BouddhaJules Claretie1888Sommaire1 I.2 II.3 III.4 IV.5 V.I.Sur le balcon du Cercle des Armées de Terre et de Mer, en achevant leur café, ilscausaient, se retrouvant là après des mois et des mois, des mois d’exil, demaladie, de batailles, de blessures. En tête-à-tête, dans le délicieux bavardage dupremier cigare, après le café, les deux camarades souriaient, évoquant les annéesenfuies, les souvenirs de l’École, les promenades militaires, les jours de sortie,d’examen ou d’escapade, et la première épaulette et la dernière revue, la revued’hier, à Longchamps, devant les tribunes, ce défilé des T o n k i n o i s sous lesacclamations d’une foule, les sourires des mères, les bravos des anciens, leslarmes des femmes.Tous deux décorés de la Légion d’honneur, l’un des deux amis, la taille fine serréedans la redingote bourgeoise, regardait, sur la tunique bleu de ciel des officiers deturcos que portait son camarade, la médaille d’argent qui pendait au bout du largeruban semé de vert clair et de jaune, avec ses noms barbares représentant deuxans de sacrifices, deux ans d’héroïsme : Son-Tay, Bac-Ninh, Fou-Tcheou,Formose, Tuyen-Quan, Pescadores ; — et tout en fumant, il se disait qu’il en avaitfallu du sang de braves gens, Africains, Alsaciens, Bretons, Berrichons, petitstroupiers, fantassins, fusiliers marins, chasseurs à cheval, soldats du train, et tantd’autres, tant d’autres, pour écrire là, sur une médaille d’argent, ces deux dates :1883-1885, et les ...
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