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pages
Français
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2022
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Publié par
Date de parution
02 novembre 2022
Nombre de lectures
3
EAN13
9782415003296
Langue
Français
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Date de parution
02 novembre 2022
Nombre de lectures
3
EAN13
9782415003296
Langue
Français
© O DILE J ACOB , NOVEMBRE 2022 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-4150-0329-6
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo .
PROLOGUE
Éclaireurs et naufragés
Anne Hidalgo, candidate du Parti socialiste, a coulé à pic au premier tour de l’élection présidentielle le 10 avril 2022, après une campagne courageuse mais sans élan, sans francs soutiens ni renforts à espérer : 1,7 % des suffrages exprimés à l’élection majeure de notre vie politique. Douze fois moins que Jean-Luc Mélenchon ce jour-là ; seize fois moins que François Hollande en 2012 ; dix fois moins que Lionel Jospin en 2002 et même trois fois moins que Gaston Defferre en 1969. Du jamais vu dans les annales socialistes depuis 1905. Pire qu’un échec personnel : une déroute collective. Et le ralliement sauve-qui-peut d’une majorité du parti et de ses candidats à la Nouvelle Union populaire écologique et sociale de Jean-Luc Mélenchon aux élections législatives de juin a sauvé un maigre groupe parlementaire mais n’a pas inversé le verdict d’avril.
Voici donc naufragée une famille politique qui avait tant su batailler, s’imposer et parfois l’emporter. Adieu promesse de François Mitterrand au congrès d’Épinay en 1971 : « Le poing pour le combat, la rose pour le bonheur ! » Adieu parti de gouvernement qui de 1981 à 2017 a reçu et a exercé tant de pouvoirs, de l’Élysée et Matignon aux régions, aux départements et aux communes ! Adieu mantras de l’union de la gauche en musique socialiste, du front « antifasciste » et salvateur, du bloc sans fissures, du militant et du sympathisant discipliné qui vote de bon cœur ! Idéaux grisonnants, dissidences internes, jeunesse évaporée, ténors inaudibles, implantation locale fragilisée, électorat débandé : les enfants de Jaurès et leur parti ont baissé pavillon.
Pourquoi ce naufrage ? Comment en sont-ils arrivés là ? Vont-ils survivre ? Tenter de l’exposer et de l’analyser, voilà l’enjeu de ce livre, car, ne l’oublions pas, ces socialistes avaient donné au pays tant d’espoirs, tant de réalisations concrètes ! Tant de leaders de haut vol aussi, et d’abord les six d’entre eux dont nous allons cerner la personnalité et rappeler l’ambition, l’action et le souvenir, en feuilletant l’album des vieilles photos et des derniers adieux.
« C’est à nous de fatiguer le doute du peuple par la persévérance de notre dévouement », avait dit le premier d’entre eux, Jean Jaurès, tout jeune député du Tarn, le 18 novembre 1888 dans La Dépêche de Toulouse . Déjà il avertissait : « Il ne faut pas s’émouvoir des groupes politiques nouveaux qui se forment maintenant un peu partout, tout prêts à l’attaque violente et aigre. Il est bon que la vaste et confuse pensée du peuple se précise en formules diverses ; il est bon que, de la foule anonyme, sortent des hommes ayant un nom, donnant un corps à toutes les pensées, à toutes les passions, à toutes les erreurs même. C’est la vie, et ce n’est point de la vie qu’il faut se plaindre. Il ne faut point non plus reprocher à ceux qui parlent spécialement au nom des ouvriers de n’en avoir plus que le nom. Le prolétariat ne peut guère s’exprimer aujourd’hui que par ceux-là mêmes qui ont fait effort pour y échapper et qui sont ainsi une sorte de classe intermédiaire entre le peuple et la bourgeoisie. Ils sont bien du peuple, quoi qu’on en dise, ils en sont les éclaireurs, les libres tirailleurs dispersés en avant 1 . »
La vie, le monde, le peuple, l’idéal, le parti : voilà l’horizon à embrasser dans son immensité, ajoutait-il en 1905 pour lier en gerbe tous ces mots-là et fonder enfin en France une grande famille socialiste. Des combats à ensoleiller, un rapport aux idées émancipatrices que les « libres tirailleurs » vont populariser : voilà l’avenir, pensait-il. Il distinguait ces francs-tireurs parmi leurs camarades parce qu’il croyait, lui, à la différence des doctrinaires, des sectaires, des populistes et des utopistes rêvant d’un socialisme qui sortirait tout armé des « luttes » de masse et des conflits entre les classes, qu’il fallait, pour éclairer et conduire un peuple à la bataille, non pas des sauveurs mais des combattants d’élite à l’avant-poste, assez entraînants et altruistes pour qu’on monte au feu avec eux ; des dévoués hors pair, persuadés que la politique est une longue marche, un exercice moral et raisonné du pouvoir, une création continue qui, au pays de « 89 », passera par le gouvernement de la République et ambitionnera d’appréhender lucidement et de maîtriser du mieux possible, c’était le titre de sa thèse de doctorat, « la réalité du monde sensible ».
Les « éclaireurs » dont nous allons suivre ici la marque et la trace n’ont pas été de ces grands hommes providentiels pour image d’Épinal, ni de ces héros qui auraient bousculé l’histoire, mais de hautes figures dont la force de conviction mobilisait, qui transmettaient un message émancipateur, animaient une politique de solidarité et de justice : qui donnaient de la fierté et de l’espoir. Dans les années 1930, le vieux Bracke, l’ami de Jaurès et de Blum, avait cru pouvoir conclure : « Le socialisme n’a pas besoin de surhommes, il lui suffit de compter des hommes sûrs. » Et, il est vrai, la tradition et la culture du parti ont refusé tout « sauveur suprême », tout César en puissance, pour ne pas insulter l’avenir. Mais c’était oublier que l’exemplarité, la capacité d’entraînement et donc le devenir d’un mouvement social et politique se nourrissent aussi du rayonnement personnel de ses « éclaireurs » ; oublier qu’en démocratie un peuple a le droit d’aspirer à une incarnation de sa destinée.
Promesses viables ? Objections levées ? Paris tenus ? C’est ce que nous tenterons de démêler chez Jaurès et chez cinq de ses descendants. Sans mettre en doute leur dévouement. Sans nostalgie et sans déni. Mais en examinant historiquement l’assortiment chez eux des fins et des moyens, de l’idéal et du réel, du succès et de l’échec. En soupesant le charisme qu’on leur a reconnu, ou non, à leur enterrement. En suivant six mariages, avec leurs joies et leurs peines. Jusqu’au naufrage aujourd’hui.
1 . Jean Jaurès, Rallumer tous les soleils , p. 61 ; Œuvres , t. 1, p. 388. Voir les références complètes dans les « Lectures », p. 185 .
CHAPITRE 1
Jaurès le Père
Le vendredi 31 juillet 1914 au café du Croissant, Raoul Villain, un insignifiant qui avait trop lu les appels d’une presse nationaliste appelant à coller au mur le tribun socialiste aux premières heures de la mobilisation, révolvérise « Herr Jaurès » par une fenêtre du restaurant qui bâille sur la rue. Le pharmacien voisin refuse de céder une ampoule pour instiller le moribond : « Je ne donne rien pour cette crapule, pour ce bandit qui est responsable de la guerre ! » Mais un officier se précipite, dégrafe sa Légion d’honneur et la dépose sur la poitrine du mourant : le capitaine Gérard salue le socialiste qu’il a aidé à composer son livre L’Armée nouvelle. Dans la nuit, vers Belleville, la police charge pour disperser des manifestants éplorés, et à Carmaux un « Ils ont tué notre Jean ! » crié de porte à porte sonne comme un tocsin 1 .
Le Parti socialiste appelle aussitôt au calme. Poincaré, le président de la République, et Viviani, le président du Conseil, rendent hommage au « républicain socialiste qui a lutté pour de si nobles causes et qui, en ces jours difficiles et dans l’intérêt de la paix, a soutenu de son autorité l’action patriotique du gouvernement ». Et toute la presse emboîte le pas. L’organe naguère si antimilitariste de Gustave Hervé, La Guerre sociale, sort une édition spéciale avec une manchette qui dit tout : « Défense nationale d’abord ! Ils ont assassiné Jaurès ! Nous n’assassinerons pas la France ! ». Le Temps, journal conservateur, regrette sa disparition « au moment même où, après avoir paru si longtemps nuisible, son éloquence allait devenir un instrument de la défense nationale ». Les obsèques, le 4 août, sont une manifestation d’union sacrée où Léon Jouhaux, au nom d’une CGT à la tripe pourtant encore si révolutionnaire, fait au mort l’hommage d’une classe ouvrière décidée à sauver la Patrie en danger.
Jaurès, lui, a tenté jusqu’au bout de défendre les espoirs pacifiques du mouvement ouvrier français et international. Il a tonné contre les sociaux-démocrates allemands vite ralliés au Kaiser. Il a senti partout l’atonie des énergies. Il a écrit dès le 18 juillet dans L’Humanité qu’il n’y avait plus de contradiction entre « sauver à la fois la paix et les patries ». La formule collait bien au sentiment moyen des travailleurs et de l’opinion, mais elle était trop irréaliste pour enrayer les mécanismes de la force brutale, militaire et étatique.
L’icône
En 1948 encore, Léon Blum rendra hommage à son grand camarade dont le sacrifice n’avait pas pu redresser le fléau de la balance : « La seule alternative de sa vie et de sa mort a transformé, bouleversé jusqu’à nous le cours des choses. » Autrement dit, chez ses descendants l’impuissance de Jaurès à conjurer la guerre a été sublimée en invocation pieuse, en preuve d’un élan vers ce socialisme inscrit dans un sens progressiste de l’histoire que l’horrible drame de 14-18 n’a pas interrompu ni affadi. Qu’aurait pensé, qu’aurait dit, qu’aurait fait Jaurès à notre place, avec nous, parmi nous, au premier rang, diront désormais les socialis