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219-241 - Askenasy 04/05/2001 14:21 Page 219
INTERNATIONAL
Le paradoxe de productivité :
les changements organisationnels,
facteur complémentaire
à l’informatisation
Philippe Askenazy et Christian Gianella*
La plupart des travaux empiriques portant sur l’économie américaine ne parviennent pas
à mettre en évidence une corrélation significative entre la croissance de la productivité
totale des facteurs des entreprises et leur degré d’informatisation. Ce paradoxe est
communément appelé le paradoxe de Solow. Cet article en propose une explication, liée
au mode d’organisation interne des entreprises. L’apparente absence d’impact des
technologies de l’information sur la productivité globale des facteurs cacherait en fait
un double phénomène : de forts gains de productivité dans les entreprises ayant adopté
simultanément des innovations technologiques et organisationnelles et un échec de l’in-
formatisation dans les entreprises qui n’ont pas réorganisé leur processus de production.
Cette hypothèse est testée à partir de données sur l’industrie manufacturière aux États-
Unis, en exploitant la relation entre diffusion des pratiques flexibles de travail et hausses
des accidents du travail. Un indicateur original de changements organisationnels
est ainsi construit, les réorganisations à chocs d’accidents, qui permet de contourner
l’absence de données temporelles spécifiques sur ce thème.
Les estimations effectuées à un niveau sectoriel détaillé confirment la forte complémen-
tarité entre innovations organisationnelles et informatisation. Plus précisément, seules les
industries ayant simultanément adopté des pratiques de travail flexibles et fortement
investi en informatique ont enregistré une forte hausse de la productivité totale des facteurs.
En revanche, la mise en œuvre de changements organisationnels sans recours aux nou-
velles technologies ou l’informatisation sans réorganisation, ont un impact négatif sur
la productivité.
* Philippe Askenazy appartient au CNRS et au Cepremap. Christian Gianella appartient à la direction de la Prévision.
Les noms et dates entre parenthèses renvoient à la bibliographie en fin d’article.
219ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 339-340, 2000 - 9/10219-241 - Askenasy 04/05/2001 14:21 Page 220
alors que la PTF stagnait dans les années 70 eta croissance continue de l'économie
au début des années 80, elle a crû de plus d'unLaméricaine observée depuis bientôt 10 ans
point par an entre 1985 et 1995 dans le secteurs’est accompagnée d'une reprise spectaculaire
manufacturier (cf. graphique I).des gains de productivité à partir du milieu des
années 90 (cf. graphique I). Gordon (1999) a
toutefois montré que, hormis pour les derniers La nouvelle économie, interprétée comme
trimestres, ces gains étaient principalement un retour à une croissance de la PTF, serait
concentrés dans l'industrie manufacturière. apparue au milieu des années 80 dans l'indus-
En comparant les périodes 1987-1995 et 1995- trie manufacturière américaine. Néanmoins,
1999, il conclut par ailleurs que l’accélération le paradoxe de productivité de Solow subsis-
de la productivité au cours des cinq dernières te : la plupart des travaux portant sur la pério-
années n’est intervenue que dans une partie de antérieure à 1995 ne trouvent aucune cor-
du secteur manufacturier: la production de rélation significative entre l'informatisation et
technologies de l'information et de la commu- les performances, que ce soit au niveau des
nication (les TIC). Les décompositions secto- établissements ou des industries (Brynjolfsson
rielles proposées par Oliner et Sichel (2000) et Yang, 1996, pour une revue des travaux
et par Jorgenson et Stiroh (2000) confirment américains ; Greenan et Mairesse, 1999, sur la
que l’essentiel de la reprise récente de la France).
productivité totale des facteurs vient du
secteur producteur de TIC, même si l’accélé-
Le rôle joué par l’organisation interne desration résiduelle dans le reste de l’économie
entreprises, analysé dans cet article, offre uneatteint 0,3 à 0,5 point par an.
solution à ce paradoxe récurrent. L'absence
apparente d'impact au niveau agrégé des tech-
L'essentiel de la réussite de l'économie améri- nologies de l'information cacherait en fait une
caine proviendrait donc d’une industrie qui réussite dans les industries où les entreprises
pèse moins de 10% du PIB américain. ont adopté des pratiques innovantes de travail
Cependant, la tendance de ré-accélération de et un échec dans les industries non réorganisées.
la productivité totale des facteurs (PTF) dans De nombreuses entreprises américaines ont
le secteur manufacturier ne débute pas en modifié l'organisation du travail pour se
1995, mais plutôt au milieu des années 80, rapprocher du modèle de production au plus
même en corrigeant des effets de cycle. Ainsi, juste au cours de la décennie 80. Ce modèle
Graphique I
Productivité totale des facteurs aux États-Unis de 1969 à 1997
Base 100=1983
125
120
Niveau de
productivité totale
115
de l'ensemble
du secteur privé
110 américain
105
Niveau de
productivité100
totale du secteur
manufacturier
95
90
Source : Bureau of Labor Statistics (BLS).
220 ÉCONOMIE ET STATISTIQUE N° 339-340, 2000 - 9/10
1969
1971
1973
1975
1977
1979
1981
1983
1985
1987
1989
1991
1993
1995
1997219-241 - Askenasy 04/05/2001 14:21 Page 221
abandonne la logique de la production de sécurité de l'emploi, sont cependant caractéri-
masse pour exploiter les informations sur sées par une très grande diversité, mais tendent
l'évolution de la demande et des exigences généralement à valoriser l’acquisition de
des consommateurs – ou des clients – et compétence et la performance individuelle. La
rechercher une optimisation dynamique de production au plus juste permet d'éliminer les
la production. stocks et surtout les personnels d'encadre-
ment de premier niveau. De fait, le nombre
d'échelons hiérarchiques est réduit. Plus L'étude empirique des conséquences des
fondamentalement, la différence au sein deschangements organisationnels aux États-Unis
équipes entre cadres moyens et cols bleus soulève toutefois de nombreuses difficultés,
s'estomperait.les enquêtes auprès des établissements ou des
firmes n'ayant été entreprises que dans la
Les pratiques flexibles de travail se sont éten-dernière décennie. Les difficultés d'apparie-
dues à une part importante du secteur privément avec des statistiques financières ou éco-
américain. Ainsi, l’enquête la plus citée (1) denomiques ne permettent pas, par ailleurs, de
Paul Osterman montre, à partir d’un échan-travailler sur de larges échantillons, et les don-
tillon représentatif des établissements de plusnées longitudinales ne sont disponibles que
de 50 salariés, que les deux tiers (2) des éta-pour les plus grandes entreprises.
blissements utilisaient de manière intensive
dès 1992 une des quatre pratiques flexibles deUne méthodologie originale est proposée
travail : équipe autonome, démarche de qualitédans cet article pour contourner ces obstacles.
totale, rotation de poste et cercle de qualité.Les données du National Bureau of Economic
Selon Osterman (1994) la pratique clef, c’est-Research (NBER) sur les performances des
à-dire la plus souvent associée avec les troisindustries manufacturières de 1956 à 1994 ont
autres, est le travail en équipe autonome.été utilisées à un niveau industriel très
détaillé. Ces statistiques sont appariées avec
Cette extension touche de manière équivalenteles fichiers des accidents et maladies du travail
l'industrie manufacturière et le tertiaire.du Bureau of Labor Statistics (BLS). Ces
Toutefois, l’adoption complète des pratiquesdernières, de niveau de fiabilité satisfaisant,
de gestion du personnel reste limitée en 1992présentent l’avantage d’être disponibles longi-
à 15 à 20% des établissements américainstudinalement. Un indicateur indirect de chan-
(Ichniowski et al., 1996). Si les principes d’or-gements organisationnels est construit, en
ganisation du travail inspirés de la productionexploitant la relation entre les changements
au pl