Cahier d'Anthropologie sociale N° 6 : Poils et sang , livre ebook

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Depuis « Magical Hair », le célèbre article d’E. Leach sur la pilosité et les cheveux, la thématique a faiblement mobilisé l’anthropologie, sans pour autant se faire oublier de l’ethnographie. La plupart des monographies possèdent quelques lignes, parfois plus, sur les pratiques et l’imaginaire liés à la pilosité en général, à la chevelure et, surtout, aux poils (distinction catégorielle qui, soulignons-le, n’existe pas dans toutes les langues, loin de là).
Dans ces travaux, les questions ayant trait à la pilosité sont souvent redoublées par celles liées aux interdits concernant les humeurs corporelles et, plus particulièrement, au sang : ni vraiment humeurs et pas encore véritablement chair, la pilosité reste la partie la plus facilement détachable et transportable du corps sans, toutefois, qu’elle ne se corrompe.
Les dix contributions qui constituent ce volume se proposent d’aborder le sujet de la pilosité suivant, d’une part, une approche comparative liée aux pratiques, notamment celles portant sur les humeurs corporelles — en particulier le sang — et, de l’autre, à l’imaginaire que les deux catégories entretiennent avec cette notion plus générale, mais aussi plus vague, qu’est la vitalité.
Sauvagerie, sexualité et vitalité d’un côté, comportement policé, retenue et abstinence de l’autre ; tels seraient les deux extrêmes du balancier conceptuel que parcourraient la pilosité et le sang dans les pratiques et l’imaginaire humains.
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Publié par

Date de parution

18 février 2015

Nombre de lectures

94

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

3 Mo

institutions autour de grands thèmes d’actualités abordés dans la perspective réLexive de
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cahiers06 d’anthropologie L’Herne sociale
6
Poils et sang
L’Herne
CAHIERS D’ANTHROPOLOGIE SOCIALE
L’Herne
Ouvrage publié avec le soutien du Collège de France
© Éditions de l’Herne, 2010 22, rue Mazarine 75006 Paris lherne@lherne.com
POILS ET SANG
Ce Cahier a été dirigé par Dimitri Karadimas
L’Herne
Cahiers d’anthropologie sociale
Comité d’honneur Claude LéviStrauss (†), Françoise Héritier, Nathan Wachtel
DirecteurPhilippe Descola
Coordinateurs de la collectionSalvatore D’Onofrio, Noëlie Vialles
Comité de rédaction Julien Bonhomme, Nicolas Govoroff, Monique JeudyBallini, Dimitri Karadimas
Les Cahiers d’Anthropologie Sociale publient les journées d’étude et les séminaires du Laboratoire d’anthropologie sociale (LAS), unité mixte de recherche du Collège de France, de l’École des hautes études en sciences sociales et du Centre national de la recherche scientifique.
Sommaire
Dimitri KaradimasPrésentation .....................................................................................
Dimitri Karadimas Poils, sang et vitalité : une problématique ................................................ Priscille TourailleDes poils et des hommes. Entre réalités biologiques et imaginaires de genre eurocentrés ........................................................................... Karine TinatAménorrhée, lanugo et cheveux. Représentations et pratiques autour de la vitalité dans l’anorexie mentale ............................................. AnneMarie BrisebarreBêtes de concours : du paraître à l’être ................................................... Salvatore D’OnofrioLe cube des fluides. Du poil au sang en Sicile ............................................ Nathalie Manrique La moustache de la distinction. Vitalité, pilosité et sang dans les représentations gitanes de la hiérarchie sociale ...............................
Corinne Fortier La barbe ou la tresse. Des cheveux et des poils marqueurs de la différence sexuée (société maure de Mauritanie) .................................
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Gaëlle Lacaze La vie du poil. La construction du genre au cours du cycle de vie idéal des Mongols ...................................................................... 105 JeanPierre Goulard Le sens du poil chez les Tikuna (Amazonie) .............................................. 117 Marika Moisseeff Relations, rites et cheveux chez les Aranda .............................................. 131
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Présentation
Dimitri Karadimas
Glabre et lisse comme la statuaire antique, le corps publicitaire des femmes et celui des hommes qui leur est peu à peu assimilé demanderaient à être interrogés en corrélation avec l’absence, si ce n’est l’évacuation de toute référence au sang. Sauf lorsqu’il s’agit de dénoncer les atteintes à la Nature et aux animaux. Aujourd’hui très en vogue dans la bienséance « pro-nature », comme celle, par exemple, dePeta(« People for the Ethical Treatment of Animals », ou « Pour une Éthique dans le Traitement des Animaux »), les récentes campagnes anti-fourrure jouent souvent sur la conjonction visuelle du sang des animaux et de leur fourrure obtenue au prix de la souffrance. Or dans ces campagnes publicitaires, la nudité des femmes que cette pilosité animale est censée recouvrir arrive rapidement en tant qu’argument choc, jouant sur une assimilation tout à fait explicite entre fourrure animale et toison pubienne. Dans nos imaginaires, en effet, la fourrure est donnée à porter aux femmes, comme Ève donna à manger le fruit défendu, rompant l’har-monie qui faisait des humains des êtres parmi les autres créatures de Dieu dans un jardin d’Éden dépourvu de relations prédatrices et sanguinaires, puisque nos illustres aïeux y vivaient en bons végétariens (et « à poil » parmi les bêtes à poils, serait-on tenté de dire !). Avec le péché originel arriva non seulement la vision et la connaissance de la nudité mais aussi la nécessité de la couvrir ; et le sang advint puisque Dieu devait nous vêtir de peaux. La mortalité, aussi, et le temps, donc. Étrangement, la vie, aussi, on l’oublie trop souvent. Sur les affiches des activistes, les femmes en fourrure sont ainsi présentées comme les complices des sanguinaires, voire les receleuses, et de leurs manteaux coule un sang animal qui ne fait qu’en rappeler un autre, proscrit en image, qu’est le sang menstruel. L’association entre la pilosité et le sang veut en premier lieu dissuader celles qui porteraient ces peaux d’en faire l’acquisition, voire les culpabiliser et les dénoncer à lavox populi.
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Poils et sang
Ici, l’assimilation des animaux aux humains semble donnée comme une évidence : ils partagent avec eux la qualité d’êtres vivants, si ce n’est qu’ils portent une four-rure qui les habille en permanence alors que les humains en sont dépourvus. Ces derniers vont nus ou pour le moins glabres, hormis quelques lieux du corps, « bestiaux » parce que poilus, qui n’ont pas réussi à s’extraire de leur condition, entachés qu’ils restent de leur très biblique chute. Étrangement, ces mêmes campagnes publicitaires exposent rarement des chaus-sures, des blousons, voire des fauteuils qui saignent, alors que, souvent faits de cuir, donc de peau animale, ils nécessitent tout autant une mise à mort que les animaux tués pour leur seule fourrure. Or élevage ne rime pas nécessairement avec abattage de masse, ainsi que l’évoque partiellement l’article d’Anne-Marie Brisebarre qui nous donne quelques indications sur cette attention que les éleveurs portent à leurs bêtes par les soins prodigués à leur pelage, même si certains, afin de montrer la viande que la bête sur pied contient, les rasent partiellement dans le but de souligner la masse charnue des parties valorisées commercialement. Pour les activistes anti-fourrure et leurs campagnes publicitaires, jouer sur l’aversion de la vision du sang devait s’accompagner de poils ; ce couple ferait donc plus sens que celui de sang-peau. Mais à quel titre ? Peut-être qu’au même titre que le cas des Mongols présenté par Gaëlle Lacaze, sang menstruel et pilosité sont liés comme synonymes alors que le marquage des âges sociaux de chacun des sexes lié à la fécondité s’accompagne d’une attention portée aux crins des chevaux, sorte de continuateurs en double des principes géné-siques de la personne. Dans une sémiotique générale des temps actuels, la fourrure animale ne fait que rappeler la présence persistante d’un phanère humain, le poil, qui échappe à tout contrôle et s’invite sur les visages et les corps sans respect ni des classes ni des sexes, au même titre que les saignements menstruels s’imposent à toutes les femmes. Un retour de la « nature », donc, mais dans ce qu’elle a, à nos yeux, de plutôt dérangeant. Or ce sang a tendance à s’évanouir : celui des règles comme celui des rituels que les hommes s’infligent mutuellement n’est plus présent socialement, si ce n’est relégué dans les marges, archaïsantes pour la plupart, d’une altérité où le dépas-sement de la condition de bestialité ne serait pas encore advenu, à moins qu’il ne signe là l’ inscription définitive de ces peuples en tant que « naturels ». Les femmes saignent, mais pour combien de temps encore ? Sur les murs de nos villes et dans les écrans de communication de masse, on leur propose qu’elles ne le fassent plus, ou alors seulement dans l’attente que ce stade de l’évolution humaine soit un jour dépassé. L’avenir sera donc glabre comme dans les premiers temps bibliques, alors que le passé préhistorique de l’humanité est supposé pileux. Peut-on en effet imaginer aujourd’hui un Néanderthalien autrement que sous la forme d’un anthro-poïde velu, comme nous le rappelle Priscille Touraille dans sa contribution, tout en
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Présentation
insistant sur le marquage des genres que produit la pilosité faciale en tant que caractère sexuel secondaire ? Pour être glabre, cet avenir vers lequel la science – telle qu’elle est présentée par l’imaginaire publicitaire – nous guide sera aussi celui des jours radieux emplis de paix entre les êtres (un retour au paradis perdu, en quelque sorte…). Tout ceci, nous promet-on, sera accompagné de traitements hormonaux qui auront « réglé », pour celles qui le désirent, le souci de leurs saignements menstruels et de la généra-tion humaine dont ils sont pourtant les garants. L’article de Karine Tinat analyse peut-être les signes avant-coureurs d’un tel imaginaire sous les traits de l’anxiété anorexique des adolescentes dont l’aménorrhée s’accompagne de conduites proches de la névrose vis-à-vis de leur pilosité. Poils et sang ont aussi en commun d’être synonymes d’identités comme le présente Marika Moisseeff pour les Aranda du désert central australien, rejoignant ainsi les premières données ethnographiques de Spencer et Gillen sur le poil et le sang exploitées par Émile Durkheim. Identité de groupe, mais aussi marqueur de liens entre les groupes et les personnes, puisqu’une belle-mère fournit en cheveux son beau-fils pour la confection des fameuses ceintures de cheveux qui viennent en complément du sang partagé entre les hommes, qui scellent de la sorte un pacte. Nouer des liens peut aussi être donné à voir de façon littérale. Ces cordes de cheveux, qui servaient aussi chez les Aborigènes dans les rituels d’initiations, ne sont pas sans faire écho à la mythologie des Tikuna d’Amazonie colombienne. Comme le fait remarquer Jean-Pierre Goulard, les cheveux arrachés à la jeune fille pubère marquent non seulement son premier sang menstruel mais rappellent aussi la geste des héros culturels qui, grâce à une corde faite avec les cheveux de leurs sœurs, enserrent la terre et la font accoucher d’animaux. Les poils des animaux et les cheveux de l’initiée représentent aujourd’hui les poils pubiens de la terre. Pour le cas des Gitans de Morote, en Espagne, Nathalie Manrique souligne que la pilosité faciale sert surtout de signe extérieur de la prodigalité des individus, où elle est plutôt associée au sperme, ce dernier étant un condensé de sang « pneumatique ». Chez les Gitans, la moustache est un signe extérieur marqueur de statut social et ne peut être portée que si elle est accompagnée par des actes de mise en circulation de biens matériels: elle n’est en rien réductible à un simple ornement. Corinne Fortier montre également que si la manipulation culturelle de la chevelure et de la pilosité faciale dans la société maure de Mauritanie est révélatrice des conduites sexuelles attendues de chacun des sexes, elle est aussi érotisée et associée au sperme en tant que substance vitale chez les hommes et synonyme de richesses. Il faut donc s’attendre à voir le lien pilosité-sang se complexifier dans des varia-tions impliquant les autres fluides corporels en tant que substituts, ou en variation du sang comme le propose Salvatore D’Onofrio dans son « cube des fluides » ; l’es-sentiel étant que le poil est toujours le produit d’autres composantes corporelles.
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