Alphonse AllaisDeux et deux font cinqCannes, Décembre 1893.Un jeune garçon de mes amis, M. Gabriel de Lautrec, m’envoie une lettre deconception tourmentée et de forme — dirais-je ? — incohérente.L’idée m’est venue, un instant, de ne la publier point. Mais, au seul horizon de laremplacer par une vague littérature de mon cru, le sang ne m’a fait qu’un tour, unseul, et encore !Il fait du soleil sur la promenade de la Croisette, comme s’il en pleuvait. La tournéeSaint-Omer est dans nos murs, dans le but évident de jouer ce soir le Sous-préfetde Château-Gandillot, par notre sympathique camarade, le jeune et déjà célèbreauteur dramatique Ernest Buzard. Je ne voudrais pas manquer la petite pièce quisert de lever de rideau. Alors, quoi ? je n’ai qu’à me dépêcher.La seule ressource me demeure donc d’insérer dans nos colonnes la missive de ceGabriel de Lautrec, qui ne sera jamais, décidément, sérieux :« Mon cher Allais,» Je couvre mes yeux de ma main, un instant ; je rejette en arrière, d’un mouvementconvulsif, mes cheveux où mes doigts amaigris mettent un désordre voulu ; jeranime la flamme jaune des bougies dans les chandeliers d’ébène, en cuir deRussie, qui sont le plus bel ornement de mon intérieur ; j’envoie un sourirevoluptueux et morne à l’image de la seule aimée, et, après avoir disposé sur mesgenoux, symétriquement, les plis du suaire à larmes d’argent qui me sert de robede chambre, je vous écris — c’est à cette circonstance bien personnelle que ...
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