397
pages
Français
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2019
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Publié par
Date de parution
21 juin 2019
Nombre de lectures
4
EAN13
9782374634012
Langue
Français
Jack London (1876-1916)
"On ne peut pas dire que le Manuscrit Everhard soit un document historique important. Pour l’historien, il est truffé d’erreurs – pas des erreurs de faits, mais des erreurs d’interprétation. En étudiant les sept siècles qui se sont écoulés depuis qu’Avis Everhard a achevé son manuscrit, les événements, et les conséquences de ces événements, qui lui étaient confus et voilés, sont clairs pour nous. Elle manquait de recul. Elle était trop proche des événements sur lesquels elle a écrit. En fait, elle fusionnait avec les événements qu’elle a décrits.
Néanmoins, en tant que document personnel, le Manuscrit Everhard est d’une valeur inestimable. Mais là encore, entrent les erreurs de recul, et celles dues au travers de l’amour. Cependant nous en sourions, et pardonnons Avis Everhard pour les traits héroïques qu’elle a apportés à son époux. Nous savons, aujourd’hui, qu’il ne fut pas aussi important, et qu’il ne participa pas aux événements de son temps aussi largement que le Manuscrit voudrait nous faire croire.
Nous savons qu’Ernest Everhard fut un homme exceptionnellement fort, mais pas aussi exceptionnel que son épouse pensait qu’il fut. Il n’était, après tout, qu’un de ces nombreux héros, à travers le monde, qui consacrèrent leurs vies à la Révolution ; bien qu’il faille admettre qu’il ait réalisé un travail particulier, spécialement dans l’élaboration et l’interprétation de la philosophie de la classe ouvrière. « Science prolétarienne » et « Philosophie prolétarienne » furent ses expressions, et là il montrait le provincialisme de son esprit – un défaut, cependant, dû à l’époque et personne, en ces temps-là, ne pouvait y échapper. Mais revenons au Manuscrit..."
Roman d'anticipation politique écrit en 1908.
Avis Everhard, d'origine bourgeoise, raconte sa rencontre en 1912 avec Ernest Everhard, un meneur socialiste dont elle tombe amoureuse. Elle raconte également le violent combat mené contre l'oligarchie capitaliste, qu'Ernest a surnommée le "Talon de Fer", ainsi que les terribles représailles contre les révolutionnaires et le peuple. Le manuscrit d'Avis est annoté par un historien sept siècles plus tard, alors que l'oligarchie capitaliste n'existe plus.
Publié par
Date de parution
21 juin 2019
Nombre de lectures
4
EAN13
9782374634012
Langue
Français
Le Talon de Fer
Jack London
Traduit de l’Américain par Louis Postif
et Stéphane le Mat (pour l’avant-propos)
Juin 2019
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-37463-401-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 402
Avant-propos
On ne peut pas dire que le Manuscrit Everhard soit un document historique important. Pour l’historien, il est truffé d’erreurs – pas des erreurs de faits, mais des erreurs d’interprétation. En étudiant les sept siècles qui se sont écoulés depuis qu’Avis Everhard a achevé son manuscrit, les événements, et les conséquences de ces événements, qui lui étaient confus et voilés, sont clairs pour nous. Elle manquait de recul. Elle était trop proche des événements sur lesquels elle a écrit. En fait, elle fusionnait avec les événements qu’elle a décrits.
Néanmoins, en tant que document personnel, le Manuscrit Everhard est d’une valeur inestimable. Mais là encore, entrent les erreurs de recul, et celles dues au travers de l’amour. Cependant nous en sourions, et pardonnons Avis Everhard pour les traits héroïques qu’elle a apportés à son époux. Nous savons, aujourd’hui, qu’il ne fut pas aussi important, et qu’il ne participa pas aux événements de son temps aussi largement que le Manuscrit voudrait nous faire croire.
Nous savons qu’Ernest Everhard fut un homme exceptionnellement fort, mais pas aussi exceptionnel que son épouse pensait qu’il fut. Il n’était, après tout, qu’un de ces nombreux héros, à travers le monde, qui consacrèrent leurs vies à la Révolution ; bien qu’il faille admettre qu’il ait réalisé un travail particulier, spécialement dans l’élaboration et l’interprétation de la philosophie de la classe ouvrière. « Science prolétarienne » et « Philosophie prolétarienne » furent ses expressions, et là il montrait le provincialisme de son esprit – un défaut, cependant, dû à l’époque et personne, en ces temps-là, ne pouvait y échapper.
Mais revenons au Manuscrit. Sa valeur particulière est de nous communiquer l’atmosphère de cette terrible époque. Nulle part, nous ne trouvons de descriptions aussi vivantes de la psychologie des personnes ayant vécu pendant cette période agitée, entre 1912 et 1932 – leurs erreurs et leur ignorance, leurs doutes, leurs craintes et leurs désappointements, leurs illusions morales, leurs violentes passions, leur inconcevable sordidité et égoïsme. Ce sont toutes ces choses qui sont difficiles à comprendre, pour nous qui sommes d’un âge de lumière. L’Histoire nous dit que ces choses ont existé ; mais l’Histoire, la biologie et la psychologie ne rendent pas ces choses vivantes. Nous les acceptons comme faits mais nous ne les comprenons pas avec sensibilité.
Cette sensibilité nous parvient, cependant, lorsque nous parcourons le Manuscrit Everhard. Nous pénétrons dans les esprits des acteurs de ce drame mondial d’il y a longtemps, et à ce moment leurs processus mentaux deviennent nos processus mentaux. Nous ne comprenons pas seulement l’amour d’Avis Everhard pour son mari héroïque, mais nous ressentons, comme il l’a ressenti, en ces premiers jours, la vague et terrible menace de l’Oligarchie. Le Talon de Fer (bien nommé), nous le sentons descendre et écraser l’humanité.
Et en passant, nous notons que cette appellation historique, le Talon de Fer, a son origine dans l’esprit d’Ernest Everhard. C’est, nous pouvons dire, la seule interrogation discutable que ce document récent éclaircit. Auparavant, la plus ancienne utilisation de cette expression se trouvait dans la brochure, « Vous Esclaves », écrite par George Milford et publiée en décembre 1912. Ce George Milford était un obscur agitateur à propos duquel rien n’est connu, excepté le peu d’informations tiré du Manuscrit qui mentionne qu’il fut abattu dans la Commune de Chicago. Évidemment il a entendu Ernest Everhard utiliser cette expression dans quelque discours, plus probablement lorsqu’il se présenta au Congrés à l’automne 1912. Grâce au Manuscrit, nous apprenons qu’Everhard utilisa cette expression lors d’un dîner privé au printemps 1912. C’est, sans discution, la première fois où l’Oligarchie fut désignée ainsi.
La montée de l’Oligarchie restera toujours une source de secret étonnement pour l’historien et le philosophe. D’autres grands événements historiques ont leur place dans l’évolution sociale. C’était inévitable. Leur arrivée aurait pu être prédite avec la même certitude que les astronomes d’aujourd’hui prédisent les conséquences du mouvement des étoiles. Sans ces autres grands événements historiques, l’évolution sociale n’aurait pas pu se poursuivre. Le communisme primitif, l’exploitation des biens immobliers, l’exploitation de la main d’œuvre, et l’esclavage salarial furent des étapes indispensables dans l’évolution de la société. Mais il est ridicule d’affirmer que le Talon de Fer fut un tremplin nécessaire. Aujourd’hui, on le considère plutôt comme un pas de côté, ou un pas en arrière, des tyrannies sociales qui ont fait du monde un enfer. Mais c’était aussi nécessaire que le Talon de Fer était inutile.
Aussi noir que fut le féodalisme, sa venue était inévitable. Quoi d’autre que le féodalisme pouvait succéder à la chute de cette immense machine centraliste gouvernementale connue sous le nom d’Empire Romain ? Ce n’est pas la même chose pour le Talon de Fer. Dans le mécanisme ordonné de l’évolution social, il n’y a pas de place pour lui. Il n’était pas nécessaire, et il n’était pas inévitable. Cela doit toujours rester la grande singularité de l’Histoire : un caprice, une fantaisie, une apparition, une chose inattendue et insoupçonnée ; et cela devrait servir comme avertissement à ces téméraires théoriciens politiques d’aujourd’hui qui parlent avec certitude des processus sociaux.
Le capitalisme fut considéré par les sociologues de l’époque comme l’aboutissement de la domination bourgeoise, le fruit mûr de la révolution bourgeoise. Et nous, aujourd’hui, nous ne pouvons qu’applaudir ce jugement. À la suite du Capitalisme, il fut admis, même par des géants intellectuels et antagonistes tel que Herbert Spencer, que le Socialisme arriverait. La décadence du capitalisme égoïste aurait permis la naissance de cette fleur de l’âge, la Fraternité des Hommes. Au lieu de cela, chose consternante pour nous qui regardons en arrière et pour ceux qui vivaient à l’époque, le capitalisme, complètement pourri, envoya en avant ce monstrueux rejeton, l’Oligarchie.
Le mouvement socialiste du début du XX e siècle comprit trop tard l’arrivée de l’Oligarchie. Quand ils comprirent, l’Oligarchie était déjà là – un fait instauré dans le sang, une incroyable et horrible réalité. Et même alors, comme le montre bien le Manuscrit Everhard, on n’attribuait aucune pérennité au Talon de Fer. Son renversement ne durerait que quelques années, selon l’avis des révolutionnaires. Il est vrai qu’ils s’aperçurent que la Révolte Paysanne n’était pas prévue, et que la Première Révolte était prématurée ; mais ils se rendirent très peu compte que la Seconde Révolte, organisée et murie, était condamnée à une inutilité identique et à une répression plus terrible.
Il est évident qu’Avis Everhard a terminé le Manuscrit pendant les derniers jours de préparation de la Seconde Révolte ; d’où le fait qu’il n’y ait pas de mention de la desastreuse issue de la Seconde Révolte. Il est clair qu’elle avait l’intention de publier le manuscrit immédiatement après que le Talon de Fer fut renversé, afin que son mari, récemment décédé, puisse recevoir tous les mérites pour ce qu’il avait risqué et accompli. Survint alors l’épouvantable écrasement de la Seconde Révolte, et c’est vraisemblable, lors de ce moment de danger, avant de fuir ou d’être capturée par les Mercenaires qu’elle cacha le Manuscrit dans le chêne creux à Wake Robin Lodge.
Il n’existe pas d’autres documents sur Avis Everhard. Sans doute, elle fut exécutée par les Mercenaires ; et comme chacun sait, aucun procès-verbal pour de telles exécutions ne fut conservé par le Talon de Fer. Mais elle ne réalisait pas encore, alors même qu’elle cachait le Manuscrit et se préparait à fuir, à quel point l’effondrement de la Seconde Révolte serait terrible. Elle ne réalisait pas que l’évolution tortueuse et pervertie des trois prochains siècles appellerait une Troisième Révolte et une Quatrième Révolte, et plusieurs autres révoltes, noyées dans le sang, avant que le mouvement mondial du travail ne prenne son ampleur. Et elle n’imaginait pas que durant sept longs siècles l’hommage de son amour pour Ernest Everhard reposerait tranquillement dans le cœur d’un vieux chêne à Wake Robin Lodge.
A NTHONY M EREDITH .
Ardis,
November 27, 419 B. O. M.
I
Mon aigle
La brise d’été agite les pins géants (1) , et les rides de la Wild-Water clapotent en cadence sur ses pierres moussues. Des papillons dansent au soleil, et de toutes parts frémit le bourdonnement berceur des abeilles. Seule au sein d’une paix si profonde, je suis assise, pensive et inquiète. L’excès même de cette sérénité me trouble et la rend irréelle. Le vaste monde est calme, mais du calme qui précède les orages. J’écoute et guette de tous mes sens le moindre indice du cataclysme imminent. Pourvu qu’il ne soit pas prématuré ! Oh ! pourvu qu’il n’éclate pas trop tôt ! (2)
Mon inquiétude s’explique. Je pense, je pense sans trêve et ne puis m’empêcher de penser. J’ai vécu si longtemps au cœur de la mêlée que la tranquillité m’oppresse, et mon imagination revient malgré moi à ce tourbillon de ravage et de mort qui va se déchaîner sous peu. Je crois entendre les cris des victimes, je crois voir, comme je l’ai vu dans le passé (3) , toute cette tendre et précieuse chair meurtrie et mutilée, toutes ces âmes violemment arrachées de leurs nobles corps et jetées à la face de Dieu. Pauvres humains que nous sommes, obligés de recourir au carnage et à la destruction pour atteindre notre but, pour introduire sur terre une paix et un bonheur durables !
Et puis je suis toute seule ! Quand ce n’est pas de ce