La Main gaucheGuy de MaupassantLe Rendez-vousL'Écho de Paris, 23 février 1889> Son chapeau sur la tête, son manteau sur le dos, un voile noir sur le nez, un autredans sa poche dont elle doublerait le premier quand elle serait montée dans lefiacre coupable, elle battait du bout de son ombrelle la pointe de sa bottine, etdemeurait assise dans sa chambre, ne pouvant se décider à sortir pour aller à cerendez-vous.Combien de fois, pourtant depuis deux ans, elle s'était habillée ainsi, pendant lesheures de Bourse de son mari, un agent de change très mondain, pour rejoindredans son logis de garçon le beau vicomte de Martelet, son amant.La pendule derrière son dos battait les secondes vivement ; un livre à moitié lubâillait sur le petit bureau de bois de rose, entre les fenêtres, et un fort parfum deviolette, exhalé par deux petits bouquets baignant en deux mignons vases de Saxesur la cheminée, se mêlait à une vague odeur de verveine soufflée sournoisementpar la porte du cabinet de toilette demeurée entrouverte.L'heure sonna - trois heures - et la mit debout. Elle se retourna pour regarder lecadran, puis sourit, songeant : "Il m'attend déjà. Il va s'énerver." Alors, elle sortit,prévint le valet de chambre qu'elle serait rentrée dans une heure au plus tard - unmensonge -, descendit l'escalier et s'aventura dans la rue, à pied.On était aux derniers jours de mai, à cette saison délicieuse où le printemps de lacampagne semble faire le siège de Paris et le ...
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