Plutôt la mort que l’injustice : Au temps des procès anarchistes , livre ebook

icon

80

pages

icon

Français

icon

Ebooks

2009

Écrit par

Publié par

icon jeton

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Lire un extrait
Lire un extrait

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris

Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement

Je m'inscris
icon

80

pages

icon

Français

icon

Ebooks

2009

icon jeton

Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage

Lire un extrait
Lire un extrait

Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus

« Qu’était-ce donc que l’anarchie ? Une vision complète de la société, de son histoire, des forces qui la travaillaient, des changements dont elle était grosse et qui ne manqueraient pas d’avenir. La lutte pour la vie n’était pas une fatalité. C’est l’ignorance qui en était la cause. La terre regorgeait de richesses encore augmentées par les prouesses de la science, de l’hygiène et de la médecine. “Apprenez que tout homme est l’égal d’un autre homme. Il est faux que, pour les uns, il n’y ait que des droits à exercer et, pour les autres, des devoirs à remplir. Refusez tous d’obéir et nul ne songera plus à commander.” » T. L. Thierry Lévy brosse le portrait des inspirateurs de l’anarchie, les Proudhon, Bakounine, Kropotkine. Il évoque les Ravachol, Auguste Vaillant, Émile Henry ou encore Caserio et les Trente, et restitue les échanges terribles qui ont marqué leurs procès. Thierry Lévy est avocat. Il a notamment publié Convaincre, avec Jean-Denis Bredin, et Éloge de la barbarie judiciaire, qui ont été de très grands succès.
Voir icon arrow

Publié par

Date de parution

29 octobre 2009

Nombre de lectures

5

EAN13

9782738195807

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

1 Mo

© ODILE JACOB, OCTOBRE 2009
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9580-7
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
La bombe a manqué sa cible mais elle a libéré l’idée qu’elle contenait. La cible, c’était la Compagnie des mines de Carmaux et son président, le baron Reille. L’idée, c’était celle de l’anarchie. L’engin a explosé le 8 novembre 1892 dans l’escalier du commissariat de la rue des Bons-Enfants alors qu’il avait été déposé dans celui d’un immeuble cossu de l’avenue de l’Opéra.
L’auteur de l’attentat devait rester longtemps inconnu mais qu’il fût anarchiste, c’est ce dont personne ne douta. C’était la sixième explosion de dynamite depuis le début de l’année, « la plus terrible de toutes », selon le quotidien Le Temps . « La formidable détonation » a eu lieu dans l’un des quartiers les plus actifs de Paris, à l’heure la plus animée, peu de temps avant celle du déjeuner. Il était exactement 11 h 40 quand un bruit de canon, « mais d’une intensité cent fois supérieure », accompagné d’un nuage aveuglant de fumée et de poussière, figea les passants sur place. L’instant d’après, on accourait de partout. Des dizaines d’agents des brigades centrales, venus de la préfecture de police, arrivaient au pas de course. Un cheval de fiacre, emballé, s’abattait contre un omnibus, une escouade de pompiers pénétrait dans l’immeuble du commissariat, vite suivie par le préfet Loze, Viguier, son chef de cabinet, Cavard, chef adjoint, Bauer, chef du premier bureau, arrivés à pied, tous ayant refusé d’attendre la voiture qu’on avait fait atteler. MM. Girard, directeur du laboratoire central, et Vielle, directeur des poudres et salpêtres, sont là aussi. À 14 heures, le président du Conseil, Émile Loubet et le ministre de la Justice, Ricard, sont vus dans les salons de la Compagnie de Carmaux par un collaborateur du Temps . Ces messieurs confèrent avec le baron Reille dont les ouvriers sont en grève. Le chef du gouvernement ne s’y est pas trompé. Il y a un lien entre l’attentat et le baron. Les lettres le prouvent, celles qu’il a reçues à son domicile de l’avenue de La Tour-Maubourg. Elles étaient nombreuses, toutes lourdes de menaces. Qu’en a-t-il fait ? C’est Athalain, le juge d’instruction chargé de l’affaire, convoqué lui aussi avenue de l’Opéra, qui pose la question. La réponse surprend. Reille en personne les a portées à la Préfecture de police. Pourquoi n’a-t-on pas surveillé l’immeuble où siège la société des mines alors que le domicile du baron était gardé ? Les menaces, expliquera-t-on, étaient personnellement dirigées contre lui et contre les siens.
À Carmaux, où les attroupements ainsi que le drapeau rouge sont interdits, les mineurs, réunis en assemblée générale par le comité de grève le 9 novembre, le lendemain de l’explosion, ont voté un « ordre du jour » : « Ne voulant pas être dupes des tentatives qui ne peuvent servir que le capitalisme et la réaction, ils répudient hautement l’explosion de Paris et déclarent qu’elle n’a aucune corrélation avec la grève. Ils se proclament socialistes révolutionnaires, et à ce titre affirment que l’émancipation ouvrière sera l’œuvre non de la dynamite, mais de l’effort commun du prolétariat. » Les locataires de l’immeuble visé se sont eux aussi réunis. Avocats, médecins, modistes, ils ont approuvé une pétition demandant à la société des mines de déguerpir et au baron Reille de ne plus mettre les pieds au 11, avenue de l’Opéra.
 
La jeune et jolie Mme Garin n’a rien demandé à personne. Son mari, Émile Garin, garçon de bureau à la Compagnie, avait été chargé par le caissier Angenard, lui-même alerté par le comptable Bellois, de prévenir le concierge, un militaire couvert de médailles et coiffé d’un bicorne, qu’un volumineux paquet encombrait l’entresol près de la porte d’entrée des bureaux. « J’ai monté immédiatement, dira ce dernier, et j’ai vu un gros paquet rond enveloppé dans un journal retenu par une ficelle. » Après avoir coupé la ficelle et déplié le journal, Simon Garnier, c’est le nom du concierge, a vu une marmite en fonte ayant la forme d’un pot-au-feu renversé. Il l’a prise à pleins bras, elle pesait 5 à 6 kilos, et l’a transportée à l’autre entrée de l’immeuble, au numéro 12 de la rue d’Argenteuil, voie menant de la rue de l’Échelle à la rue des Pyramides. Pendant ce temps, Garin allait chercher des gardiens de la paix, laissant Garnier en tête à tête avec la marmite. Une bandelette de fer en maintenait le couvercle fermé non sans laisser échapper un peu de poudre blanche. Par précaution, le concierge entoura la marmite avec une grande serviette blanche apportée par Mme Garnier. Garin revenait accompagné d’un sous-brigadier et d’un gardien de la paix. Prenant les coins de la serviette qui enveloppait l’engin, les deux agents, suivis du garçon de bureau, traversèrent l’avenue de l’Opéra, longèrent la Comédie-Française puis le Palais-Royal et prirent la rue Saint-Honoré avant de rejoindre la rue des Bons-Enfants. Ils franchirent une porte cochère donnant sur une vaste cour entourée d’un bâtiment central et de deux ailes perpendiculaires. Le commissariat, desservi par deux escaliers, se trouvait au premier étage de l’aile gauche. Ne pouvant emprunter le premier escalier réservé au commissaire, ils durent traverser la cour avant d’atteindre le second escalier à l’usage des employés et du public. Passant par un vestibule, les trois hommes venaient d’entrer dans le bureau des inspecteurs quand la bombe explosa, les tuant tous les trois. Pousset, le secrétaire du commissariat, fut tué lui aussi.
Mme Garin, vivant avec Émile, ancien domestique du baron, dans l’immeuble de l’avenue de l’Opéra, l’a vu partir et attend son retour. Ils ont un enfant, elle est enceinte du second. Auprès d’elle, sa sœur la rassure, les formalités administratives sont toujours longues, mais la jeune femme ne veut pas quitter le pied de l’escalier. Après la détonation, on lui dit que le jeune homme n’est que blessé, qu’il ne tardera pas à arriver, elle ne veut pas le croire, on lui cache quelque chose.
Trois jours plus tard, le vendredi 11 novembre, elle assistera à Notre-Dame aux obsèques de son époux dont l’initiale du nom figure à côté de celles des quatre autres tués du commissariat (un quatrième policier étant mort de ses blessures), en caractères blancs sur le fond noir des draperies couvrant la porte centrale de la cathédrale.
De chaque côté de la porte, deux trophées tricolores sont voilés de noir. À l’intérieur de l’église, des cartouches placés sur les piliers vêtus de noir de la grande nef reproduisent dans le même ordre qu’à l’entrée les initiales des patronymes des cinq hommes, le G de Garin venant en dernier.
Le conseil municipal de Paris ayant délibéré qu’il ne participerait pas à la cérémonie religieuse, le cortège civil, précédé d’un peloton de la Garde républicaine à cheval, s’est mis en marche, après la messe, depuis la Préfecture de police. Trois couronnes, faites de roses, de lilas, de chrysanthèmes et de violettes, placées sur des brancards noirs portés par des gardiens de la paix et des huissiers de l’Hôtel de Ville précèdent les membres du gouvernement, suivis des cinq corbillards défilant dans l’ordre adopté pour les initiales de la cathédrale, celui de Garin, fleuri par la société des mines, venant donc en dernier. La garde à cheval ferme le cortège.
Au cimetière Montparnasse, la parole est donnée successivement au président du Conseil, au préfet de police et au président du conseil municipal. « L’émotion que j’éprouve, commence Émile Loubet, ne me permet pas de prononcer un discours. Ce n’était point assez, poursuit-il, des crimes commis au mois d’avril dernier et de la mort de Very et d’Hamonod. Les lâches assassins que la justice recherche n’ont été arrêtés ni par l’explosion de douleur et de colère qui suivit les premiers crimes, ni par la pensée qu’ils allaient frapper des hommes inconnus et innocents et porter le deuil dans d’honorables familles contre lesquelles aucune haine ou aucun désir de vengeance ne pouvait armer leur bras.
Le cœur humain se refuse à concevoir de tels forfaits et la parole à en flétrir les auteurs comme ils le méritent.
Des hommes, repoussés par tous les partis, aveuglés par une haine sauvage, pensent par de tels moyens satisfaire des vengeances inavouables ou réformer la société ; comme si ces faits n’étaient pas de nature à soulever l’indignation publique contre leurs actes et la réprobation universelle contre les prétendues doctrines qu’ils veulent propager.
Non, il faut le dire bien haut, il ne s’agit pas ici d’hommes appartenant à une école politique, animés et aveuglés par le désir de porter remède à un état social dont ils croient avoir à se plaindre mais bien de vulgaires malfaiteurs, justiciables des cours d’assises.
Ce n’est pas l’amélioration de l’état social qu’ils poursuivent, c’est sa destruction.
Il ne se trouvera jamais dans aucun pays et à aucune époque un honnête homme qui puisse essayer, non de justifier, mais d’excuser de pareils forfaits.
Ceux qui le tenteraient seraient l’objet du mépris public. »
Dans ce discours, qu’Émile Loubet s’était interdit d’appeler par son nom, le président du Conseil, futur président du Sénat et président de la République, feint d’ignorer que l’anarchie est une doctrine politique professée par

Voir icon more
Alternate Text