335
pages
Français
Ebooks
2021
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
335
pages
Français
Ebooks
2021
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Publié par
Date de parution
22 décembre 2021
Nombre de lectures
1
EAN13
9782384420100
Langue
Français
George Sand (1804-1876)
"Madame du Blossay venait de s’installer dans sa nouvelle résidence du Plantier lorsqu’elle m’écrivit :
« Mon cher Armand, tu vas venir tout de suite, je t’en avertis. Une tante qui n’a pas de fils ne peut se passer de son neveu quand il s’agit d’un établissement qui est son dernier nid de campagne. Je trouverai tout très bien du moment que tu seras content de notre ermitage. Et puis je veux te marier, et je suis assez bien renseignée déjà pour être sûre que, dès cette année, tu pourras choisir ici celle qui te convient. »
Ma tante du Blossay m’avait servi de mère ; elle était toute ma famille, je n’avais rien à lui refuser nous nous aimions tendrement. Je partis le jour même.
J’étais résolu à lui complaire en toutes choses, hormis une seule : je ne voulais pas me marier. Non que je fusse un homme de plaisir : ma vie, au contraire, avait toujours été sérieuse ; mais j’aimais ce côté de l’indépendance que l’on pourrait appeler l’irresponsabilité. Élevé avec amour par une femme de mérite, et conservé aussi pur que possible, grâce à un milieu intelligent et affectueux, j’avais pris le goût des personnes et des choses d’élite, et je savais combien la véritable distinction est devenue rare. Je voyais très bien que mon entourage était un petit monde exceptionnel, une oasis dans le désert intellectuel du monde d’aujourd’hui, ce monde qui représente non plus du tout un étage social quelconque, mais une foule associée pour partager les mômes plaisirs, sans lien réel entre les individus qui la composent."
Célie Merquem est une "vieille fille" de 30 ans qui a tout pour plaire... mais elle refuse les prétendants : elle les juge indignes d'elle. Il est vrai que l'éducation que lui a donnée son grand-père n'est pas conventionnelle et le mariage n'est pas un but en soi pour mademoiselle Merquem. Son voisin, M. de Montroger, bien que refusé plusieurs fois, ne perd pas espoir ! Quant à Mme du Blossay elle aimerait bien unir Célie à son neveu Armand...
Publié par
Date de parution
22 décembre 2021
Nombre de lectures
1
EAN13
9782384420100
Langue
Français
Mademoiselle Merquem
George Sand
Décembre 2021
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-010-0
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1008
Mademoiselle Merquem
Madame du Blossay venait de s’installer dans sa nouvelle résidence du Plantier lorsqu’elle m’écrivit :
« Mon cher Armand, tu vas venir tout de suite, je t’en avertis. Une tante qui n’a pas de fils ne peut se passer de son neveu quand il s’agit d’un établissement qui est son dernier nid de campagne. Je trouverai tout très bien du moment que tu seras content de notre ermitage. Et puis je veux te marier, et je suis assez bien renseignée déjà pour être sûre que, dès cette année, tu pourras choisir ici celle qui te convient. »
Ma tante du Blossay m’avait servi de mère ; elle était toute ma famille, je n’avais rien à lui refuser nous nous aimions tendrement. Je partis le jour même.
J’étais résolu à lui complaire en toutes choses, hormis une seule : je ne voulais pas me marier. Non que je fusse un homme de plaisir : ma vie, au contraire, avait toujours été sérieuse ; mais j’aimais ce côté de l’indépendance que l’on pourrait appeler l’irresponsabilité. Élevé avec amour par une femme de mérite, et conservé aussi pur que possible, grâce à un milieu intelligent et affectueux, j’avais pris le goût des personnes et des choses d’élite, et je savais combien la véritable distinction est devenue rare. Je voyais très bien que mon entourage était un petit monde exceptionnel, une oasis dans le désert intellectuel du monde d’aujourd’hui, ce monde qui représente non plus du tout un étage social quelconque, mais une foule associée pour partager les mômes plaisirs, sans lien réel entre les individus qui la composent.
J’étais trop jeune – je n’avais encore que vingt-cinq ans – pour me sentir mécontent de la vie et désenchanté de mon époque. L’époque où l’on est jeune est, je crois, toujours belle, et le Paris mêlé, extravagant et charmant que je traversais ne me causait nul ennui. Ma tante se plaignait vivement de l’état fébrile général. Je tâchais de la réconcilier avec les inévitables résultats de nos inévitables révolutions. J’y trouvais mille sujets d’étude, et j’aimais à philosopher avec elle sur l’enchaînement des causes et des effets ; mais, si je portais dans mes jugements la tolérance de mon âge, c’était à la condition de ne pénétrer dans le tourbillon qu’à mes heures et dans la limite de mes goûts. Je voulais bien y passer en amateur, mais non y devenir esclave. Or, on devient indubitablement l’esclave d’une situation donnée, quand, pour s’y pousser ou s’y maintenir, il faut sacrifier sa dignité, ses loisirs ou ses opinions. Pauvre, il faut s’ingénier à faire fortune, car la vie du monde est ruineuse. Riche, il faut s’appliquer à faire reluire et sonner sa richesse. Dans l’un et l’autre cas, il faut s’effacer soi-même, immoler sa propre originalité, s’enchaîner ou se transformer. Moi qui n’étais ni pauvre ni riche, je ne voulais pas être forcé de devenir l’un ou l’autre. Un grand dévouement à une personne ou à une idée m’eût paru digne d’un suprême effort ; mais se dévouer à l’amusement de gens qui s’amusent aussi bien des désastres que des triomphes de l’individu, c’est une fantaisie creuse que je n’ai pas comprise encore.
Donc, je redoutais le mariage comme un changement d’état qui eût subordonné mes habitudes et mes occupations aux ambitions probables de ma femme, ou qui eût créé entre nous une lutte désastreuse. Je suppliai ma tante, sinon de renoncer à son projet, du moins de l’ajourner.
– Voyons, me dit-elle, avoue que tu as une peur terrible que je ne veuille te marier avec ta cousine !
– Non, ma tante, je ne crains pas que vous y ayez jamais songé.
– Et tu as raison. Ma fille est mondaine au fond de l’âme. J’ai eu beau l’élever dans les mêmes idées que celles dont je t’avais nourri : ce qui t’a semblé sage et bon lui paraît, à elle, arriéré, cruel, intolérable. Elle aspire à m’échapper pour se lancer dans la grande cohue, et il faudra que je me résigne à lui voir faire quelque beau mariage bien sot, ou elle mourra de colère ou de chagrin dans notre solitude. Ah ! mon cher enfant, les mères ne sont pas heureuses par le temps qui court, quand elles n’ont pas l’esprit d’être folles !
– Ne parlons pas de cela, chère tante. Attendons et espérons ; les dix-sept ans d’Erneste n’ont pas dit leur dernier mot. Et puis l’homme qui joindrait le mérite à une position brillante n’est pas impossible à rencontrer. Cherchons-le, ce rara avis , au lieu de songer à me faire trouver la femme de mes rêves.
– Comment est-elle, la femme de tes rêves ? Ne peut-on le savoir, ne fût-ce que pour se distraire un peu des idées sombres ?
– Oh ! alors... je voudrais vous tracer un portrait aimable et charmant... Vous, par exemple.
– Avec trente ans de moins, j’imagine ? Eh bien, tu ne sais ce que tu dis : à vingt ans, je ne valais pas ce que je vaux. Je n’avais pas souffert, et, comme il vous faut des âmes toutes neuves, à vous autres, comme vous voulez faire verser la première larme, vous serez toujours condamnés à épouser l’inconnu ; car le chagrin rend très bon ou très mauvais, on ne sait le résultat que quand il n’est plus temps d’y rien changer.
Ma cousine Erneste était la plus jolie fille qu’on pût voir, très spirituelle, très aimable et très bonne, et avec tout cela elle faisait le désespoir de sa mère et le tourment de sa maison : elle s’ennuyait !
Il n’y a guère de milieu aujourd’hui pour les jeunes filles : être très instruites, très studieuses, très intelligentes, ou se trouver très malheureuses quand leurs parents ne peuvent pas ou ne veulent pas les exhiber perpétuellement. Ma tante, qui n’avait qu’une médiocre fortune, avait tout fait pour empêcher sa fille unique de partager les ivresses de la vie élégante. Elle avait rêvé, comme toutes les mères raisonnables, d’en faire une bonne petite femme bien sage, bien modeste et bien douce ; mais, comme toutes les mères raisonnables, elle avait échoué devant la folie du siècle. Elle s’était imaginé que la raison peut parler à l’ivresse ; elle avait oublié que l’ivresse n’a pas d’oreilles, et que le moindre bourdonnement de violons emporte les paroles maternelles les plus tendres et les plus sensées. Le siècle était venu chercher sa proie et l’avait saisie aussi facilement, dans ce petit intérieur modeste et digne, que si elle l’eût trouvée sur la place publique. Le démon était entré dans la chambre de la jeune fille sous la forme de la couturière, sous celle de la coiffeuse, sous celle de la maîtresse de piano, sous celle de la jeune amie sortant de pension, sous celle du journal des modes emprunté à la tailleuse, sous celle de l’entre-filet de journal consacré à la description des fêtes de telle ou de telle duchesse ou marquise.
On ne peut pas élever une fille dans une cage. Il faut bien qu’elle vive, qu’elle voie, qu’elle entende et qu’elle respire. Où la mènera-t-on promener, à Paris, si ce n’est au soleil ou au milieu des arbres ? C’est là justement que le Paris élégant et folâtre aime à se montrer ; c’est là que passe, dans le plus fringant équipage et dans la plus merveilleuse toilette, la femme équivoque dont cette enfant ne voit que les ailes de papillon, et ne saurait soupçonner la momification morale ; c’est là que les hommes bien mis et bien montés l’emportent sur toutes les espèces inférieures, et que la qualité d’honnête homme n’est rien auprès de celle d’homme bien ganté et bien chaussé. Quelle plaisante chose ! la jeune fille qui voit passer ces légers cavaliers rêve de les voir caracoler à la portière de sa voiture. Elle n’en aime aucun, mais tous lui plaisent. Elle ne pressent aucun danger dans l’émotion qu’ils lui causent. Elle s’en amuse, elle s’en moque avec quelque maligne compagne, aussi agitée, aussi affolée qu’elle-même. Toutes deux sont innocentes, fières et froides ; ce n’est encore ni pat le cœur ni par les sens qu’elles vivent et tressaillent : c’est par la vanité, par la soif d’être remarquées, par l’ambition de planer un jour sur cette foule où elles se glissent aujourd’hui timides et rieuses. Rien de plus chaste et de plus inoffensif que ce vertige de l’adolescence : rien de plus funeste si, dans les profondeurs de l’âme, un puissant germe de dignité ne se tient prêt à vaincre la soif du succès et les convoitises du luxe.
C’est ce germe de la véritable fierté féminine que ma tante n’avait pu développer c