Contes divers (1883)
Guy de Maupassant
La Farce
Gil Blas, 18 décembre 1883
Nous vivons dans un siècle où les farceurs ont des allures de croque-morts et se
nomment : politiciens. On ne fait plus chez nous la vraie farce, la bonne farce, la
farce joyeuse, saine et simple de nos pères. Et, pourtant, quoi de plus amusant et
de plus drôle que la farce ? Quoi de plus amusant que de mystifier des âmes
crédules, que de bafouer des niais, de duper les plus malins, de faire tomber les
plus retors en des pièges inoffensifs et comiques ? Quoi de plus délicieux que de
se moquer des gens avec talent, de les forcer à rire eux-mêmes de leur naïveté, ou
bien, quand ils se fâchent, de se venger avec une nouvelle farce ?
Oh ! J’en ai fait, j’en ai fait des farces, dans mon existence. Et on m’en a fait aussi,
morbleu ! et de bien bonnes. Oui, j’en ai fait, de désopilantes et de terribles. Une de
mes victimes est morte des suites. Ce ne fut une perte pour personne. Je dirai cela
un jour ; mais j’aurai grand mal à le faire avec retenue, car ma farce n’était pas
convenable, mais pas du tout, pas du tout. Elle eut lieu dans un petit village des
environs de Paris. Tous les témoins pleurent encore de rire à ce souvenir, bien que
le mystifié en soit mort. Paix à son âme !
J’en veux aujourd’hui raconter deux, la dernière que j’ai subie et la première que
j’aie infligée.
Commençons par la dernière, car je la trouve moins amusante, vu que j’en fus la
victime.
J’allais chasser, à l’automne, chez des ...
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