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Ignace de Loyola – Education Conférence P. Fédou, Saint-Chamond, 12 novembre 2010
Pédagogie du Christ :
Quel éclairage pour la tâche éducative aujourd’hui ?
Le titre de mon intervention pourrait d’emblée susciter un étonnement : n’est-il pas
téméraire de rapprocher ainsi la tâche éducative et la pédagogie du Christ ? D’une part, dira-t-
on, n’est-ce pas faire trop bon marché de la distance historique entre notre époque et celle d’il
y a deux mille ans ? D’autre part, n’est-ce pas forcer le sens du mot « pédagogie », comme si
la situation d’un enseignant de collège ou de lycée, ou d’un responsable d’institution scolaire,
pouvait être comparée à celle de Jésus enseignant à ses disciples ?
Deux considérations, pourtant, nous encouragent à aborder le sujet. La première est
que le titre même de « pédagogue » a été jadis donné à Jésus : je fais allusion à un auteur
chrétien de la fin du IIe siècle, Clément d’Alexandrie, qui a composé tout un ouvrage intitulé
Le pédagogue, montrant précisément comment les paroles et les actes de Jésus ne sont pas
seulement porteurs d’une espérance pour l’au-delà mais sont à même de former les hommes et
les femmes, dès maintenant, dans les divers domaines de l’existence familiale et sociale. La
seconde considération est qu’il ne s’agira évidemment pas de faire ici un rapprochement
immédiat entre la pédagogie du Christ et la tâche éducative aujourd’hui ; nous aurons bien
plutôt à prendre acte du contexte spécifique qui est le nôtre. Mais je voudrais justement
montrer comment, dans ce contexte même, la tâche éducative peut recevoir éclairage et plus
encore inspiration du Christ de lui-même, de la manière dont il a parlé et agi, de la manière
dont il a contribué à la croissance de ceux et celles qu’il rencontrait sur sa route – en un mot,
de la manière dont il a été lui-même « pédagogue ».
Je commencerai par rappeler brièvement des caractéristiques de notre situation
actuelle, ce qui me conduira à formuler plus précisément la visée principale de mon
intervention ; puis j’évoquerai quelques traits de majeurs de ce qu’on peut appeler la
« pédagogie du Christ », et je montrerai finalement comment la responsabilité éducative peut
s’en trouver éclairée aujourd’hui.
I) Le contexte actuel
La situation dans laquelle s’exerce la tâche éducative présente un certain nombre de
caractéristiques ; j’en énumère au moins six, qui sont bien connues, mais qu’il importe de
rappeler en quelques mots au début de notre parcours, du fait même de leurs incidences sur
l’éducation :
1) Tout d’abord, c’est une situation marquée par l’horizon de la mondialisation, avec
tous ses avantages et toutes les richesses dont elle est porteuse, mais aussi avec les risques
auxquels elle expose, en particulier le risque qu’elle ne favorise un certain effacement des
racines, ou en tout cas un bouillage ou une confusion des diverses traditions (on est en
quelque sorte « branché » sur le monde entier – via les voyages, les medias, internet, etc. –
mais on peut aussi perdre la mémoire vivante de ses propres racines, avec les effets de
déstructuration qui peuvent s’en suivre).
Michel Fédou sj – Pédagogie du Christ page 1/12Ignace de Loyola – Education Conférence P. Fédou, Saint-Chamond, 12 novembre 2010
2) Deuxième trait, non sans lien avec le précédent : l’ampleur des mutations
culturelles. J’ai déjà fait allusion aux medias et à internet, mais il faudrait parler plus
largement de toutes les transformations induites par les progrès des sciences et des techniques.
Ces progrès sont en soi des avancées dont nous bénéficions chaque jour, mais ils ont des
effets sur ce qu’il y a de plus élémentaire dans la condition humaine. Cela est vrai à l’échelle
de la société et du monde en général, car les évolutions technologiques risquent d’être
utilisées ou exploitées dans le sens de ce qui détruit l’humanité. Mais cela est vrai aussi au
niveau le plus personnel : les progrès dont nous bénéficions peuvent par exemple favoriser
des comportements individualistes ; ils touchent le rapport à la corporéité, la manière de gérer
son temps, etc.. La question se pose avec force pour les éducateurs : comment aider des jeunes
à se structurer humainement dans un tel contexte ?
3) Troisième trait : on peut dire que, sur le plan éthique, le christianisme a perdu toute
une part de son influence traditionnelle sur les manières de vivre. Certes, on sait bien qu’il y a
toujours eu dans les siècles antérieurs, même au temps de la chrétienté, des résistances à ce
qu’on appelle traditionnellement la morale chrétienne ; celle-ci bénéficiait néanmoins d’un
consensus fondamental qui contribuait à la structuration même de la société, par exemple à
propos des relations sexuelles, du mariage, ou encore de l’attitude par rapport à des personnes
en fin de vie. Or le fait nouveau est que ce consensus même est pour une part défait – pour
une part seulement, car l’empreinte du christianisme se vérifie encore de bien des manières
dans notre société ; mais il reste que, là où des valeurs d’inspiration chrétienne ont été
longtemps reconnues comme « faisant référence » (y compris pour des agnostiques ou des
incroyants), elles ne jouissent plus aujourd’hui de la même reconnaissance sociale et que la
législation elle-même, dans certains pays d’Europe surtout, porte la marque de cette évolution.
4) A cela s’ajoute, quatrième trait, le phénomène du pluralisme religieux. Phénomène
qui n’est pas d’aujourd’hui, tant s’en faut, mais qui se trouve accentué de par la
mondialisation et surtout du fait de l’expansion récente de l’islam en Europe. Les effets de ce
phénomène sont bien connus : d’un côté, sans doute, des occasions inédites de contacts avec
d’autres croyants et de connaissance de leurs religions (avec un bénéfice possible pour les
chrétiens, par là même conduits à approfondir leur propre foi) ; mais d’un autre côté, aussi,
l’attrait du relativisme (« à chacun sa vérité »), ou des formes de syncrétisme (on combine des
croyances ou pratiques de diverses religions), sans oublier non plus les réactions inverses dans
le sens d’un raidissement identitaire face à la concurrence des autres religions. Le monde de
l’éducation est directement atteint par ce phénomène du pluralisme, et la question se pose
jusque dans les établissements d’inspiration chrétienne dans la mesure où ils accueillent eux-
mêmes des élèves appartenant à d’autres traditions religieuses.
5) Un cinquième trait peut être mentionné, qui n’est pas du même ordre que ce qui
précède et qui en découle cependant : le sentiment de fragilité, ou encore de vulnérabilité,
présent de manière diffuse mais bien réelle dans notre société actuelle. C’est là encore, certes,
un sentiment de toujours, mais il est renforcé aujourd’hui, non seulement du fait de la crise
économique, des difficultés de l’emploi ou d’autres facteurs de ce type, mais aussi du fait de
tous les phénomènes que j’ai relevés précédemment. Les effets conjugués de la
mondialisation, des mutations culturelles, du relativisme moral et du pluralisme religieux
Michel Fédou sj – Pédagogie du Christ page 2/12Ignace de Loyola – Education Conférence P. Fédou, Saint-Chamond, 12 novembre 2010
contribuent à mettre dans l’inquiétude sinon dans l’angoisse. On peut ne pas s’en apercevoir,
car beaucoup se fraient un chemin à travers tout cela et, comme on dit, « s’en tirent bien » du
point de vue familial ou professionnel, et il y a par ailleurs des formes de socialisation (par
exemple autour du sport, ou de la musique) qui mobilisent les énergies et apportent avec elles
passion et enthousiasme. Le sentiment de fragilité n’en est pas moins là, prêt à se manifester à
l’occasion d’une crise et d’une épreuve (un problème de santé, une souffrance morale, un
deuil…), et un sentiment de fragilité d’autant plus fort que les personnes concernées peuvent
se sentir alors très seules, sans le soutien de parents ou d’amis à qui ils puissent vraiment se
confier. Qui donc n’a jamais été confronté, dans l’exercice de la tâche éducative, à ces
situations dans lesquelles des personnes (et pas seulement des