Imaginaires du lien et écologie en littérature africaine - , livre ebook

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Comment la littérature aide-t-elle à penser notre lien au vivant ? Par temps de crise environnementale doublée de crises sociales multiples, la littérature contemporaine offre des réponses vivantes et incarnées pour figurer un monde qui se défait.Émeline Baudet interroge dans cet ouvrage les dynamiques migratoires en Afrique, les permanences contemporaines de l’extractivisme, tout autant que les pensées littéraires du « développement », ou encore les nouvelles expérimentations de la science-fiction afrofuturiste. À chaque fois, à l’oeuvre, la relation entre humains et non-humains, entre écologie et poétique. Par une exploration de la littérature africaine contemporaine, cheminant avec Léonora Miano, Zakes Mda, In Koli Jean Bofane, Ondjaki, Emmanuel Dongala, Émeline Baudet propose une pensée écopoétique du lien.
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Date de parution

22 mars 2024

Nombre de lectures

0

EAN13

9782384091553

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

7 Mo

Émeline Baudet
Imaginaires du lien et écologie en littérature africaine
KARTHALA
Lettres du Sud Collection dirigée par Elara Bertho
Comment la littérature aide-t-elle à penser notre lien au vivant ?Par temps de crise environnementale doublée de crises sociales multiples, la littérature contemporaine offre des réponses vivanteset incarnées pour îgurer un monde qui se défait. Émeline Baudet interroge dans cet ouvrage les dynamiques migratoires en Afrique, les permanences contemporaines de l’extractivisme, tout autant que les pensées littéraires du « développement », ou encore les nouvelles expérimentations dela science-îction afrofuturiste. À chaque fois, à l’œuvre, la relation entre humains et non-humains, entre écologie et poétique. Par une exploration de la littérature africaine contemporaine, cheminant avec Léonora Miano, Zakes Mda, In Koli Jean Bofane, Ondjaki, Emmanuel Dongala, Émeline Baudet propose une pensée écopoétique du lien.
Émeline Baudetest normalienne, agrégée de lettres classiques et docteure en littérature comparée. Elle a soutenu sa thèse:Lire et écrire un monde délié poétiques africaines d’une gouvernance écologique, en 2020, à l’Université Sorbonne Nouvelle. Elle a été chargée de recherches à l’Agence Françaisede Développement, sur les questions de gouvernance et de communs. Elleest actuellement chercheuse associée à l’Institut National du Service Public (ex-ENA).
Ouvrage publié avec le concours de l’Agence Française de Développement
© Éditions Karthala, 2024 22-24, boulevard Arago – 75013 Paris www.karthala.com
ISBN : 978-2-38409-155-3 (première édition papier, 2024)
Maquette : Bärbel Müllbacher
Couverture :Observateur, 2021. © Mago Aristote Betsaleel.
Émeline Baudet
IMAGINAIRES DU LIEN ET ÉCOLOGIE EN LITTÉRATURE AFRICAINE
Introduction
Puis un jour, le Silence… Les rayons du soleil semblèrent s’éteindre1 Dans ma case vide de sens .
Sous la plume de Mandé Alpha Diarra, la catastrophe « naturelle » 2 qui frappe le village Léa, dansSahel ! Sanglante sécheresse,paru en 1981, se mue en cataclysme social, lorsque les récoltes viennent à manquer et que les villageois n’ont plus d’autre choix, pour se nourrir, que de se tourner vers les corps de ceux que la faim a terrassés pour toujours. Des sécheresses peuvent s’abattre en tout point du monde, à tout moment ; la catastrophe écologique est ici socialement dévastatrice. 3 DansLe Feu des origines, paru en 1987, Emmanuel Dongala e dresse l’histoire de l’Afrique de l’Ouest au cours duXXsiècle à travers le destin de Mandala Mankunku. Le jeune homme est le témoin impuissant de la dérive à laquelle partent son village et ses habitants. Sommés par les colons nouvellement arrivés d’accroître la production de caoutchouc, ils abandonnent les champs et lesactivités artisanales pour travailler sans relâche et exploiter laforêt dans ses moindres recoins. Celle-ci se met à cacher ses trésors et tendre des pièges aux humains ; les amis d’hier deviennent des ennemis.
1. David Diop, « Celui qui a tout perdu », dansCoups de pilon, Paris, Présence africaine, 1956. 2. Mandé Alpha Diarra,Sahel ! Sanglante sécheresse, Paris, Présence africaine, 1981. 3. Emmanuel Dongala,Le Feu des originesBabel »,, Arles, Actes Sud, coll. « 2018 [1987].
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IMAGINAIRES DU LIEN ET ÉCOLOGIE EN LITTÉRATURE AFRICAINE
4 Dans un roman publié en 2005 par Zakes Mda ,The Whale Caller, le héros constate la disparition progressive desabalones, petits coquillages qui se glissent entre les roches, victimes autant des braconnages contemporains que du réchauffement des eaux bordant les côtes sud-africaines. 5 DansLa Navigation du faiseur de pluie, c’est le portrait d’un Soudan en proie au chaos qui est dressé au cours d’un road-trip vers l’enfer. Plus on descend vers le sud du pays, plus la guerre du pétrole fait rage, tandis que les pluies s’intensifient et finissent par noyer humains et paysages dans un déluge assourdissant. En 2014, Mia Couto choisit un cadre spatio-temporel très libre pour un ouvrage qui s’intéresse pourtant à des problématiques 6 écologiques contemporaines.La Pluie ébahieest un roman de sécheresse et de brume. Elles plongent l’ensemble des habitants d’un petit village dans le désarroi et l’inquiétude, alors qu’ils vivaient depuis des générations en harmonie avec leur envi-ronnement. Les maladies se multiplient. Il faudra que s’arrête brutalement l’usine chimique qui fonctionnait à proximité pour que ces phénomènes s’estompent. Un roman d’Helon Habila paru la même année,Du pétrole 7 sur l’eau, nous entraîne cette fois-ci au Nigeria. Les torchères des grandes compagnies pétrolières y brûlent en continu et ravagent les territoires aussi bien que les solidarités de leurs habitants, au nom du profit et des rivalités complices de ces multinationales dépourvues de scrupules. Ces exemples choisis parmi tant d’autres nous montrent 8 qu’aujourd’hui plus que jamais, la littérature africaine nous parle
4. Zakes Mda,The Whale Caller, Londres, Viking, 2005. 5. Jamal Mahjoub,La Navigation du faiseur de pluie, Arles, Actes Sud, 2006. 6. Mia Couto,La Pluie ébahie, trad. Elisabeth Monteiro Rodrigues, Paris, Chandeigne, 2014. 7. Helon Habila,Du pétrole sur l’eau, Arles, Actes Sud, 2014. 8. Il est admis qu’au pluriel, l’expression donne à lire la diversité des pratiques, entre l’oral et l’écrit par exemple, ainsi que des langues, des inuences, des imagi-naires. À l’heure où l’on parle de « littérature monde », l’employer au singulier ne revient pas à nier cette pluralité des expressions ni à uniformiser la production littéraire du continent. Elle se justiîe, dans le cadre précis de cet ouvrage, par un double prin-cipe, pédagogique et politique. D’une part, il s’agit d’offrir une vision claire de ce qui
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du monde. À l’heure où la crise écologique, de ses causes à ses conséquences dévastatrices, semble enfin avoir reçu l’attention populaire et médiatique qu’elle mérite, les œuvres de littérature africaine pourraient être qualifiées de terriblement prophétiques. Elles nous invitent à donner droit de cité à des émotions et des processus esthétiques et politiques qui, il y a dix ans seulement, étaient encore marginaux. C’est ainsi que l’angoisse qui étreint le narrateur duFeu des originesface à l’hostilité nouvelle de la forêt, parce qu’elle « ne comprenait pas cette soif de destruction qui 9 […] avait soudainement saisi » les hommes du village, pourrait 10 être qualifiée de solastalgie. Forgé par Glenn Albrecht , ce terme incarne la perturbation intime des lieux que l’on connaît depuis toujours mais qui nous deviennent progressivement étrangers, voire hostiles. Parce qu’on ne peut plus trouver de réconfort dans un lieu bouleversé, dégradé, ne nous reste qu’une détresse incom-mensurable, une « désolation psychologique » d’autant plus forte qu’elle est ressentie au cœur même de ce lieu qui nous manque tant et dont il ne nous reste plus que le souvenir. La solastalgie est caractéristique de cette déliaison radicale de l’homme vis-à-vis de son environnement, elle-même induite par le réchauffement clima-tique que confirment rapports, tableaux et graphiques scientifiques 11 les plus récents . Elle est une expérience inédite en raison de ses causes et de l’ampleur qu’elle prend à l’échelle internationale,
constitue aujourd’hui la littérature émise à partir, et au sujet, du continent africain, en reconnaissant qu’elle est traversée par des lignes de force stylistiques et thématiques qui se rejoignent en un horizon commun, pour dessiner une géographie physique et émotionnelle de l’Afrique. D’autre part, l’ouvrage explore la possibilité que la litté-rature se fasse, à sa manière, « commun », au sens qui sera déîni dans le chapitre 6 : un espace où la pluralité peut s’exprimer, dans un geste partagé d’interprétation et d’identiîcation par la communauté des lecteurs. C’est pour ces raisons que l’expression sera entendue ici au singulier. 9. Emmanuel Dongala,Le Feu des origines,op. cit., p. 104. 10. L’étymologie de ce mot renvoie au latinsolari, qui désigne la consolation, tout autant que son envers, la désolation. Le grecalgosévoque la douleur de la perte. 11. Voir les rapports duGIECet notamment les deux premiers volets du sixième rapport d’évaluation, parus en août 2021 et février 2022, qui alertent sur l’accélération du réchauffement climatique et la gravité de ses conséquences sur les sociétés humaines et les écosystèmes naturels. Voir la liste complète des rapports disponibles sur leur site ofîciel,https://www.ipcc.ch/reports/ (consulté le 13 janvier 2024).
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IMAGINAIRES DU LIEN ET ÉCOLOGIE EN LITTÉRATURE AFRICAINE
puisqu’aucun territoire ne sera bientôt épargné, mais ses racines plongent au plus lointain de la souffrance éprouvée par quiconque voit son paysage se transformer sous ses yeux sans pouvoir rien y changer. Cet ouvrage explore une dizaine de romans africains, publiés entre les années 1970 et 2019. Ils ont été choisis car ils nous offrent, à des degrés divers et sans prétention à l’exhaustivité géographique ou culturelle, un panorama des conceptions et des manifestations du lien, de la reliaison ou de la relationalité, que ces phénomènes soient effectifs ou qu’ils aient été abîmés, fragilisés, voire déchirés. C’est d’ailleurs par ces atteintes aux liens dans toutes leurs dimensions que nous commencerons cette exploration. Pourquoi cette attention au lien ? Pour répondre à cette ques-tion, revenons aux exemples cités dans les premières lignes de cette introduction. Toutes ces expériences de catastrophe et de bouleversement renvoient à un mal profond, un dérèglement systématique qui nous indique que quelque chose s’est brisé dans l’ordre habituel du monde. En quoi consistent précisément ces expériences et quelles sont les étapes du parcours affectif, émotionnel et intellectuel qu’elles ont entraîné à leur suite ? Lhypothèseguidantcetouvrageestquecesexpériencespro-viennent toutes de différentes formes dedéliaison, à toutes les échelles. Parce que quelque chose s’est brisé ou bien dans le lien qui unissait une instance à une autre, ou bien dans le fonction-nement interne de l’une d’entre elles, une série de déchirures ont affecté notre monde, nos mondes. Dès lors, il n’est pas sur-prenant que la littérature africaine s’intéresse de plus en plus à ces catastrophes, l’Afrique étant l’un des continents les plus sévèrement menacés par les déliaisons massives entraînées par la crise climatique. Il n’empêche que la tentation du désespoir face à l’impasse dans laquelle nous sommes aujourd’hui enfermés est incommen-surable. Jamais il n’y a eu, dans l’histoire, une telle conflagration entre enjeux environnementaux et enjeux sociaux. Les inégalités se massifient, d’un pays à l’autre et en leur sein. L’Anthropo-cène qualifie l’ère de déstabilisation massive dans laquelle nous
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12 vivons , bien que ce terme masque l’évidente hétérogénéité des responsabilités entre individus dans les dommages infligés à la 13 planète au titre des activités « humaines » . Pourtant, des solutions ne manquent pas, à condition de se mettre en quête pour les dénicher. Nous soutenons ici que la litté-rature africaine s’en fait précisément l’écho. Par cette expression, nous entendons la production littéraire d’un continent, géogra-phique, mémoriel et spirituel, grâce auquel les auteurs et autrices s’affirment comme africains ou afrodescendants. Parce qu’elle est issue d’un continent martyrisé par le passé, en butte à des avidités jamais taries, mais aussi parce que s’y élabore un renouvellement fécond des modes de rapport au monde, la littérature « africaine » nous apparaît comme une possible solution à l’impasse méta-physique dans laquelle s’est engagée l’aspiration occidentale au consumérisme, au techno-solutionnisme et à l’extractivisme. Ces derniers sont responsables de la ruine des écosystèmes, des ravages économiques et environnementaux qui brisent le lien social dans les pays du monde entier. Dans notre effort pour faire émerger de nouvelles dynamiques et de nouveaux liens entre les êtres et les choses, les littératures issues de mondes en crise pourraient bien nous apporter des réponses pour demain. Cet ouvrage propose donc une grille de lecture écocritique de ces phénomènes de déliaison ; c’est aussi ce qui ouvre la voie à des hypothèses permettant de les réparer, en recréant du lien et de la relationalité là où les conséquences de l’Anthropocène les ont déchirés. Cela nous aidera à mettre en lumière les leviersqui pourraient être actionnés pour rétablir un lien social faisant droit aux plus évidentes revendications de justice sociale et écrire
12. Au-delà des seules sciences dites « naturelles », c’est bien l’ensemble des champs de recherches qui se retrouvent convoqués, en vertu de l’immense « capacité déstabilisatrice » de l’Anthropocène : si les écosystèmes sont bouleversés, ils entraînent en retour de vastes remises en question de tous les équilibres sociaux et politiques que l’histoire avait peu à peu instaurés, à commencer par les plus précaires. 13. Des alternatives sémantiques ont été proposées au terme d’Anthropocène, qui mettent chacun l’accent sur une cause différente à la situation de dévastation éco-logique : Capitalocène, Anglocène, voire Technocène, etc. Pour un inventaire de ces concepts, voir Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz,L’Événement anthro-pocène : la Terre, l’histoire et nous, Paris, Seuil, 2013.
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le récit de cette « rencontre entre l’histoire sociale des hommes et 14 l’histoire naturelle de la planète » . Il s’agit de donner à lire ce qui semble nous dépasser d’une manière inédite. À la différence 15 d’Amitav Ghosh , selon lequel l’Anthropocène et les change-ments climatiques engendrés seraient irreprésentables dans la littérature romanesque, car ils violeraient toutes les conditions de probabilité qui règnent dans la fiction, nous affirmons que la littérature est parfaitement capable, à sa manière, d’intégrer la 16 donne esthétique et discursive du Nouveau Régime Climatique . Je dis « à sa manière » car il existe des modes de représentation distincts de la seule communication langagière. Les formes qui nous entourent sont dotées de leurs propres modes de communi-cation ; le défi que doivent relever les humains serait de percevoir ces « discours » et de les interpréter. Ces nouveaux réseaux de communication pourraient dès lors s’avérer plus efficaces pour représenter l’Anthropocène ; ou plutôt, ce dernier pourrait bien 17 se mettre à parler « à travers nous » . Ce rejet du logocentrisme expliquerait pourquoi les autres médias, comme la télévision, les films, les arts visuels, s’attellent au changement climatique bien plus que la littérature. En d’autres termes, il s’avère que si l’Anthropocène résiste autant à la fiction littéraire, c’est en raison de sa résistance au langage même ; il en découle que des formes hybrides de lecture et d’écriture devront émerger, afin de corres-pondre pleinement à cette nouvelle ère. Ces formes d’écriture qui traduisent ces expériences de déliaison et de relationalité, nous les appellerons des récits. Ce sont les moyens matériels grâce auxquels des imaginaires spé-cifiques se manifestent. Nous définissons comme « imaginaires » les constructions littéraires élaborées par des lexiques, des stra-tégies discursives et énonciatives particulières, propres à délivrer
14. Rémi Beau et Catherine Larrère (dir.),Penser l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2018, p. 8. 15. Amitav Ghosh,The great derangement: climate change and the unthinkable, Chicago, University of Chicago Press, 2016. 16. Bruno Latour,Face à Gaïa: huit conférences sur le Nouveau Régime Clima-tique», 2015.Les empêcheurs de penser en rond , Paris, La Découverte, coll. « 17. Amitav Ghosh,The great derangement,op. cit., p. 83.
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