Charles Baudelaire
L’Art romantique
X
RICHARD WAGNER
ET
TANNHÄUSER
À PARIS
I
Remontons, s’il vous plaît, à treize mois en arrière, au commencement de la
question, et qu’il me soit permis, dans cette appréciation, de parler souvent en mon
nom personnel. Ce Je, accusé justement d’impertinence dans beaucoup de cas,
implique cependant une grande modestie ; il enferme l’écrivain dans les limites les
plus strictes de la sincérité. En réduisant sa tâche, il la rend plus facile. Enfin, il n’est
pas nécessaire d’être un probabiliste bien consommé pour acquérir la certitude
que cette sincérité trouvera des amis parmi les lecteurs impartiaux ; il y a
évidemment quelques chances pour que le critique ingénu, en ne racontant que ses
propres impressions, raconte aussi celles de quelques partisans inconnus.
Donc, il y a treize mois, ce fut une grande rumeur dans Paris. Un compositeur
allemand, qui avait vécu longtemps chez nous, à notre insu, pauvre, inconnu, par de
misérables besognes, mais que, depuis quinze ans déjà, le public allemand
célébrait comme un homme de génie, revenait dans la ville, jadis témoin de ses
jeunes misères, soumettre ses œuvres à notre jugement. Paris avait jusque-là peu
entendu parler de Wagner ; on savait vaguement qu’au-delà du Rhin s’agitait la
question d’une réforme dans le drame lyrique, et que Liszt avait adopté avec ardeur
les opinions du réformateur. M. Fétis avait lancé contre lui une espèce de
réquisitoire, et les personnes curieuses de feuilleter ...
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