LA BETE

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Certaines nuits, j’entends encore dans mes rêves la bruyère qui frémit, avant que ne retentisse l’appel long et tourmenté de la solitude. Elle rôde sous les épaisses futaies de la forêt. Certaines nuits je me réveille en sursaut, certaines nuits j’ai peur.
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15 février 2013

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Français

LA BETE DU BOIS DE PALSOU Certaines nuits, j’entends encore dans mes rêves la bruyère qui frémit, avant que ne retentisse l’appel long et tourmenté de la solitude. Elle rôde sous les épaisses futaies de la forêt. Certaines nuits je me réveille en sursaut, certaines nuits j’ai peur.Mais je ne vais pas vous parler du loup comme une commère qui radote, à l’heure de la cybernétique appliquée. Vous allez ricaner et vous aurez bien raison. Je ne veux pas faire scandale avec des propos soutenus par une absence de fait. Laissons la commère affligée et qui radote en ajustant son dentiers’occuper de çà. A la fin de cette narration, une question nous sera posée, et cette question làn’est pas soluble dans le marc de café. * Qui n’a jamais vu des formes maladroitement esquissées dans les ténèbres ? Depuis longtemps elles se trouvent là.Qui n’a pas pris avec le temps cette habitude malsaine à contempler des peurs inexplicables ? Certaines nuits, je me réveille inquiété par une image, une seule, que je ne peux identifier. Certaines nuits encore, le plancher craque et dans le noir je tente d’intercepter une présence.Les diodes vertes, rouges, de mes équipements ménagers, informatiques et téléphoniques clignotentdans l’obscuritécomme les guirlandes d’un sapin de Noel.Elles sont sages et bien alignées.
Elles apaisent mes sens engourdis avec les leurres qu’elles produisentpar leurs effets de clignotement. Certaines nuits enfin, lorsque j’appuie sur l’interrupteur, ma chambre apparait dans une douce quiétude. Des ombres immenses s’étirent au plafond, inoffensives et comme toujours, mon chat Fly Away dort couché en rond au fond du lit. Les créations modernes ne m’invitent pas à rêver. Je sombre alors dans des songes habités. Même si parfois la nature se trompe et qu’on ne peut totalement compter sur elle, je m’abandonne à mon esprit vagabond, et observe de près mes déviances. Je rentre sans le savoir dans mes réminiscences. Les diodes vertes et rouges s’éteignent l’une après l’autre. Je baigne dans ce jus noir qui inquiète tant, réputé pour noyer les esprits vulnérables. Mon imagination hésite toujours devant cette perspective sombre, puis finit par céder. Des ombres s’amoncèlent et me disent de me hâter. Je pars sur un chemin fait d’ornières. Pourtant ici, avec sacharrette tirée par des bœufs, plus d’un homme a poursuivi sa course insouciante sur la route communale. Qui y a-t-il au bout du chemin ? Pourquoi n’ai? Une-je aucune envie de le savoir lune gibbeuse se lève pour éclairer mes pas. Elle se drape d’une brume cotonneuse dans laquelle tout redevient fictif. On entend sonner le clocher : le bruit d’un loquet. Une porte se ferme en gémissantdans le froid.C’est la grande solitude derrière les portes. *
Froid, comme cet hiver de 1765ou l’on dit de mémoire d’homme qu’on n’a pas souvenir d’hiver plus rigoureux. Il faisait un froid à pierre fendre au pays de l’ancien peuple gaulois des Gabales. Aujourd’huic’est l’Aubracet la Margeride, mais jusqu’à la révolution française, cette région portait le tristement célèbre nom de Gévaudan. * Sous un vent qui chasse, la journée n’était qu’un long crépuscule. Une vieille lumière fatiguée, blafarde et métallique se diffusait dans le ciel sans couleur. C’était l’année de tous les fléaux. Bien qu’égaré dans cette penséej’armais machinalement le fusil. La mule attendait devant la porte, silencieuse comme une morte.Elle n’avait pas vraiment envie d’aller bosser. Mais elle savait se montrer compréhensive : comme une mule. Nous venions de passer la Sainte Catherine, et Angélie nous avait bien prévenus : -« Remontez le bois du fonddes combes, l’hiver sera rude cette année ! Et gare aux mauvaises rencontres : portez le fusil ! » Angeliene s’étaitpas trompé. Ici nous n’avions pas de talisman, de gris-gris, de grands sorciers, ni de sages, nous avions Angélie. Sa voix grave portait loin, et lorsqu’il parlait, on écoutait son propos. Le bois n’était pas encore tout à fait rentré. Il fallait repartir au fin fond de la forêt retrouver les coupes anciennes. Rentrer le bois était un travail astreignant, mais au moins çà réchauffait les organismes. En descendant par le chemin des
Perrières, les feuilles et les branches mortes craquaient sous les roues du charreton. La mule clopinait,l’échine basse. La carriole cahotait sur le chemin pierreux, et Bouly qui avait froid aux pattes avait préféré grimper sur le plateau de la charrette brinquebalante. Une odeur de champignons me monta vite au nez. Cétait celle de la nature lorsqu’elle s’endort dans les bras de l’hiver.Le Gévaudan paraissait encore plus sauvage et désertique que d’habitude. Passé les Perrières et chez Maria, plus de maison, plus de toiture, plus de cheminée qui fume. Je descendais, je descendais et commençaisà m’enfoncer dans la grande forêt de Palsou. Au début, il y avait quelques clairières, et là je relevais les pièges. La prise était bonne : trois grives et un lapin.C’était toujours çà de gagné sur la faim. La faim qui tenaillait les organismes en cet hiver de 1765. * Je me sais malade: j’ai des tendances à la schizophrénie et à la mélancolie. Je ne sais pas où sont les frontières entre les visions au sens ésotérique, les hallucinations, et les confusions. J’ai un suivi médical et thérapeutique soutenu. Je suis condamné aux neuroleptiques à vie. Mes crises de délire sont rares mais violentes. J’éprouve à ce moment là une désorganisation très importante de la pensée. Je plonge dans une apathie sournoise, et m’isole du monde. Jecrois connaître l’origine de ce mal difficile à traiter. Enfant, vers l’âge de deux ans, j’ai été victime d’une convulsion. Le nerf optique a été
atteint et j’ai progressivementperdu la vue de l’œil gauche, et ressens souvent des fourmillements sur toute la partie gauche du visage. Cà me provoque des crises passagères puis elles finissent par passer. Mis à part ce handicap, je vis comme tout le monde : c'est-à-dire boulot, métro, dodo. Au quotidien l’angoisse du sommeil me tenaille, car je sais que la nuit tous mes sens sont affectés. Seul mon environnement me rappelle à une réalité tangible.Je m’accroche alors au réel et retrouve peu à peu ma vie normale.Je m’en sors plutôt bien sauf au moment où, certaines nuits, j’entrevois sa face carnassière, bavant toute la sauvagerie qu’une créature improbable puisse vomir. Elle me guette jusque dans les recoins les plus intimes de ma demeure. Des souvenirs remontentje ne sais d’où. * Cà sentait le bois mort, la putréfaction. En s’étendant devant moi à perte de vue, la forêt donnait la sensation d’un site vierge de toute présence. Dans son ventre elle abritait l’étrange étang de Coucoulogne. Ses rives étaient désormais prises par le gel. Lumières pâles, ombre tremblotantes sur les eaux profondes et sombres de l’étang.Ici et là, la forêt se parait d’un charme sauvage. Elle faisait l’effet d’un embrasement, d’un espace cohérent et entier. Le jour hésitait à s’étendre sur les frondaisons des arbres. Il semblait glisser, passer furtivement dans le ciel. Je me demandais si j’allais l’entendre aujourd’hui. En tous cas, Jean Marie m’avait dit deux semaines
plus tôt qu’il avait repéré des traces de son passage dans la boue.  Des rafales de vent glacial faisaient pleurer les yeux. Nous arrivions à la coupe. Quelques flocons blancs voletaient autour de moi. Le froid aux tripes, je descendais de la carriole et empoignais à la hâte mon panier à provision. Le café était encore chaud dans la gourde en métal tout bosselé. La chaleur de la gourde traversait mes moufles épaisses. Je la sentais au bout de mes doigts engourdis. Le café coulait lentement dans ma gorge. Je prenais mon temps, car le froid m’empêchait de respirer profondément. C’était un authentique instant de bonheur, éphémère à souhait. Le temps de savourer ce bien être immense, le temps d’en prendre juste conscience, le temps de rien en somme. Enfin armé de mon seul courage et d’une hache, j’entamais mon travail de bucheronnage. * Le face à face dramatique avec moi-même se termine toujours sur cet invariable constat : je suis affecté par quelque chose dont je ne connais pas la cause. L’ordinateur se met en veille, et le fond d’écran se transforme en un kaléidoscope d’images que j’ai moi-même installé sur le disque dur. Je vais chercher un café à la machine à café, etm’invite à le boire devant cette mosaïque d’imagesdéfile sur un écran scintillant. Je qui cherche inconsciemment la cause de mon mal-être. Cette quête suggestives’effectuedevant cet écran
rempli de pixels qui se succèdent sans un ordre prédéfini.Cà calme mes moments d’angoisse lorsque le café est bon. Marcher dans sa tête : tout çà n’a aucun sens, je le sais bien mais comment traiter de tels abattements. Je n’aime pas sortir, car la ville est un immense mensonge à ciel ouvert. Je frotte mes mains sur mes cuisses machinalement, j’avance légèrement la chaise sur laquelle je suis assis, et me mets à taper sur le clavier frénétiquement. J’envoie deux ou trois messages comme autant de bouées de sauvetage. Je m’improvise une vie parallèle tout en restant connecté sur le répertoire de l’entreprise. Je me tiens au courant, même si je ne suis pas sollicité ou très peu, même si je ne participe plus, même si çà ne sert plus à rien. Mon problème est ailleurs, comme si j’étais seul au monde face à une menace épouvantable et non identifiée quant bien même il y a la lumière à tous les étages. * Les copeaux de bois volaient, sautaient, crépitaient sous les coups de boutoir du tranchant de la hache. Je me réchauffais bien vite à cette cadence. L’écureuil rouge était invisible en cette saison. Seuls quelques petites mésanges et des rouges-queues venaient se disputer les mies de pain que je venais de leur distribuer. Soudain un hurlement glacé se fit entendre dans le tréfonds de la forêt. Cela semblait lointain et proche à la fois.C’était un hurlement ou une plainte
qui n’en finissait plus. C’était une résonnance sinistre qui ne s’arrêtait plus. Le silence qui suivit me pétrifia sur place. Il portait plus de menace encore que la fureur de la bête ne pouvait en contenir. Le bon vieux fusil était là, tout près de moi, posé sur la musette. Bouly était réapparu. Il tremblait de tous ses membres et grognait en jappant. Les poils étaient hérissés sur son échine. Il vint vers moi en remuant la queue cherchant la protection du maître.  Quelques secondes plus tard, la longue plainte se répéta, plus terrible, plus menaçante que la première. Le geste arrêté, le souffle court, tous mes sens étaient à l’affut. Jevenais de poser la hache et armer le fusil. Le temps était suspendu. Je respirais au ralenti, à l’économie pour mieux écouter cet environnement hostile dans lequel je m’étais perdu.Le chien ne me regardait pas. Il surveillait, l’oreille à l’affût, tous les bruits et les craquements des moindres brindilles. * Il y a des journées fluides, où les choses se suivent et s’enchaînent sagement, sans aucun accroc. La ville me parait presque accueillante. Complètement désinhibé, je la traverse souriant au passage aux êtres que je croise. Mon esprit vit au présent et ne se consume pas dans quelques réminiscences hasardeuses. Comme Monsieur Toulemonde, je vaque à mon quotidien sans me poser de question. Et puis des jours comme aujourd’hui, où la ville est si tendue qu’il me semble à chaque
carrefour que quelque chose de grave va arriver. Je sens une tension derrière la nuque qui présage d’un stress et des émotions incontrôlées. Les coups de klaxon hostiles me font monter l’adrénaline. Une sourde panique m’étreint. Je me perds dans des images confuses et lointaines. Je suis dans un état de conscience aigüe, singulier. Je remarque tout, chaque mouvement, chaque geste, chaque bruit. Trop d’informations m’arrivent en même temps, et je plonge de nouveau dans cet état de désespoir dont je ne peux connaitre la cause. La violence et la peur ne ressemblent pas toujours à ce que l’ondistille dans nos idées reçues. Je voudrais tellement vivre normalement.
* La neige recommençait à tomber sur la forêt. Je ne pouvais pas reprendre la besogne. J’étais trop accaparé par mes sens et ressentait violement cette vulnérabilité absurde pour laquelle j’étais devenu l’objet. Je restais là, immobile un bon moment, scrutant à travers les trouées des fourrés, cherchant du regard et de l’ouïemoindre signe, le moindre le indice trahissant une présence toute proche. La peur me tenaillait. La bête immonde m’entourait: elle m’encerclait. Ses yeux fous me fixaient.La bête sentait ma présence et je sentais la sienne : absurde face à face invisible. Une présence qui n’était pas de ce monde errait quelque part, aux alentours. Je crus voir alors ses yeux malfaisants qui me guettaient tapis dans l’opacité des fourrés. La mort rôdait. Elle avait envoyé son émissaire à ma
rencontre. Elle se déplaçait dans toutes les directions. Elle se découvrit à plusieurs reprises. Le ciel était immobile et la neige tombait sans hâte. La fatigue et le froid me gagnaient. Je décidais de charger la charrette avec les gros rondins de bois. Mon fusil restait toujours à portée de main ou en bandoulière. Le dernier rondin ramassé, je grimpai sur le plateau. La carriole s’ébranla doucement, brinquebalante. Bouly m’avait rejoint sur le tas de bois: c’était un bon chien.* On peut ne pas croire en tout cela, mais je me suis adonné à la chiromancie, l’hypnose, la divination par le tarot et mes réincarnations précédentes ont été tirées au clair du moins c’est ce que je croyais jusqu’à aujourd’hui. Car rien apparemment dans cette vie actuelle ne peut présumer de mon destin si étrange et particulier. Tout parait normal, à sa place dira-t-on. On dit de moi que je suis un bon sujet pour ce genre d’expériences. Dois-je m’en réjouir? Je ne renonce pas : bien au contraire. Je pratique la méditation profonde depuis pas mal d’années. J’aiun enseignant en méditation traditionnelle ancestrale. Cà m’apporte une diminution de l’anxiété et des troubles associés. Lorsqu’il m’a proposé de remonter dans mes vies antérieures j’ai accepté un peu honteux et confus par tant de naïveté. Nous avons commencé l’expérience. Progressivement nous avons remonté la pendule du temps. La patience est un maître mot, la confiance aussi. Nous sommes au XVIII ième siècle, le siècle des lumières
qui sent aussi le souffre et les intrigues de cour sous le règne de Louis XV. Plus que tout celaj’apprends quele sang et la cruauté entachent ma vie d’alors:J’ai été mêlé à des drames et des horreurs. Qui étais-je donc ? Ma difficulté à vivre aujourd’hui remonterait à des choses horribles qui se sont passées à cette époque. On n’en saura guère plus. L’idée d’avoir eu un comportement déviant sur mes contemporains de l’époque me trouble d’avantage qu’elle ne m’apaise.Quels crimes ai-je pu commettre pour trainer encore mon boulet trois siècles plus tard ? * Je remontais lentement les chemins de Palsou en traversant les prés de Rozac. Le loup se montra à plusieurs reprises. J’étudiais son déplacement, je le suivais dans les fourrés. Il paraissait de loin amaigri et famélique. Son corps noueux n’était que nerf en feu. Une volonté inconnue lui dictait de tuer. L’attitude de la bête m’obligeait à réfléchir très vite. Elle se montrait trop intelligente pour croire que maintenant j’allais accepter la confrontation, et disparut de nouveau de ma vision. Lorsque soudain, la mule affolée tenta un galop sur le sentier en poussant des braiements épouvantables. Après beaucoup d’efforts je parvins à la calmer. C’est à ce moment là que la bête décida de porter son attaque. Après une approche silencieuse, le loup jaillit dans mon dos, les babines retroussées dans un rictus de férocité extrême. L’oreille couchée en arrière lui donnait un aspect
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