Aimé Pache, peintre vaudois , livre ebook

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Charles-Ferdinand Ramuz (1878-1947)



"Il naquit le 20 septembre 1874, d’Émile Pache, juge de paix, et de Suzanne Charton, sa femme. On le mit d’abord à l’école du village. Puis, à onze ans, comme son frère, il entra au collège de Lully. Seulement Henri, ayant achevé ses classes, en était resté là, tandis qu’il avait été décidé qu’Aimé « étudierait ». Il devait faire son collège, ensuite viendrait le gymnase, ensuite l’Université ; et après, on ne savait plus, mais Mme Suzanne, sans le dire à personne, avait toujours rêvé qu’il deviendrait pasteur.


Or, Aimé allait entrer en deuxième, quand M. Vernet, un jour, arriva. Il était professeur de dessin au collège. Cette après-midi de dimanche, le juge était assis, avec sa femme et la tante Sabine, dans le pavillon du jardin, quand ils le virent venir, montant péniblement la route ; Mme Suzanne l’eut vite reconnu à son parasol vert ; tout le monde fut étonné. Il passait, en effet, pour sauvage, même un peu fou, et il y avait bien dix ans qu’il n’était pas monté aux Bornes, quoiqu’il fût un peu parent de Mme Suzanne. Le juge, qui était en manches de chemise, alla mettre sa veste. Quand il revint, M. Vernet avait déjà pris place, avec les dames, sur le banc.


C’était un endroit frais, ombragé de lilas, tout près du mur de la maison, d’où on dominait la pente et les grands lacets de la route qui descend vers le lac."



Aimé est un enfant du pays de Vaud (Suisse). Un vieux professeur le pousse vers le dessin ; Aimé décide de persévérer dans cette discipline. Après des études plus "sérieuses", à l'université de Lausanne, il décide de monter à Paris: il sera peintre, au grand dam de sa famille. A Paris, sera-t-il à sa place ?

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Publié par

Date de parution

22 juillet 2021

Nombre de lectures

1

EAN13

9782374639376

Langue

Français

Aimé Pache, peintre vaudois


Charles-Ferdinand Ramuz


Juillet 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-937-6
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 936
I

Il naquit le 20 septembre 1874, d’Émile Pache, juge de paix, et de Suzanne Charton, sa femme. On le mit d’abord à l’école du village. Puis, à onze ans, comme son frère, il entra au collège de Lully. Seulement Henri, ayant achevé ses classes, en était resté là, tandis qu’il avait été décidé qu’Aimé « étudierait ». Il devait faire son collège, ensuite viendrait le gymnase, ensuite l’Université ; et après, on ne savait plus, mais Mme Suzanne, sans le dire à personne, avait toujours rêvé qu’il deviendrait pasteur.
Or, Aimé allait entrer en deuxième, quand M. Vernet, un jour, arriva. Il était professeur de dessin au collège. Cette après-midi de dimanche, le juge était assis, avec sa femme et la tante Sabine, dans le pavillon du jardin, quand ils le virent venir, montant péniblement la route ; Mme Suzanne l’eut vite reconnu à son parasol vert ; tout le monde fut étonné. Il passait, en effet, pour sauvage, même un peu fou, et il y avait bien dix ans qu’il n’était pas monté aux Bornes, quoiqu’il fût un peu parent de Mme Suzanne. Le juge, qui était en manches de chemise, alla mettre sa veste. Quand il revint, M. Vernet avait déjà pris place, avec les dames, sur le banc.
C’était un endroit frais, ombragé de lilas, tout près du mur de la maison, d’où on dominait la pente et les grands lacets de la route qui descend vers le lac. On était au mois de juillet, quelques jours avant les vacances. Le soleil brillait, pourtant voilé, comme il arrive dans les lourdes journées d’été, et le ciel aussi est comme déteint. On entendait partout crier les sauterelles.
Essoufflé et tout en sueur, M. Vernet avait relevé ses lunettes, et s’épongeait le front, son parasol entre les jambes. Il était habillé d’une jaquette de lasting, d’un pantalon noir et blanc à carreaux et d’une chemise en flanelle ; par là-dessus venaient un vieux chapeau de paille, des lunettes noires et le parasol ; et cet ensemble faisait rire, surtout le parasol, qui était le premier qu’on vît dans le pays, mais il le lui fallait, comme il disait, à cause de ses yeux qu’il avait faibles et malades. En effet, ils étaient enflammés et bordés de rouge aux paupières ; il les essuya avec précaution. Son front était tout en hauteur, et nu jusqu’au sommet du crâne encore à demi recouvert, mais d’où, par derrière, tombaient de longues mèches grises, plates. Il avait, en outre, un grand nez crochu, qui se perdait du bout dans une barbe rêche en pointe, laquelle cachait tout le bas de sa figure, et lui donnait l’air méchant, à distance ; seulement, de plus près, il ne semblait plus que craintif. Il avait l’air effaré et fuyant de ceux qui ont été traqués toute leur vie, avec des mouvements saccadés et nerveux ; il ne regardait jamais les gens en face quand il parlait, non par fausseté, mais par timidité : encore fallait-il le deviner, ce qu’on ne faisait pas toujours, et le plus souvent on le jugeait faux. Pour le moment, il paraissait surtout embarrassé. Il avait commencé par des phrases commodes sur le temps et sur les récoltes, mais visiblement il cherchait à passer à un autre sujet ; le juge lui ayant offert un cigare, il l’avait pris et allumé ; puis Mme Suzanne lui avait demandé des nouvelles de sa santé, il avait répondu qu’elle n’était pas brillante ; alors il y eut un silence ; et le juge, comme sa femme, et la tante Sabine aussi, se demandaient pourquoi il pouvait bien être venu.
Ils se rappelaient les vieilles histoires qu’on racontait sur lui, – comment il n’avait réussi à rien, ayant mangé, comme on disait, sa fortune dans sa jeunesse, à des voyages par le monde, – comment aussi, se disant peintre, il n’avait jamais pu peindre même le plus petit tableau, de quoi on riait, – alors vers quarante ans il était rentré au pays, – et, n’ayant plus d’argent, avait accepté sa place au collège.
On racontait que, par avarice, il coupait ses cigares en deux, n’ayant pas le temps d’en fumer un tout entier pendant les dix minutes de la récréation ; et ses leçons étaient les pires du collège par le tapage qu’on y faisait, les élèves se moquant de lui et le poursuivant dans les rues en criant : « Piston ! Piston ! » (qui était le nom qu’on lui avait donné depuis longtemps et on se le repassait de volée en volée), alors il se sauvait en rasant les murs. Il n’allait jamais au café, il ne faisait point de visites. À cause de quoi, tout le monde se méfiait de lui.
La tante Sabine surtout, car Mme Suzanne était douce de cœur et bonne, et elle le plaignait plutôt ; mais Sabine, étant vieille fille, était devenue sèche et dure avec le temps, et elle regardait son frère ; d’ailleurs ils étaient tous les trois gênés, un peu intimidés aussi sans se l’avouer, mais on le sentait ; – et pour sortir de là :
– Et êtes-vous content d’Aimé ? demanda Mme Suzanne.
– C’est à cause de lui, justement, que je suis venu.
Le juge, voyant que la conversation allait devenir sérieuse, descendit à la cave. Le père Vernet eut beau s’en défendre, le juge y tenait ; et bientôt il revint, portant soigneusement par le cou deux bouteilles, une dans chaque main. Ensuite parut Marianne, avec le plateau et les verres. Et le juge levant le doigt :
– C’est du 84 et je sais d’où il vient !
Cette idée de boire l’avait tout à coup mis de bonne humeur ; il remplit donc les verres, commençant par le sien, comme c’est l’habitude quand on veut s’assurer que le vin n’est pas trouble ; il n’y eut que la tante Sabine qui refusa, disant : « Tu sais bien que je ne prends jamais rien entre les repas. » Et puis, croisant les mains dans le creux de sa jupe, et se renversant en arrière, elle attendit ce qui allait venir.
On ne savait pas quoi, la chose n’ayant été qu’annoncée, et Mme Suzanne déjà tremblait qu’il n’eût à se plaindre d’Aimé, quand brusquement, M. Vernet, s’étant mouché, ayant toussé :
– Peut-être que vous allez me dire que je me mêle de choses qui ne me regardent pas, et me juger mal comme font les autres..., je suis venu pourtant, parce qu’il a fallu...
Il s’exprimait de façon brusque, avec des petits gestes de haut en bas de sa main droite ; et le juge surpris avait reposé tout à coup son verre, tandis que Mme Suzanne, se penchant en avant, disait :
– Vous savez bien, cousin, que vous êtes toujours le bienvenu chez nous.
Mais le père Vernet ne parut point entendre :
– Je sais ce qu’on pense de moi ; alors, n’est-ce pas ? je me cache, parce qu’ils me montrent du doigt ; seulement...
Et soudain il se tut, comme étonné, tout le premier, de son audace, et il lui fallut un nouvel effort pour recommencer, mais à voix plus basse :
– Quand on a un garçon comme le vôtre, il faut qu’on vienne prévenir. Parce que, écoutez-moi bien, ce n’est pas un garçon comme les autres. J’en vois tous les jours, vous savez, et plus que je n’aurais voulu ; j’ai le droit d’en parler ; et il ne faudrait pas que ça se perde, alors voilà, je suis venu...
Le visage de Mme Suzanne s’était éclairé de plaisir, et le juge aussi fut content, mais du dedans et sans vouloir en rien montrer, c’est pourquoi il vida son verre d’un trait ; il n’y avait que la tante Sabine qui, regardant du coin de l’œil le devant de chemise effrangé et l’habit aux boutons manquants du père Vernet, se disait : « Il faut qu’il ait encore du toupet, celui-là, pour venir faire des visites, sale et mal tenu comme il est. »
L’ombre tournait très lentement, l’ombre de l’arbre se déplaçait sur la terre nue vers les grands lis poudrés de jaune et les touffes d’œillets en bordure de l’allée ; on continua à parler d’Aimé. Il se passait, d’après M. Vernet, qu’il n’avait jamais eu d’élève aussi fort que lui en dessin.
– Et, répétait-il en levant la main, ça peut être de l’or pour lui, si vous voulez. Et de la gloire... Alors, comme cela, c’est beaucoup d’avoir du talent, mais on doit le développer ; le talent ne mûrit pas tout seul, il faut qu’on l’aide, comme aux plantes... Moi, voyez-vous, qui sait ? si j’avais eu quelqu’un pour s’occuper de moi

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