101
pages
Français
Ebooks
2018
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Publié par
Date de parution
20 mai 2018
Nombre de lectures
1
EAN13
9782372224918
Langue
Français
L’or pur ne se travaille pas ; on ne fait des bijoux qu’avec des alliages. Le temps aussi se triture mais il est réticent et l’on ne sait jamais l’étendue de sa brûlure.
Sarah questionne un mystère fondateur laissé quelque part, là-haut, au creux des montagnes de son enfance. Mais à l’heure où sa vie lui impose d’explorer sa mémoire, sa mère l’appelle à l’aide parce qu’elle commence à perdre la sienne.
Comment mouler, dans le creuset de l’amour filial, la forme qui se cherche parmi les souvenirs qui s’en vont ? Qu’attendre de cette mère qui oublie ce qu’elle seule pourrait expliquer ?
Tandis que les urgences s’accumulent, Sarah délaisse sa quête et transforme sa vie familiale en une course tragi-comique contre Alzheimer. Submergée par les détails domestiques, elle cherche le réconfort dans l’idéalisation d’un pays qu’elle a fui tout en ferraillant contre l’absurdité quotidienne.
On ne remonte pas le temps lorsqu’il coule à l’envers.
Peu à peu, l’image des glaciers du mont Blanc s’estompe dans un cadre tourangeau où s’achève la vie d’une vieille dame que sa fille a maternée comme elle aurait probablement aimée l’être.
Denis Ducroz
Guide de haute montagne et écrivain.
Publié par
Date de parution
20 mai 2018
Nombre de lectures
1
EAN13
9782372224918
Langue
Français
Sarah COQUOZ
Une âme embrouillée
Récit
Collection With de Bookless-editions
© Sarah Coquoz
Bookless-Editions
Tous droits réservés
Mars 2018
N°Isbn : 978237222 4918
Il y avait l’ombre menaçante des montagnes. Il y avait le souffle de l’avalanche, puissant et dévastateur. Là-haut, les plus hauts sommets des Alpes nous ont accrochés. Le courant d’air chaud qui glisse le long des parois de granit monte irrémédiablement vers le haut. C’est là que notre mémoire ancestrale, notre âme véritable est restée pour l’éternité.
Ma mère a laissé une grande part d’elle-même dans ce regard qui ne peut plus admirer les couchers de soleil sur la chaîne du Mont-Blanc. Elle est partie. Partie de Chamonix et partie d’elle-même. La maladie d’Alzheimer creuse un sillon de tristesse, fait disparaître l’espoir au sein de toute notre famille. Quand M émé s’éloigne chaque jour un peu plus et que rien ne peut la retenir. Comme nt faire face ?
Entamer le deuil, déjà, avant la mort.
PROLOGUE
Trois ans après
Pour le moment, la chose la plus difficile est de détacher mon regard de cette large auréole encore grandissante, rutilante comme si le soleil allait imploser. Elle allume l’horizon qui se déploie en face de la terrasse. Elle forme un dôme au-dessus du soleil levant et le coiffe d’un arc de lumière rose orangée. Bientôt, la vie sous toutes ses formes va se mettre en mouvement. Mais pour l’instant tout est encore silencieux.
Il est six heures. Avec l’aube comme partenaire, je vis l’instant le plus religieux de ma journée. Ce pourrait être une invitation à la vie, à la joie et c’est pourtant à ce moment-là que je souffre le plus de son absence. Je me sens rattrapée par le manque, un manque imprévisible et incontournable. Il est arrivé petit à petit, sournoisement, creusant son lit au creux de mon estomac et au cœur de ma vie.
J’abaisse mon regard jusqu’au jardin. D’ici j’aperçois une partie de sa terrasse entourée du petit muret blanc. Les longues grappes pourpres de la glycine se penchent comme pour caresser la terre. Les volets de son appartement sont fermés. Mes souvenirs remontent jusqu’à la surface de ma peau. Je ferme les yeux et j’imagine voir sa petite silhouette courbée.
Comme chaque matin, son regard balaie d’abord le noyer, immense et respectable qu’elle considère comme le maître du jardin. Puis elle regarde les arbustes plantés depuis plusieurs années et qui arrivent maintenant à l’âge adulte. C’est le printemps. À cette période de l’année leurs branches sont lourdes et offrent généreusement leurs fleurs rouges, roses ou blanches. Depuis Chateaubriand et les romantiques, c’est elle qui sait le mieux admirer les paysages. Elle arbore un large sourire, s’emplit d’une joie intérieure qui ne la quittera pas de la journée. Comme chaque jour elle sera d’un indéfectible optimisme. Elle jette les miettes de ses biscottes du petit déjeuner aux oiseaux qui semblent la connaître. Ils l’attendent chaque matin à la même heure. J’essaie de poser sur chaque chose le même regard que le sien, pour me sentir proche d’elle, pour rattraper ainsi le temps, tout ce temps que j’ai loupé à ne pas regarder les choses avec elle, à ne pas l’avoir regardée et à être finalement passée à côté d’elle. Le soleil me fait signe, la journée est là pleine et entière et pourtant je me demande où vais-je puiser l’énergie pour y faire face. La douleur dans ma cage thoracique se réveille, elle m’enserre. Ce sentiment de vide à l’intérieur de moi m’oppresse et m’empêche de goûter la douce tiédeur du matin et le cadeau que la vie est venue m’offrir au creux de ses mains.
Je quitte la terrasse, je referme la porte-fenêtre. Je suis seule à l’intérieur de la maison, seule à l’intérieur de moi-même. J’aimerais rompre avec le déroulement de cette journée dont je n’ai pas envie. Je suis écœurée de tout ce qui n’a pas eu lieu, de tout ce que j’ai manqué. Le chemin vers la joie a disparu. Je me courbe, mon dos se voûte comme pour atténuer la souffrance que je ressens sur la pointe des épaules. Cette douleur physique devrait me servir d’anesthésique pour me permettre ainsi de toucher à la vraie plaie, elle est à vif. Cela fait un sacré moment que j’essaie de sauter par-dessus sans y toucher, parce que cela ferait trop mal de la traverser. J’ai mis un mouchoir dessus pour pouvoir regarder devant et continuer à accompagner mes enfants et petits-enfants sur leur chemin de vie. Mais je sais qu’il me faut creuser dans la plaie pour soigner la partie infectée et cachée par la première couche de peau fine et fragile. Parce que je ne serai jamais vraiment libre sans cela.
Voici trois ans que ma mère est morte et il m’est toujours impossible de penser qu’elle a cessé d’exister , c’est comme si une partie de moi-même était partie avec elle. Je me sens plus que jamais morcelée. Des petits bouts de moi-même étaient déjà éparpillés, emprisonnés dans un passé ancien, resté s coincés dans une enfance chamoniarde, entourés de ces monstres de granite et de glace qui ont emmuré nos silences. Maintenant que s’affirme l’absence considérable de ma mère, il me faut continuer sans elle ce que j’avais entrepris avec elle. Réparer, me tourner vers demain et vivre. Alors que la souffrance des autres semble toujours très supportable lorsqu’elle se joue sur une scène qui n’est pas la nôtre, je ressens la mienne d’une manière insurmontable.
J’erre entre ma chambre et le salon. Mon regard effleure le fauteuil sur lequel elle s’asseyait, je le ressens maintenant comme un imposteur et j’ose à peine le regarder. Je n’arrête pas de tourner en rond dans la maison en butant à chaque pas sur son fantôme. Me passent alors par la tête des souvenirs d’autres fauteuils, d’autres chambres, d’autres couloirs, comme des images discontinues de vieux films.
Je me souviens, c’était il y a trois ans à peine.
PREMIÈRE PARTIE
L’ arrivée
Le sac et la canne
– J’arrive !
– Tu as encore dix bonnes minutes, ne panique pas !
– Je cherche ma canne.
– Je l’ai vue, elle est en bas vers le coin de la cuisine comme d’habitude.
– Elle est en haut ?
– Non, elle est en bas !
– Ah, je la cherche alors.
– Je t’ai dit où elle était, regarde dans la cuisine, inutile de la chercher ailleurs !
– Et mon sac, il est en haut ?
– En bas, sûrement accroché au fauteuil de ta chambre.
– Oh l à l à ! Qu’est-ce que je cherche déjà ? Je ne sais plus !
– Ta canne, ton sac !
– Je suis trop vieille, je ne peux pas aller vite comme ça, je suis affolée !
– Prends ton temps, je t’ai dit que tu avais encore dix minutes.
Pourtant, comme à chaque fois que je l’emmène quelque part, je l’ai prévenue depuis plus d’une heure. Comme pour chaque sortie, j’espère qu’elle va pouvoir rassembler les deux objets dont elle ne peut pas se séparer quand nous sortons, sa canne et son sac beige qu’elle porte en bandoulière. Je reste calme, j’ai appris la patience. Elle va trouver ses affaires, monter l’escalier et nous pourrons partir. Mais, au bout de dix minutes, je dois descendre l’aider. Elle ne trouve pas ses affaires et en profite pour se laisser distraire. Je sais qu’en la rejoignant dans son appartement du bas, je trouverai – plus ou moins facilement – les objets égarés. Peut-être vais-je perdre encore quelques précieuses minutes mais nous risquons d’être moins en retard que si je ne descends pas. Elle s’affole, elle tourne en rond, touche ses objets, ouvre ses tiroirs, puis se laisse happer par autre chose : la photo de ses parents, usée bien davantage par le nombre de fois qu’elle a été saisie entre ses doigts que par les années elles-mêmes.
– Tu as déjà vu cette photo ? R egarde comme il était beau mon papa.
– Oui maman, je l’ai vue à peu près deux cents fois. As-tu trouv