Journal d’un écrivain/1876/Janvier, II

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Fédor Mikhaïlovitch DostoïevskiJournal d’un écrivainTraduction J.-Wladimir Bienstock et de John-Antoine Nau.Charpentier, 1904 (pp. 151-155).IILE PETIT PAUVRE CHEZ LE CHRIST, LE JOUR DE NOËL.Je suis romancier, et il faut toujours que j’écrive des « histoires ». En voici une que j’ai composée de toutes pièces, mais je me figuretoujours qu’elle a dû vraiment arriver quelque part, la veille de Noël, dans quelque très grande ville et par un froid horrible.Mon héros est un enfant en bas âge, un petit garçon de six ans ou de moins, trop jeune encore, par conséquent, pour aller mendier.D’ici à deux ans, toutefois, il est très probable qu’on l’enverra tendre la main.Il se réveille, un matin, dans une cave humide et froide. Il est habillé d’une mince petite robe et tremble. Son haleine sort de sa bouchecomme une fumée blanche, et il s’amuse à regarder la fumée sortir. Mais bientôt il souffre de la faim. Près de lui, sur un matelasmince comme une galette, un paquet sous la tête en guise d’oreiller, gît sa mère malade. Comment se trouve-t-elle ici ? Sans douteelle est venue avec son enfant d’un village lointain et a dû s’aliter presque en arrivant. La propriétaire du sinistre logement a étéarrêtée depuis deux jours par la police. Les locataires se sont dispersés ; seuls, un marchand d’habits et une vieille de quatre-vingtsans sont restés ; le marchand d’habits est étalé sur le sol, ivre-mort, car nous sommes dans la période des fêtes. La vieille, peut-êtreune ...
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Fédor Mikhaïlovitch Dostoïevski Journal d’un écrivain Traduction J.-Wladimir Bienstock et de John-Antoine Nau. Charpentier, 1904(pp. 151-155).
II
LE PETIT PAUVRE CHEZ LE CHRIST, LE JOUR DE NOËL.
Je suis romancier, et il faut toujours que j’écrive des « histoires ». En voici une que j’ai composée de toutes pièces, mais je me figure toujours qu’elle a dû vraiment arriver quelque part, la veille de Noël, dans quelque très grande ville et par un froid horrible.
Mon héros est un enfant en bas âge, un petit garçon de six ans ou de moins, trop jeune encore, par conséquent, pour aller mendier. D’ici à deux ans, toutefois, il est très probable qu’on l’enverra tendre la main. Il se réveille, un matin, dans une cave humide et froide. Il est habillé d’une mince petite robe et tremble. Son haleine sort de sa bouche comme une fumée blanche, et il s’amuse à regarder la fumée sortir. Mais bientôt il souffre de la faim. Près de lui, sur un matelas mince comme une galette, un paquet sous la tête en guise d’oreiller, gît sa mère malade. Comment se trouve-t-elle ici ? Sans doute elle est venue avec son enfant d’un village lointain et a dû s’aliter presque en arrivant. La propriétaire du sinistre logement a été arrêtée depuis deux jours par la police. Les locataires se sont dispersés ; seuls, un marchand d’habits et une vieille de quatre-vingts ans sont restés ; le marchand d’habits est étalé sur le sol, ivre-mort, car nous sommes dans la période des fêtes. La vieille, peut-être une ancienne bonne d’enfants, se meurt dans un coin. Comme elle bougonne en geignant, l’enfant n’ose pas approcher de son grabat. Il a trouvé un peu d’eau à boire, mais il ne peut découvrir le pain, et pour la dixième fois, le voici qui vient vers sa mère pour la révei1ler. La journée se passe ainsi. Le soir arrive, et il n’y a personne pour apporter une lumière. Le petit s’approche encore du matelas de sa mère, tâte sa figure dans l’ombre et s’étonne de la trouver aussi froide que le mur. Le corps semble inerte. « C’est parce qu’il fait trop froid ici, » murmure-t-il, et il attend, oubliant que sa main est posée sur l’épaule de la morte… Puis il se relève, souffle dans ses doigts pour les réchauffer. Il fait quelques pas et l’idée de sortir de la cave lui vient. Il gagne la porte à tâtons ; dans l’escalier, il a peur d’un gros chien, qui aboie tous les jours quelque part sur les marches ; mais le gros chien est absent. Le petit continue son chemin, et le voici dans la rue. Dieu ! Quelle ville ! Jusqu’ici il n’a rien vu de semblable. Là-bas, dans le pays d’où il est venu, voici quelque temps, il n’y avait, de nuit, dans chaque rue enténébrée, qu’une seule lanterne d’allumée. Les maisonnettes de bois, très basses, avaient, toutes, leurs volet clos. Dès qu’il faisait noir, il n’y avait plus personne sur la chaussée ; tous les habitants s’enfermaient chez eux ; on ne rencontrait que des troupes de chiens, des centaines de chiens qui hurlaient dans la nuit épaisse. Mais comme il avait chaud chez lui ! Et on lui donnait à manger là-bas ! Ah ! si l’on pouvait seulement manger, ici ! Mais quel bruit dans cette ville et quelle lumière ! Que de gens circulent dans cette clarté ; et tant de voitures et ce bruit qu’elles font ! Mais, surtout, quel froid, quel froid ! Et la faim qui le reprend… L’onglée lui fait un mal !… Un agent de police passe et détourne la tête pour ne pas voir le petit vagabond. Voici une autre rue : qu’elle est large ! Oh ! il va être écrasé ici, bien sur ; ce mouvement l’affole, cette lumière l’éblouit ! Mais qu’y a-t-il là, derrière cette grande vitre illuminée ? Il voit une belle chambre, et dans cette chambre un arbre qui monte jusqu’au plafond. C’est l’arbre de Noël, tout piqué de petits points de feu ! Il y en a, là-dessus, des papiers dorés et des pommes, et des joujoux, poupées, chevaux en bois ou en carton ! De tous côtés, dans la grande pièce, courent des enfants parés, pomponnés. Ils rient, ils jouent, ils boivent, ils mangent ! Voilà une jolie petite fille qui se met à danser avec un petit garçon ; quelle jolie petite fille ! On entend de la musique au travers de la vitre. Le petit pauvre regarde, s’étonne ; il rirait déjà presque, mais ses mains et ses pieds lui font trop mal ! Comme elles sont rouges, ses mains ! Leurs doigts ne peuvent plus se plier. L’enfant souffre trop pour rester en place ; il court aussi fort qu’il peut. Mais voici une autre vitre plus flamboyante que la première. La curiosité a raison de la douleur. Quelle belle chambre il aperçoit ! Encore plus merveilleuse que l’autre ! L’arbre est constellé comme un firmament ! Sur les tables s’étalent des gâteaux de toute sorte, jaunes, rouges, multicolores : quatre belles dames, luxueusement vêtues, se tiennent auprès et donnent des gâteaux à tout venant : la porte s’ouvre à chaque minute ; des messieurs entrent. Le petit garçon s’approche à pas de loup, profite d’un moment où la porte est entrebâillée et apparaît dans la pièce. Oh ! il faut voir comme il est reçu ! C’est une tempête d’invectives ; certains vont jusqu’à lever la main sur lui. Une dame s’approche du petit, lui glisse un kopek dans la main et le met doucement dehors. Comme il a eu peur ! Et le kopek s’échappe de ses petits doigts rouges et gourds qu’il ne peut plus refermer ! Et il court, il court : il ne sait plus où, lui-même. Il voudrait pleurer, mais il ne peut plus, il a eu trop peur ! Il court et souffle dans ses pauvres doigts tout douloureux. Sa peur augmente. Il se sent si seul. Il est bien perdu dans la ville. Mais soudain, il s’arrête encore : Dieu juste ! qu’aperçoit-il, cette fois ? Le spectacle est si beau qu’une foule stationne pour l’admirer. Derrière la glace de la fenêtre, trois pantins merveilleux, habillés de vert et de rouge, se meuvent, comme vivants. L’un ressemble à un vieillard et joue du violoncelle ; les deux autres jouent du violon en hochant leurs petites têtes en mesure. Ils semblent se regarder, leurs lèvres remuent comme s’ils parlaient ; seulement on n’entend rien à travers la glace. Le petit garçon croit d’abord que les pantins vivent ; ce n’est qu’un peu plus tard qu’il comprend que ce sont des jouets. Il rit de satisfaction. Quels beaux pantins ! Jamais il n’en vit de pareils ; jamais il ne soupçonna même qu’il pût y en avoir de semblables. Il rit, et il a presque envie de pleurer ; mais ce serait trop ridicule de pleurer à cause deantins !… Tout à couil sentu’on emoi neson auvrevêtement etu’on le secoue. Unrand aron deh sionomie
méchante le frappe au visage, lui prend sa casquette et le maltraite à coups de pied. Le pauvre petit tombe sur le pavé ; il entend qu’on crie, se relève et se met à courir, à courir… jusqu’au moment où il aperçoit une cour sombre où il pourra se cacher derrière une pile de bois. Il retombe dans sa cachette ; il souffre, il ne peut reprendre sa respiration ; il suffoque, suffoque… et, soudain, que c’est bizarre !… il se sent très bien, guéri de tout ; jusqu’à ses petites mains qui cessent de lui faire mal ! Et il a chaud ; c’est une chaleur douce qui l’envahit comme s’il se trouvait près d’un poêle. Il s’endort ! Qu’il est doux aussi le sommeil qui le prend ! « Je vais rester ici un petit instant, se dit-il, puis j’irai revoir les pantins. » Mais il entend sa mère, — qui est morte, pourtant ! — chanter auprès de lui : « Ah ! maman, je dors ! Comme c’est bon de dormir ici ! » · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · — Viens chez moi voir l’arbre de Noël, murmure au-dessus de lui une voix suave. Il croit d’abord que c’est toujours sa maman ; mais non ! ce n’est pas elle ! Qui donc lui parle ? Il ne sait pas… Mais quelqu’un se penche vers lui et l’embrasse… et tout à coup, quelle lumière ! Quel arbre de Noël, aussi ! Il n’a jamais rêvé un tel arbre de Noël ! Tout brille, tout resplendit, et le voici entouré de petits garçons et de petites filles qui semblent rayonnants de lumière et tournant en voletant autour de lui, qui l’embrassent, l’enlèvent, l’emporte avec eux ; il flotte comme les autres dans la clarté, et sa mère est tout près, qui le regarde et sourit joyeusement : — Maman, maman ! Ah ! que c’est breau ici ! crie l’enfant. Et, de nouveau, il embrasse ses petits compagnons et voudrait leur raconter tout de suite ce que faisaient des pantins derrière la vitre illuminée. Mais une curiosité le prend :
— Qui êtes-vous, petits garçons et petites filles ?
— Nous sommes les petits invités qui venons voir l’arbre du Christ, répondent les enfants. Le Christ a toujours, à Noël, un bel arbre pour les enfants qui n’ont pas leur arbre de Noël, à eux.
Et il apprend que tous ces bébés ont été des petits malheureux comme lui. Les uns ont été découvert gelés dans des paniers où ont les avait abandonnés, à la rue ; les autres ont été asphyxiés chez des nourrices finnoises ; d’autres sont morts à l’Hospice des Enfants trouvés ; d’autres encore ont péri de faim près des mamelles desséchées de leurs mères pendant la famine de Samara, et tous sont là maintenant, devenus des anges, chez le Christ que voici au milieu d’eux, souriant et les bénissant, eux et leurs mères, les pécheresse. Car elles sont là aussi, les mères, et les enfants volent vers elles et les embrassent, essuient leurs larmes de leurs petites mains et leur disent de ne pas pleurer puisqu’on est si heureux, à présent !…
Le matin, des domestiques ont trouvé, derrière une pile de bois, le cadavre gelé d’un petit garçon ; on a retrouvé aussi le corps de sa mère, morte dans le sous-sol. Tous deux, vous le savez maintenant, se sont rencontrés chez le Bon Dieu.
Pourquoi ai-je composé cette histoire puérile qui fait un singulier effet dans le carnet d’un écrivain sérieux ? Moi qui avais promis de ne raconter dans ce carnet que des choses vraies, arrivées !
Mais voilà !… Il me semble que tout cela aurait pu avoir lieu en réalité… Surtout la découverte des deux cadavres !… Quant à l’arbre de Noël, — mon Dieu ! — n’est-ce pas un peu pour inventer que je suis romancier ?
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