SE SOCIALISER PRENDRE DES RESPONSABILITÉS

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Niveau: Secondaire, Lycée, Terminale

  • mémoire


16 SE SOCIALISER, PRENDRE DES RESPONSABILITÉS P u b li e r, u n a c te s c o la ir e ? LES DOSSIERS DE L'INGÉNIERIE ÉDUCATIVE Exporter son travail pour renouer avec À l'institut thérapeutique éducatif et pédagogique Saint-Yves d'Aix-en-Provence, faire connaître à l'extérieur les productions des enfants constitue le cœur de toute démarche éducative. Les élèves expérimentent ainsi un nouveau type de relations avec le monde « ordinaire », dans la perspective de renouer avec des établissements scolaires classiques et plus généralement une vie classique en société. L'équipe éducative, quant à elle, s'appuie sur les apprentissages pour valoriser ces élèves en rupture, mais aussi l'institut dans lequel ils évoluent ; elle se nourrit en retour des réussites dans un contexte de travail souvent très difficile. Voici la preuve qu'il est possible de réconcilier des enfants en rupture avec le monde social en leur donnant un rôle de médiateurs culturels dans un espace public. Média EXPOSITION DE TABLEAUX DANS DES BIBLIOTHÈQUES, DES ÉCOLES ET DES COLLÈGES, À L'ORME, OU LORS DE PORTES OUVERTES PROFESSIONNELLES DE L'ÉTABLISSEMENT CRÉATION D'AFFICHES POUR UNE EXPOSITION Niveau ENFANTS ET ADOLESCENTS DE 6 À 14 ANS EN CLASSES SPÉCIALISÉES 20 « TUTEURS » ET « TUTORÉS » Lieu INSTITUT THÉRAPEUTIQUE ÉDUCATIF ET PÉDAGOGIQUE SAINT-YVES, AIX-EN-PROVENCE Partenaires INSPECTION ET CONSEILLERS PÉDAGOGIQUES MAIRIE ET BIBLIOTHÈQUE MÉJEANE D'AIX-EN-PROVENCE ORME MOISSONS NOUVELLES, ASSOCIATION GESTIONNAIRE DE L'ITEP SAINT-YVES MÉMORIAL DES

  • bibliothèque méjeane d'aix

  • jeu passionnant de la console

  • troubles des conduites2 et de troubles oppositionnels avec provocation3

  • troubles mentaux de l'enfance et de l'adolescence

  • refus du cadre scolaire


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SE SOCIALISER, PRENDRE DES RESPONSABILITÉS
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LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE
Exporter son travail pour renouer avec
À l’institut thérapeutique éducatif et pédagogique
Saint-Yves d’Aix-en-Provence, faire connaître à
l’extérieur les productions des enfants constitue le
cœur de toute démarche éducative. Les élèves
expérimentent ainsi un nouveau type de relations
avec le monde « ordinaire », dans la perspective de
renouer avec des établissements scolaires classiques
et plus généralement une vie classique en société.
L’équipe éducative, quant à elle, s’appuie sur les
apprentissages pour valoriser ces élèves en rupture,
mais aussi l’institut dans lequel ils évoluent; elle se
nourrit en retour des réussites dans un contexte de
travail souvent très difficile. Voici la preuve qu’il est
possible de réconcilier des enfants en rupture avec
le monde social en leur donnant un rôle de
médiateurs culturels dans un espace public.
Média
EXPOSITION DE TABLEAUX
DANS DES BIBLIOTHÈQUES,
DES ÉCOLES ET DES COLLÈGES,
À L'ORME,
OU LORS DE PORTES OUVERTES
PROFESSIONNELLES DE L'ÉTABLISSEMENT
CRÉATION D’AFFICHES POUR UNE EXPOSITION
Niveau
ENFANTS ET ADOLESCENTS DE 6 À 14 ANS
EN CLASSES SPÉCIALISÉES
20 « TUTEURS » ET « TUTORÉS »
Lieu
INSTITUT THÉRAPEUTIQUE ÉDUCATIF
ET PÉDAGOGIQUE SAINT-YVES, AIX-EN-PROVENCE
Partenaires
INSPECTION ET CONSEILLERS PÉDAGOGIQUES
MAIRIE ET BIBLIOTHÈQUE MÉJEANE
D’AIX-EN-PROVENCE
ORME
MOISSONS NOUVELLES, ASSOCIATION
GESTIONNAIRE DE L'ITEP SAINT-YVES
MÉMORIAL DES MILLES
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LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE
Entretien
Philippe Duyck
DIRECTEUR PÉDAGOGIQUE DE L’ITEP
Dominique Benracassa
ENSEIGNANT SPÉCIALISÉ ET ARTISTE PLASTICIEN
Didier Poilbois
PSYCHOLOGUE, MUSICOTHÉRAPEUTE ET MUSICIEN
Isabelle Bréda
ORME
Isabelle Bréda –
Vous accueillez à l’ITEP des
jeunes en grande difficulté sociale et scolaire.
Quelles sont vos missions ?
Philippe Duyck
– Notre institut reçoit des enfants
de 6 à 14 ans qui éprouvent des troubles psycho-
logiques sévères. Lorsque la Maison départemen-
tale de la personne handicapée propose à une
famille l’orientation d’un enfant en ITEP, nous
savons que son parcours scolaire a été ponctué de
signalements, de prises en charge psychologiques
et éducatives, d’échecs, voire d’exclusions. La
plupart des élèves accueillis sont très ancrés dans
le refus, refus du cadre scolaire, de l’autorité de
l’enseignant, mais aussi des rapports sociaux nor-
maux. Pour vous donner une idée des difficultés
qu’ils rencontrent, nous les évaluons à leur arri-
vée non pas sur leurs compétences disciplinaires
mais sur les aptitudes qui qualifient un compor-
tement d’élève : entrer dans une classe, savoir y
rester ; accepter d’y entrer, accepter d’y rester ;
accepter de s’asseoir, accepter de rester assis ;
écouter une consigne ; essayer de prendre la
parole à son tour. Il ne faut jamais oublier que,
dans notre ITEP, les élèves les plus en difficulté
ne maîtrisent ni les premiers codes sociaux, ni
les prérequis de l’apprentissage de la lecture.
Notre travail, notre volonté, et c’est aussi une
obligation de l’Éducation nationale, consiste à la
fois à enseigner face à des élèves en situation
conflictuelle vis-à-vis des apprentissages, à être
partie prenante de la thérapie institutionnelle et
à amener ces élèves, autant que faire se peut, à
retrouver leur place dans l’établissement scolaire
dont ils ont été écartés.
Didier Poilbois
– Ici, les enfants organisent habi-
tuellement leur relation à l’autre dans l’agressi-
vité, l’insulte, le conflit, l’opposition, la transgres-
sion des règles sociales les plus élémentaires. On
parle en psychologie de pathologie narcissique,
anaclitique ou limite, d’organisation de type
caractériel ou psychopathique
1
, de troubles des
conduites
2
et de troubles oppositionnels avec
provocation
3
. Chez ces jeunes, le passage à l’acte
et l’activité pulsionnelle prennent le dessus sur la
pensée. En fait, ils passent leur temps à détruire
leurs relations aux autres.
C’est pour cela que nous avons choisi de mener
des projets autour de la créativité. Pour leur per-
mettre chaque jour de renouer avec les appren-
tissages, d’établir des relations sociales qui ne
s’organisent pas uniquement dans le conflit et
l’insulte, de prendre conscience de leur potentia-
lité, de connaître des expériences positives nou-
velles.
Philippe Duyck
– Nous avons développé un ambi-
tieux projet de médiation artistique et culturelle
par le biais de l’outil informatique, qui s’appuie
principalement sur un enseignant plasticien,
Dominique Benracassa, et notre psychologue,
Didier Poilbois. Il ne fallait surtout pas proposer
un travail qui ressemblait à ce qui avait été rejeté
précédemment, aussi bien dans la forme que dans
le retour demandé par les enseignants au niveau
des stratégies cognitives. Nous avons eu l’idée
1. Classification française
des troubles mentaux de
l’enfance et de
l’adolescence.
2. Dixième version de la
Classification internationale
des troubles mentaux et du
comportement.
3. Quatrième version de la
Classification américaine.
la vie en société
L’ITEP
L’institut thérapeutique éducatif et pédagogique (ITEP) Saint-Yves d’Aix-en-Provence fait
partie du secteur médico-social. Il répond à la fois aux orientations de la Maison dépar-
tementale de la personne handicapée (MDPH) et aux obligations de l’Éducation nationa-
le en matière de scolarisation des jeunes.
L’ITEP Saint-Yves accueille des enfants et adolescents de 6 à 14 ans qui
« présentent des
difficultés psychologiques dont l’expression, notamment l’intensité des troubles du com-
portement, perturbe gravement la socialisation et l’accès aux apprentissages »
(décret
du 6 janvier 2005 qui fixe les conditions d’organisation et de fonctionnement des ITEP).
Les élèves sont placés à l’ITEP de manière transitoire, dans la perspective de retourner
le plus rapidement possible dans le système scolaire traditionnel.
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de faire réaliser des infographies par nos jeunes
et de les « exporter » hors de l’ITEP. Produire et
faire connaître à l’extérieur les productions des
enfants, c’était le but dès le début de notre tra-
vail.
Pour cela, nous avons inventé un modèle non
rigide de scolarisation qui fournit un cadre où les
élèves ne sont pas en refus. Chaque matin, ils sui-
vent trois modules pédagogiques (français,
maths, informatique) ; les après-midi sont
consacrés à des projets d’ordres très divers,
mais toujours en relation avec des parte-
naires extérieurs.
Isabelle Bréda –
En quoi consiste ce projet
de médiation artistique et culturelle ?
Dominique Benracassa
– Je suis enseignant
spécialisé depuis 1983, et j’ai tout de suite com-
pris qu’il fallait inventer des pistes de travail dans
lesquelles la révolte, la détresse, la violence puis-
sent s'exprimer. Celles de mes élèves, mais aussi
les miennes. Artiste « de religion », j'ai toujours
travaillé sur l'image et tous les supports qui lui
sont liés : image fixe, dessin, peinture, photo,
image animée, diaporama, film d'animation,
reportage, fiction, etc. Depuis quelques années,
l'informatique m'a apporté de nouvelles pistes de
création et de réflexion. C’est dans ce contexte
qu’est né le projet « Image manipulée ».
Je précise qu’en cinq ans j’ai récupéré une quin-
zaine d'ordinateurs Mac G3, obsolètes pour les
entreprises, mais qui nous ont permis de monter
notre projet doucement et d’avoir aujourd'hui
une classe informatique qui fonctionne.
Le premier travail consiste à montrer aux
enfants des images étonnantes sur les ordina-
teurs de la classe, mais aussi sur papier photo. Des
images étranges, mais qu'ils comprennent et
décortiquent facilement : des éléphants, des lions
ou un taille-crayon géant, posé dans la cour de
récréation, avec un camarade qui vole par-des-
sus… Ou alors, ce qui leur plaît le plus, le visage
des enseignants retouché et celui de certains
camarades complètement transformé, les yeux
de l'un avec le nez de l'autre, etc. Cette première
approche très ludique les amuse beaucoup et sur-
tout les intrigue, d'autant plus que des élèves
« déjà formés » font des démonstrations de leur
savoir-faire avec les outils informatiques et les
logiciels de retouche photo qu'ils maîtrisent.
Les « nouveaux » ont tout de suite envie de
réaliser eux aussi des trucages, mais ils doivent
apprendre à domestiquer la machine, les outils
informatiques et les règles qui permettent d'abou-
tir. J'utilise un logiciel de dessin de base, qui per-
met d'appréhender le clavier, la souris, l'environ-
nement informatique dans sa globalité. Nous
avons quelques livres d'exercices pratiques et
des tutoriaux vidéo que nous commentons
ensemble sur des points précis d'appréhension et
d'utilisation des outils. Ce premier travail me per-
met de cibler rapidement ceux qui accrochent et
ceux qui auront plus de difficultés.
Les plus performants passent rapidement sur
un logiciel de retouche de photos assez complexe,
mais quel que soit le travail que je demande, il est
toujours tutoré par un autre enfant. C'est pour
moi le meilleur moyen d'évaluer, c'est valori-
sant pour l'enfant qui possède des savoir-
faire, et cela instaure entre les enfants une
communication différente de celle qu'ils ont
connue jusque-là.
Nous réalisons également des objets en
arts plastiques, que nous numérisons.
Ensuite, les enfants les déforment, les habi-
tent au sens propre ; ils se placent à l'intérieur ou
à côté du cadre, et il suffit quelquefois d'un simple
changement d'échelle pour qu'un personnage de
pâte à modeler s'installe dans la photo de classe.
En résumé, nous travaillons sur le principe du
collage et de la photocopie des années 50, 60, 70,
80… mais sans colle, sans ciseaux, sans papier,
sans photocopie et nous créons, nous revisitons
le monde de l'art par des pratiques et des analyses
toujours ludiques.
J'aime bien le terme de « révélateur de compé-
tences », parce que toute démarche artistique
révèle ce que l'on croyait impossible. Mais l'ar-
tiste, c'est aussi celui qui cherche, celui qui trans-
gresse, qui s'oppose à l'ordre établi; on peut men-
tir, tromper l’autre, déformer son image, faire des
choses qui sont en général interdites. Avec ce
projet, nous sommes dans un scénario qui fait
écho au comportement de nos élèves. Par mon
approche, j’essaie de leur dire que moi aussi je
brise les cadres, mais pour construire quelque
chose de positif. Je pousse les enfants à inventer.
Une seule consigne aux plus avancés : « Étonne-
moi! ». Dans une démarche artistique, l’important
c’est d’abord de laisser sa propre empreinte.
« Cultive ta différence dans l’intelligence, le res-
pect et la bonne humeur. »
Isabelle Bréda
– Philippe Duyck, vous parliez de
votre volonté « d’exporter » le travail de vos
élèves. Quelles formes a prises cette « mise en
public » ?
Philippe Duyck
– Dès le début du travail, tout a
été prétexte à montrer leurs œuvres, à créer à
travers elles des relations avec le monde exté-
rieur. Bien sûr, nous les avons exposées dans les
journées portes ouvertes de l’établissement. Très
vite et à chaque occasion, nous avons offert à nos
partenaires de vrais tableaux réalisés dans le
cadre de l’année Cézanne : à des inspecteurs de
l’Éducation nationale, à la brigade des mineurs
d’Aix… Le commissariat d’Aix présente sur ses
murs une œuvre de nos enfants. C’est une excel-
Quel que soit
le travail que je demande,
il est toujours tutoré
par un autre enfant.
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ventions qui n’étaient pas toutes prévues.
Très à l’aise, les six enfants présents ont
expliqué en amphithéâtre comment
marchaient les logiciels qu’ils utili-
saient, ils ont fait des démonstrations
in situ
en public, face à des adultes
inconnus.
En mai 2007, grâce à une collabora-
tion avec le conseiller pédagogique Arts
visuels qui gère la circonscription, nous
sommes entrés dans le projet Enfance et
Mémoire, qui traite du camp de concentration
des Milles. Les enfants ont travaillé sur l’affiche
de l’exposition, sur des cadres mêlant
diverses œuvres des peintres qui ont été dépor-
tés aux Milles, comme Max Ernst. Ils ont participé
à l’exposition à la bibliothèque Méjeane d’Aix-en-
Provence. L’exposition a rencontré un certain
succès, et nous en faisions partie.
Isabelle Bréda –
Pourquoi avoir choisi l’image, et
non une autre forme d’expression artistique ?
Dominique Benracassa
– Parce que l'image vit
sur l'illusion de sa transparence et que devant la
diffusion croissante du nombre d'images, notam-
ment sur Internet, il devient urgent d'apprendre
à voir. Plutôt qu'un morceau de monde, l'image
reflète un regard sur ce monde ; elle dissimule
autant qu'elle simule le réel. J'ai choisi de décor-
tiquer des images, de décrypter avec mes élèves
leur langage sous-jacent, d'analyser, de décons-
lente manière d’instaurer des relations différentes
entre eux et les représentants de la loi.
Ensuite, nous avons cherché à associer acti-
vement les enfants à ce travail d’extériorisation,
de publication. Trois d’entre eux se sont rendus
avec nous aux journées d’études de l’association
des ITEP et ont fait des démonstrations en direct
sur ce qu’est la transformation de l’image, en pre-
nant la photographie des gens présents. Cela a
conduit l’association à leur proposer de créer les
premières cartes de vœux au niveau national. En
2008, c’est le travail de nos enfants qui a été dif-
fusé sur toute la France. Vous voyez, tout est pré-
texte.
En avril 2007, nous avons participé aux 12
es
Rencontres de l’Orme à Marseille, avec des inter-
Très
à l’aise, les six
enfants présents ont
expliqué en amphithéâtre
comment marchaient les
logiciels, ils ont fait des
démonstrations en public,
face à des adultes
inconnus.
L’original.
Revisité par Lautrec et Matisse, Mohamed, 10 ans.
Revisité par Lautrec et Magritte, Jordan, 11
ans.
Revisité par Loïc, 12 ans.
Revisité par Matisse et Modigliani, Éric, 11 ans.
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truire et de comprendre. Mon but, c’est que ces
enfants très souvent consommateurs d’images
deviennent un jour, peut-être, de vrais
« consom'acteurs » critiques et éveillés.
Pour cela, j’associe technique et analyse
d’images dans des projets cohérents de création,
où les choix personnels s’appuient sur la décou-
verte d’artistes. Mon travail s’inscrit dans une
histoire plus globale de l'art afin que la produc-
tion d'images devienne juste, signifiante et auto-
nome. Pour fonder une pédagogie autour de
l'image et par l'image, il faut considérer celle-ci
comme un objet supposant des usages, des pra-
tiques qui diffèrent dans le temps, l’espace et
selon la position socioculturelle des spectateurs.
La manipulation d'images est un véritable outil
contre l'échec scolaire, avec des prises d'auto-
nomie, la mise en valeur d'expériences per-
sonnelles, la mise en évidence immédiate
d'une dialectique en théorie et en pratique.
Enfin et surtout, il ne faut pas oublier le plai-
sir de la création comme facteur d'évolution et
d'épanouissement personnel.
Didier Poilbois
– Il ne faut pas oublier non plus
que l’ordinateur fait partie de la culture de ces
jeunes ; il rappelle les consoles de jeu, que
d’ailleurs la plupart utilisent sans modération.
Bien qu’il n’y ait aucun jeu ici, c’est tout naturel-
lement que les enfants se trouvent attirés par
l’outil informatique. De plus, pour tout nouvel
arrivant, les premières expériences dans « la
classe informatique » s’apparentent bien au jeu :
un camarade qui connaît déjà le logiciel utilisé
doit lui expliquer les bases. Il agit un peu comme
il le ferait en expliquant la dernière règle d’un
jeu passionnant de la console à la mode.
Philippe Duyck
– L’informatique, ça sert aussi à
ne pas laisser de trace manuscrite. Nos enfants ne
veulent pas écrire, ils ne veulent pas laisser de
traces de ce qu’ils font mal. Mais avec un clavier
et un écran, ils peuvent recopier un texte, puis
éventuellement créer eux-mêmes ; là ils accep-
tent. L’ordinateur est un outil pluridimensionnel,
qui apporte quelque chose de beau, que l’enfant
est capable de faire, et qu’il peut montrer, y com-
pris dans sa famille.
Didier Poilbois
– Dominique parlait de l’artiste
qui transgresse. C’est vrai que nous sommes nous
aussi bien loin des méthodes pédagogiques habi-
tuelles. Le maître ne demande pas de résultat,
son souhait c’est que l’élève sache s’amuser le
plus tôt possible à manipuler des images. Il pro-
pose à l’élève de prendre du plaisir à transgres-
ser selon des règles autorisées : celles de l’activité
créatrice. Je suis toujours amusé de voir les pre-
miers regards, l’étonnement sur les visages des
enfants face à des relations maître-élève qu’ils
n’ont visiblement jamais rencontrées. C’est une
des premières fois qu’une activité scolaire se
révèle aussi « narcissisante » pour ces enfants.
Mentir, tromper l’autre, détourner les règles, c’est
ici et maintenant possible dans une démarche
élaborée et non plus dans le passage à l’acte pul-
sionnel, sans pensée.
Après avoir maîtrisé quelques rudiments tech-
niques, la créativité se met en œuvre assez natu-
rellement et une découverte s’offre à lui : c’est
enfin possible de réussir, par soi-même. Réussir,
c’est assez compliqué pour eux, au niveau narcis-
sique ; ils refusent l’échec, mais sont dans la répé-
tition de l’échec. Certains sont tellement fragiles
que si on leur donne une bonne note, ils vont
déchirer leur travail : « Je ne peux pas accepter
d’être bon, ce n’est pas possible, ce n’est pas
moi. »
Ce que l’enfant ne sait pas, c’est que les
adultes autour de lui vont commencer tout un
travail relationnel qui a pour but de provo-
quer du changement et déplacer du symp-
tôme. Sur le plan psychique et quelle que soit
la discipline de l’intervenant (psychologue, édu-
cateur, enseignant), nous devons avoir à l’esprit
qu’il est nécessaire de l’aider à passer de la répé-
tition à la créativité : la répétition est une des
caractéristiques majeures des troubles psy-
chiques. Cet enfant en souffrance réitère sans
cesse les mêmes comportements, les mêmes réac-
tions, les mêmes échecs et ressasse les mêmes
pensées. Dans cet environnement particulier que
nous lui proposons, il se découvre de nouvelles
possibilités qu’il ne soupçonnait pas posséder.
Isabelle Bréda –
Comment articulez-vous vos
objectifs de reconstruction de l’individu et d’in-
tégration sociale ?
Didier Poilbois
– Dès qu’un enfant sait manipuler
des images, un nouvel objectif s’impose : l’enga-
ger à passer de l’imaginaire à la réalité, à prendre
en compte l’autre. Les représentations d’un
enfant sont plus ou moins infiltrées par l’imagi-
naire, le fantasme, les affects. Nous devons l’ai-
der à se percevoir lui-même et à percevoir les
autres d’une façon plus réaliste. Très souvent, ils
me disent que c’est à cause des autres qu’ils sont
agressifs ; eux n’ont pas de problème, les autres
sont les provocateurs, ce qui leur permet de jus-
tifier leur agressivité : « Ils m’emmerdent, alors je
leur casse la gueule. » L’activité inter-créatrice
proposée consiste pour chaque enfant à expli-
quer aux autres ce qu’il sait faire. Cela lui donne
la possibilité de découvrir l’autre, non plus comme
un rival mais comme un interlocuteur, dans un
échange où chacun a une place. Ils « oublient »
tout à coup les insultes et conflits pour partager
leur connaissance et avancer sur des projets
concrets que le maître propose : faire une expo-
sition, préparer une série de cartes de vœux,
L’informatique,
ça sert aussi à ne
pas laisser de trace
manuscrite. Nos enfants
ne veulent pas écrire,
ils ne veulent pas laisser
de traces de ce
qu’ils font mal.
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créer des tableaux, etc. C’est devenu une acti-
vité sociale à l’intérieur de Saint-Yves. Un des
jeunes a même réalisé une carte pour l’anniver-
saire de sa sœur, avec laquelle il entretient pour-
tant des relations parfois violentes. On voit bien
que quelque chose est possible, une marque d’af-
fection qui ne passe pas que par la violence.
Philippe Duyck –
Les établissements sanitaires et
médicaux sont pour les enfants des lieux de pas-
sage, le plus court possible. Mais comme nous ne
pouvons pas répondre complètement à cette obli-
gation pour tous, nous devons trouver un biais
d’intégration partielle. Et en premier d’intégration
sociale, c’est-à-dire aller vers les autres qui sont
dans un milieu dit normal. Pour que ce soit pos-
sible, il faut que ce soit gratifiant. Parce que mes
garçons, s’ils ne sont pas bien quelque part, ça
explose.
L’idée a donc été de capitaliser sur le savoir-
faire acquis par certains de nos élèves sur la trans-
formation de l’image par l’outil informatique, et de
les mettre en situation de tutorer d’autres élèves.
Deux enfants, ou deux groupes de six enfants,
se déplacent ainsi dans des écoles partenaires et
transmettent leurs compétences à des élèves
qu’ils ne connaissent pas. Ils viennent sans l’éti-
quette « enfant dans le champ du handicap » pour
apprendre à un ou des camarades de l’école du
quartier à faire quelque chose de merveilleux,
c’est-à-dire à transformer une image, à mentir
avec l’image.
Au début de notre réflexion, nous avions sélec-
tionné les écoles avec lesquelles nous dévelop-
pons des projets d’intégration scolaire ; ensuite,
nous avons ouvert nos partenariats aux collèges,
dans les sections de SEGPA ou les classes ordi-
naires, avec tous nos collègues enseignants qui ne
peuvent pas faire ce travail dans leurs classes,
parce qu’ils n’ont pas le temps, les moyens ou la
formation nécessaire.
Didier Poilbois
– C’est un aller-retour constant
entre le travail individuel et la socialisation de ce
travail individuel entre le maître et les élèves,
entre les élèves, dans le cercle des intimes, puis
hors du cercle des intimes. Sans qu’il s’en aper-
çoive, nous plaçons l’enfant dans une situation
où il est obligé de construire avec l’autre. Pour
renouer avec le milieu ordinaire, il va devoir
exporter son savoir-faire et son « nouveau »
savoir-être dans un milieu qui l’a exclu. C’est pour
lui une expérience positive et valorisante. Cela
peut également nous amener à le préparer à
d’autres types d’intégrations sociales moins enca-
drées, où il devra faire preuve de plus d’autono-
mie et faire appel seul à ses capacités à nouer
des investissements stables et socialisés.
Dominique Benracassa
– Nous avions pensé que
nous pourrions devenir une école ressource: nous
« Les quatre Cézanne », Éric.
François.
Van Gogh et Pissaro, Jérémy.
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voulions appeler cela « SOS Arts plastiques ».
Nous irions dans une école pour exporter un
savoir-faire vers d’autres enfants, mais pourquoi
pas aussi dans des maisons de retraite ? Pourquoi
ne serions-nous pas des artistes intervenants ?
Philippe Duyck
– En 2008, nous sommes asso-
ciés au projet académique « Picasso Cézanne »,
avec la délégation académique aux Affaires cul-
turelles, pour intervenir avec nos jeunes
« tuteurs » dans les établissements qui le deman-
dent. Nous avons mis en place la première étape :
face à un public tout venant, composé d’adultes,
de lycéens, d’étudiants, être capable de montrer
son savoir-faire et de répondre à des questions.
Le vrai travail de tutorat commence dans la
deuxième partie de l’année, quand certains élèves
sont prêts. Être prêt, c’est disposer d’un réel
savoir-faire pour ne pas tomber en panne tech-
nique quand on est en plein travail, ce qui ne
s’acquiert pas en trois mois ; c’est aussi avoir
acquis une certaine stabilité dans son com-
portement. Il faut d’abord faire l’expérience
de la rencontre avec l’inconnu, avec un
adulte. Et ce n’est pas facile. Nous habi-
tuons nos enfants à rencontrer les per-
sonnes qui nous rendent visite ici, puis dans
des endroits que nous connaissons ; c’est
pour eux l’occasion d’expliquer ce qu’ils font,
nous les immergeons dans cette obligation de
rencontrer l’autre.
Isabelle Bréda –
Comment réagissent vos élèves
face à ces projets impliquant des rencontres
publiques ?
Philippe Duyck
– Certains enfants sont complè-
tement bloqués, ils ne peuvent pas expliquer ; ils
se contractent complètement, se referment face
à l’inconnu. L’étrangeté de leur comportement,
l’étrangeté dans leurs élaborations intellectuelles,
ne pas pouvoir communiquer à travers une rela-
tion verbale, tout cela doit être pris en compte
pour ne pas les mettre en échec.
D’autres au contraire sont très heureux, même
si cette émulation du « on va sortir, on va parti-
ciper » leur prend un peu le ventre. J’aime à par-
ler du point d’orgue qui a jalonné l’année der-
nière : j’ai entendu et vu mes élèves d’ITEP parler
de Cézanne, Picasso, Max Ernst face à des adultes
inconnus, leur présenter le travail d’infographie
avec nombre de détails techniques… bref, être au
sein de rapports sociaux normaux et être recon-
nus pour ce qu’ils sont en positif.
Dominique Benracassa
– En 2007, pour les Ren-
contres de l’Orme à Marseille, nous étions tous
sidérés. Nos élèves sont restés assis deux heures,
à attendre leur tour pour passer. Pour la première
fois de leur vie, ils sont restés assis dans une salle
à écouter une conférence. Ils participaient à un
congrès, dans un amphithéâtre, avec des gens
sérieux, ils ne comprenaient pas grand-chose à ce
qui se disait, ils s’endormaient un peu, mais ils sai-
sissaient qu’il se passait quelque chose d’impor-
tant. On leur a donné un badge à l’entrée, ils ont
vu leur nom sur le programme, leur photo proje-
tée sur grand écran quand ils parlaient, ils ont
expliqué au public, en bafouillant, mais ils l’ont
fait. Ce sont des expériences dont ils se souvien-
dront toute leur vie, qui les porteront. On appuie
souvent toute sa vie sur un enseignant qu’on a
rencontré un jour, parce qu’il nous a fait com-
prendre quelque chose. Si nous parvenons à pro-
voquer cela, nous savons que nous les aidons.
Après ces moments-là, les enfants nous font
un peu plus confiance. Souvent je leur dis : « S’il
y a eu des adultes qui t’ont fait du mal, ici, tu
peux regarder, il y a peut-être des adultes qui ne
te veulent pas de mal. » On les apprivoise un peu.
Didier Poilbois
– Quand nous sortons avec cer-
tains d’entre eux, ils se disent entre eux qu’il
faut se tenir correctement. Ils commencent
à trouver les ressources et les mécanismes
qui les retiennent un peu, qui leur permet-
tent de vivre en société. Mais ils ne peu-
vent pas le faire très longtemps, cela leur
demande énormément d’énergie, et tous
n’y parviennent pas. Ces expériences sont
importantes à faire : il y a dans Saint-Yves et
hors de Saint-Yves. Ce qui compte, c’est
qu’adultes, ils puissent naviguer dans la société
sans trop de comportements extrêmes.
Philippe Duyck
– J’ajouterai que c’est très impor-
tant aussi pour nous, les adultes accompagnant
ces enfants. Après le vernissage de l’exposition à
la Méjeane, où nous étions cinq enfants et quatre
adultes, je les ai emmenés manger au restaurant,
en ville, pour leur montrer qu’ils étaient allés au
bout de ce projet et que nous étions fiers d’eux.
Travailler avec des enfants dans de telles difficul-
tés n’offre pas grand-chose au niveau de la nar-
cissisation professionnelle : les enfants font très
peu de progrès, et très lentement. De plus, quand
on travaille dans un établissement comme le
nôtre, on a l’impression d’être seul au monde. Il
faut savoir ne pas se refermer sur soi. Se faire
connaître, faire connaître ce que font nos
enfants… la reconnaissance par l’extérieur est
extraordinaire pour tout le monde.
Après chaque action fortement socialisante,
nous faisons toujours une importante médiation
interne. Je veux que personne de l’ITEP ne passe
à travers ce qui est reconnu comme positif dans
le travail de nos enfants : ils font le tour de tous
les services, ils expliquent. Ils doivent être recon-
nus pour leurs réussites, l’exact contraire de ce
pour quoi ils sont arrivés ici.
Certes, nous parlons d’un petit groupe d’élèves
dans une conjoncture particulière, mais il me faut
On leur a
donné un badge à
l’entrée, ils ont vu leur
nom sur le programme, leur
photo projetée sur grand
écran quand ils parlaient,
ils ont expliqué au public,
en bafouillant, mais
ils l’ont fait.
SE SOCIALISER, PRENDRE DES RESPONSABILITÉS
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LES DOSSIERS DE L’INGÉNIERIE ÉDUCATIVE
citer les autres enfants qui ont également accès
à ce projet. Je constate au quotidien que le tra-
vail avec les logiciels de création ou de retouche
d’images permet à nombre d’élèves d’accepter
de laisser une trace de ce qu’ils ont fait, d’inter-
peller le professeur sur un mode normalisé, bref
d’être sereins dans un lieu d’apprentissage qu’ils
ne perçoivent pas comme tel.
Cela les aidera-t-il ? Il ne faut pas être modeste
dans la force de propositions des projets. Ici, nous
leur proposons des activités que j’estime être de
haut niveau, ce travail sur la médiation artistique
donne des résultats extraordinaires. Mais en
même temps, nous devons rester un peu humbles.
Cette année, seuls six à dix enfants sont poten-
tiellement capables de « sortir », d’exporter un tel
projet. Ceux qui n’y parviendront pas vont pour-
suivre le travail en interne ; ils feront peut-être
partie des dix de l’année d’après. Nous ne verrons
probablement pas le fruit de notre travail sur le
plan psychologique. Sur le plan pédagogique,
nous constatons les résultats, mais sur trois ans,
pas moins.
Alexandre.
Joan.
Jérémy.
Alex.
Lionel.
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