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eL’océanographie française du XIX siècle à aujourd’hui
Remerciements à Patrick Geistdoerfer, directeur de recherche au CNRS, membre de l’Académie de Marine,
pour le précieux concours apporté à la réalisation de ce dossier publié à l’occasion des expositions
« l’océan, un défi commun », présentées du 22 mars au 2 octobre 2006, au musée national de la Marine à
Paris-Palais de Chaillot.
Source : « Marine et découverte des mers et des océans ». in Marine et sciences des Océans : Bulletin
d’études de la Marine. n°27. décembre 2003. p. 18-27
e2 partie
La course aux grandes profondeurs
eC'est au cours de la seconde moitié du XIX siècle que naît vraiment l’océanographie, que
le monde savant se tourne vers les profondeurs océaniques. Alors que les études marines
ne portaient jusque là que sur les éléments nécessaires à la navigation, hydrographie,
courants superficiels, marées, vagues, et sur les végétaux et animaux littoraux, l'océan
devient en sa totalité objet d'étude, et apparaissent les premiers travaux d'océanographie
dynamique, chimique, géologique et biologique.
Du fond de l’océan des espèces nouvelles
En France, l'institution universitaire prend les choses en main, en particulier la Faculté des
Sciences de Paris et le Muséum national d’Histoire naturelle. La Marine en tant que telle,
en France comme en Grande-Bretagne, est associée à cette recherche, car les pionniers de
l'océanographie ont besoin d'elle, de ses navires et de ses compétences.
L’intérêt pour les grands fonds n’est pas purement dû à la soif de connaissances. La pose
des câbles télégraphiques sous-marins, au cours des années 1850 et 1860, nécessite une
bonne connaissance du relief du fond des mers et des océans. Mais la cause déterminante
est l’affirmation de certains naturalistes qu'il n'y a plus de vie dans les mers au-delà de 600
mètres, en particulier l’anglais Edward Forbes qui se fonde sur les résultats de ses dragages
en mer Egée. Cependant plusieurs observations mettent en cause la réalité de cette
absence de vie, comme la présence d’un corail solitaire et de mollusques bivalves, fixés sur
un câble télégraphique sous-marin reliant la Sardaigne à l'Algérie, remonté en 1860, de 2
180 mètres de profondeur pour une réparation.
Pour démontrer que les zones profondes ne sont pas azoïques, les premières grandes
expéditions océanographiques sont entreprises, à partir de 1868, dans l’Atlantique nord-
est et en Méditerranée, à l'instigation de l'anglais Charles Wyville Thomson. Elles
1/3marquent les débuts de l’océanographie. Les bâtiments britanniques Lightning et
Porcupine draguent jusqu'à 4 550 mètres de profondeur. Toutes les récoltes confirment
que la vie dans les grandes profondeurs est abondante et variée, et que les organismes y
sont différents de ceux des eaux superficielles. De décembre 1872 à mai 1876 se déroule,
sous la direction de ce même Wyville Thomson, la célèbre campagne de la corvette de la
Royal Navy HMS Challenger qui établit définitivement que la vie existe à toutes les
profondeurs des océans. 58 890 milles marins sont parcourus, des pêches sont exécutées
allant jusqu’à des fonds de 5 200 mètres, et une profondeur de 8 810 m est découverte
près des îles Marianne dans l’océan Pacifique. Cette campagne fournit une énorme
moisson de données biologiques, bathymétriques, géologiques, physiques et chimiques,
publiées dans la cinquantaine de volumes des « Report on the scientific results of the
voyage of HMS Challenger during the years 1873-1876 », fondement de nos
connaissances sur les océans. « Le lit de la profonde mer, écrit, dès 1874, C. Wyville
Thomson, les 140 000 000 de milles carrés que nous venons d'ajouter au légitime champ
d'étude des naturalistes ne constitue pas un désert stérile. Il est peuplé d'une faune plus
riche et plus variée que celle qui pullule dans la zone bien connue des bas-fonds qui
bordent la mer ; ces organismes sont encore plus finement et plus délicatement
construits, d'une beauté plus exquise, avec les nuances adoucies de leurs coloris et les
teintes irisées de leur merveilleuse phosphorescence ». On découvre également que les
eaux profondes sont froides, -2°C à +2°C, comment elles se forment aux hautes latitudes
atlantiques et qu’elles sont animées de courants, « un courant froid parti des mers
polaires passe sur le fond de l'Atlantique. [...] Courant froid d'une grande lenteur » écrit
Wyville Thompson auteur du premier ouvrage d'océanographie traitant des grandes
profondeurs « The Depths of the Seas » (1874), traduit en français sous le titre beaucoup
plus fantastique de « Les abîmes de la mer ». Les abysses sont froides, mouvantes et
peuplées.
À la suite des britanniques les campagnes océanographiques se multiplient dans de
nombreux pays, Allemagne (1899), Pays-Bas (1900), Etats-Unis (1888).
Les campagnes du Travailleur et du Talisman
En France, « sous les auspices des Ministres de la Marine et de l’Instruction publique »,
Alphonse Milne-Edwards, professeur de zoologie au Muséum, effectue de 1880 à 1884
des expéditions, du golfe de Gascogne à Madère et en Méditerranée, à bord du
Travailleur, aviso à roues de la Marine nationale. Le Travailleur « n'a pas été construit
pour exécuter de lointains voyages, écrit Milne-Edwards en 1883. Aussi, dès mon retour,
en 1882, ai-je beaucoup insisté pour qu’un navire plus grand et pourvu d'une machine
plus puissante fût affecté aux recherches sous-marines ». Le ministre de l'Instruction
publique appuie sa demande, et grâce à son intervention, l'amiral Jauréguiberry, alors
ministre de la Marine, donne les ordres nécessaires ; un éclaireur d'escadre, le Talisman,
est aménagé en vue d'une campagne d'exploration sous-marine. Les ministres se montrent
même généreux : « A bord du Talisman, écrit A. Milne-Edwards, les cordes de chanvre
destinées aux dragages furent remplacées par un câble en fil d’acier offert à la Marine
par le Ministre de l’Instruction publique, et d’une solidité, d’une flexibilité extrêmes ».
En 1883, le Talisman fait des récoltes profondes jusqu'aux îles du Cap Vert, dans la mer
des Sargasses et au large des Açores, découvrant une profondeur de 6 250 mètres.
L’observation du relief sous-marin au large des Açores et l’examen des pierres ponces et
des roches volcaniques remontées par les dragues, font comprendre qu’existe « une
grande chaîne volcanique parallèle à la côte d’Afrique » ; c’est la dorsale médio-atlantique
qui ne sera mise en évidence que plus d’un demi-siècle plus tard ! Tous les animaux
2/3récoltés sont décrits et figurent depuis dans les collections du Muséum national d'Histoire
naturelle à Paris. « Les collections faites pendant les campagnes du Travailleur et du
Talisman, écrit en 1884 A. Milne-Edward, sont exposées dans une des salles du Muséum
d'Histoire naturelle où tous ceux qui s'intéressent au progrès des connaissances humaines
pourront voir réunis les animaux qui peuplent les profondeurs de la mer ».
La présence de la vie dans les grands fonds est maintenant définitivement établie : elle y
est abondante et variée et les animaux sont différents de ceux des eaux superficielles. Ce
sont des « espèces nouvelles pour la Science ».
Le soutien officiel n’est pas renouvelé les années suivantes et il faut attendre les débuts du
eXX siècle, pour que le prince Albert de Monaco et Jean-Baptiste Charcot offrent aux
scientifiques la possibilité de monter de véritables campagnes océanographiques.
3/3