les spécimens réels qui me les avaient inspirés. Pire, je noyais le tout dans une aventure assez attrayante pour qu’on oublie de réfléchir. Oh, bien sûr, certains pouvaient se reconnaître, mais comme jamais je ne confirmais ni n’infirmais, ils se rassuraient en se persuadant que j’avais puisé mon inspiration ailleurs. C’était le flou romanesque ! J’aurais aussi pu écrire ma vie et ne lâcher que des impressions personnelles. On les aurait mises sur le compte de mon excentricité. Cependant, il faut beaucoup de style et de matière pour ne pas sombrer dans le genre le plus infect que je connaisse : l’autobiographie. Je préférerais me couper la main plutôt que d’imiter ces écrivaillons qui n’ont que leur petit moi au bout de la plume, dont ils nous déversent l’indigence à longueur de pages. Non, ce que je voulais, c’était raconter notre pays tel quel, dans toute sa crasse, à partir d’un matériau indiscutable : l’Histoire. Montrer comment nous étions descendus dans les bas-fonds. J’ai fouillé la boue et ce que j’en ai sorti n’est que la stricte réalité, sans maquillage. Peu m’importe que les sensibilités soient heurtées.
Ça, pour heurter ! Tu ne t’es pas fait que des amis avec ce pamphlet.
Je m’en moque ! J’ai assez d’argent pour ne pas dépendre des bonnes volontés de tout un chacun, notamment les journalistes accrédités du bon goût parisien. Qu’ils me massacrent dans leurs colonnes, je ne retirerai rien de ce que j’ai écrit. Et puis, je suis convaincu qu’un peu de cynisme rafraîchira les lecteurs abreuvés d’humanisme tiédasse depuis que l’autre est arrivé au pouvoir, il y a bientôt quatre ans.
Enfin, tu as mis le paquet, Nicolas, reconnais-le.
Juste ce qu’il faut pour démasquer ce fatras de penseurs et de décideurs qui se prennent pour des altruistes quand ils ne sont en réalité que des sangsues. Ce qu’ils peuvent être pathétiques ! Hier, ils proclamaient « jouir sans entrave » et c’est précisément ce qu’ils font, sur notre dos évidemment.
Tout de même, c’est un suicide littéraire, je ne t’apprends rien. Tu vas brûler en place publique et te lire relèvera du blasphème. C’est la grande communion que tu perturbes en insultant le nouveau règne. Les critiques se déchaînent déjà.
Les critiques sont des impuissants à qui le commentaire d’une œuvre offre l’illusion d’une érection créatrice, particulièrement lorsqu’il est à charge. Un suicide, dis-tu ? C’est la société qui se suicide, pas moi. Malheureusement pour elle, elle l’ignore encore. Qu’ils viennent, je les attends ces intellectuels de carnaval ! Et les autres, je les attends aussi : qu’ils osent me dire en face que c’est faux, j’ai de quoi alimenter la discussion !
Tu n’auras pas longtemps à attendre avec des remarques telles que – je te cite de mémoire – : « Le président que nous nous étions choisi ressemblait à un vieux faune ambitieux en mal de pouvoir et de nymphes, pourvu qu’elles aimassent sa rose. Il ne servirait pas l’État, car l’État c’était lui. » Monge m’a rapporté qu’en haut lieu on te déteste maintenant assez fort pour t’imposer le silence.
Leurs menaces à peine déguisées ne me font pas peur. Ces gars-là ne tenteront rien contre moi. Ils savent que ce serait s’aliéner le pouvoir pour longtemps. Flinguer un auteur, en France, c’est encore un crime moral puni par l’opinion. Et c’est l’opinion qui remplit les urnes. Pour combien de temps, ça… Au fait, comment va Monge ? Toujours aussi fêtard ?
Toujours. Il te salue. Mais dis-moi, cela t’a-t-il plu au moins de l’écrire ce livre ? Je n’y ai pas senti d’exaltation particulière.
Quand on décide d’écrire autre chose que des bluettes, on n’écrit pas pour se faire plaisir ou pour l’argent. On écrit pour une seule raison : conjurer le sort qu’on juge mauvais, que ce soit le sien ou celui des autres.
Triste programme.
Toutes proportions gardées, tu crois que Beethoven s’est marré comme une baleine en composant la Neuvième Symphonie ? Il était sourd comme un pot et ne l’a même jamais entendue autrement que dans sa tête tourmentée. Oublie donc mes romans : ils sont tous bons à donner en pâture aux librairies de gare ! Avec ce pamphlet, comme tu l’appelles, j’ai écrit sans craindre de déplaire et sans le souci de plaire. Je me suis payé un libre accès à la parole, un point c’est tout. Ce qui, soit dit en passant, atténue mes regrets de ne pas l’avoir fait plus tôt et d’avoir pratiqué si longtemps le jeu de la séduction avec des lecteurs qui sont autant de consommateurs idiots. J’ai enfin écrit, après des années passées à amasser du fric jusqu’à plus soif en torchant de banales fictions. Tu m’entends, Francis : ÉCRIT ! Désormais, je n’ai plus rien à dire et je ne veux pas revenir à ces futilités qui n’ont fait de bien qu’à mon compte en banque. Aussi, ce sera mon dernier livre, car, vois-tu, ma renaissance passe par l’absence définitive d’écriture et…
On vient de frapper à la porte.
Tu es sûr ?
J’en suis certain.
Ce ne sont pas nos chères épouses : il est trop tôt. Attends un instant, je vais vérifier…
Nicolas Jécard se leva sans précipitation, avec désinvolture même, jusqu’à la porte massive de son grand vestibule pour s’enquérir de l’identité de l’importun qui s’était introduit dans le jardin par le portail, que sa femme et celle de Francis Lempois n’avaient pas fermé en partant. En ouvrant, il reconnut le visiteur et se composa aussitôt une figure autoritaire :
Je vous avais pourtant dit de ne plus remettre les pieds ici, Monsieur le pleurnicheur ! C’est la dernière fois que je…
La phrase se perdit dans un râle mêlé de douleur et de surprise : le visiteur venait de lui trancher la gorge avec une lame de rasoir très

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