76
pages
Français
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2021
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Publié par
Date de parution
09 novembre 2021
Nombre de lectures
2
EAN13
9782381537672
Langue
Français
Le narrateur, ancien pianiste et philatéliste amateur, fête ses 66 ans. Pour son anniversaire, sa fille lui offre une missive vieille de deux siècles qui porte encore son timbre. Au-delà de la valeur marchande de ce dernier, c’est autre chose qui l’intéresse : depuis ses 9 ans, il est capable de plonger dans la vie de certains objets... Ce dernier lui permettra peut-être de voyager à nouveau dans le temps !
De 1870 à nos jours, il suivra tour à tour la vie de Théodore, Jonathan et Geneviève au fur et à mesure que la missive change de propriétaires à travers les siècles. Témoin de leur quotidien, il vivra par procuration des évènements comme le naufrage du Titanic ou la dure réalité de la première et Seconde Guerre mondiale. Le timbre lui permettra même, au détour d’un énième voyage, de lui en apprendre plus sur ses propres origines...
Publié par
Date de parution
09 novembre 2021
Nombre de lectures
2
EAN13
9782381537672
Langue
Français
L’air du temps
La SAS 2C4L — NOMBRE7, ainsi que tous les prestataires de production participant à la réalisation de cet ouvrage ne sauraient être tenus pour responsables de quelque manière que ce soit, du contenu en général, de la portée du contenu du texte, ni de la teneur de certains propos en particulier, contenus dans cet ouvrage ni dans quelque ouvrage qu’ils produisent à la demande et pour le compte d’un auteur ou d’un éditeur tiers, qui en endosse la pleine et entière responsabilité.
AURORE BALLAND-PIEUCHOT
L’air du temps
Pour mes parents,
Préambule
Demain, je vais fêter mes soixante-six ans avec ma famille proche. Ma femme va préparer mon plat préféré pour l’occasion. Je connais déjà le menu : en entrée, une salade composée avec des tomates, des olives vertes, parsemée de pignons de pin. Ensuite un bœuf bourguignon accompagné de pommes de terre et de carottes. Puis le plateau de fromages où sera proposé du Cantal, du crottin de Chavignol et du Gouda au cumin. Ce repas se mariera parfaitement avec un vin de Sancerre rouge. Ce nectar saura aiguiser les papilles. En dessert, un financier fait maison disposé dans une assiette avec une boule de glace à la noisette, le tout agrémenté de crème chantilly et saupoudré de copeaux de chocolat… Un vrai régal en perspective. J’en salive déjà ! Je ne sais pas ce que va m’offrir ma femme, mais j’ai la chance qu’elle maîtrise l’art de me faire plaisir. Quant à ma fille, son cadeau sera un timbre pour alimenter ma collection. Au dire de Lydie, que j’ai eue hier au téléphone, il semble que celui-ci soit toujours collé sur une missive. Une fois en ma possession, je le décollerai pour le rajouter minutieusement à mon album.
Je ne m’étais plus intéressé à cette passion depuis quarante ans avec le sentiment qu’à tout instant, je pouvais me replonger dans cet univers. J’ai commencé la philatélie à l’aube de mon adolescence et puis la vie m’a rattrapée. Mes études, les sorties avec les copains, puis ma rencontre avec ma femme. Rapidement, il m’a fallu seconder mon épouse en participant aux tâches du quotidien, m’impliquer dans l’éducation de notre enfant, entretenir la maison et le jardin… Ma carrière professionnelle m’a aussi pris beaucoup de temps et d’énergie. Bref, sans que je m’en rende vraiment compte, les années ont filé… Seul le miroir me renvoie à la réalité de cette jeunesse passée. Vous connaissez sûrement ce type de situation.
En ce jour d’hiver, je n’ai pas envie de lire ni de sortir marcher, je décide, je ne sais trop pourquoi, de reprendre mon album. L’objet est recouvert d’une épaisse poussière. Heureusement que ma femme, très maniaque, n’est pas là pour le constater. Je fais passer ma main sur la couverture en cuir noir et feuillette quelques pages non sans une certaine émotion de m’introduire dans un monde mis de côté depuis bien longtemps. Au fil des pages de cet album, je redécouvre mes timbres, leurs couleurs, et la beauté des séries. Presque ému de les revoir. Des souvenirs remontent à la surface. Je me remémore les achats de timbres avec mon argent de poche gagné lorsque j’astiquais les cuivres de la maison chez mes grands-parents, les échanges avec les camarades de classe, de nos comparaisons, de nos rivalités à avoir la plus belle collection.
À la minute où j’ai eu le nez dans mon album, cela est devenu ma seule préoccupation. Comparable à une obsession, peut-être pire qu’une addiction. Mon esprit s’est retrouvé bloqué sur ces petits morceaux de papier. Figé sans pouvoir détacher mon regard. Comme s’il fallait rattraper le temps perdu et ne plus faire autre chose que de regarder mes timbres. Avide d’informations récentes, je me suis mis à consulter des sites spécialisés sur internet ; je clique sur la page d’accueil d’un site, puis d’un autre, et encore d’un autre, découvrant des merveilles. Je me rends compte que cet univers m’a manqué. Je suis content de m’y reglisser.
Demain matin, lorsque j’irai à la librairie place Carnot acheter le journal, je commanderai le catalogue d’Yvert & Tellier. Ainsi j’aurai une idée de la côte des timbres que j’ai déjà en ma possession. C’était une collection d’enfant, mais sait-on jamais, j’ai peut-être un trésor caché quelque part…
C’est ainsi que le lendemain je me lève de bonne humeur. J’ai un peu honte mais je dois avouer que j’ai mis l’album près de mon lit hier soir. J’y ai jeté un coup d’œil avant de m’endormir. Toute la nuit, j’ai rêvé de mon adolescence, de mon ancienne passion en tant que philatéliste. J’ai vu danser dans mes songes des Mariannes, des semeuses, et même des Napoléon. J’ai rêvé des facteurs, de leurs uniformes, du bureau de poste…
Le lendemain un peu fatigué par cette nuit mouvementée, j’ai tout de même plaisir à consulter les pages du catalogue. Malheureusement, force est de constater que ma collection est plus qu’incomplète…
Peu importe, pour l’instant je fais des marques au crayon de papier pour en sélectionner afin de les acquérir rapidement. Enfin, ceux dans la limite de mon budget… Les plus rares sont chers. Certains peuvent atteindre cent mille euros… Bien au-delà de mes possibilités financières.
Les yeux rivés dans mon album, j’ai l’impression d’apprendre à réapprivoiser un univers oublié en baignant parmi toutes ces vignettes. Une coupure d’un article tombe à mes pieds. Je la ramasse et lis :
« JEAN DE SPERATI est un faussaire italien qui exerça en France. Spécialisé dans la réalisation de faux timbres-poste de collection. Il est considéré comme un des maîtres en la matière. Ses créations sont recherchées et atteignent des prix respectables, mais bien inférieurs à ceux des timbres authentiques. »
Ah oui, c’est vrai que j’étais aussi très intéressé par le monde des faussaires. J’admirais la qualité de leur travail, leur ingéniosité à copier parfaitement les originaux.
***
Le jour de mon anniversaire arrive. Je vais pouvoir ajouter ce fameux timbre à ma collection ! Pendant cette interminable attente, je me demande si le miracle va se produire. J’ai un secret. Depuis mes neuf ans, je suis capable de plonger dans la vie de certains objets. Je me retrouve au milieu d’eux. Sans parvenir à contrôler la durée de la vision ni son intensité. Je ne sais pas pourquoi j’ai cette faculté et si d’autres personnes l’ont. Pas évident d’aborder le sujet avec quelqu’un. Jusqu’ici, j’ai préféré garder cela pour moi. Parfois, avide de trouver des explications, je fais des recherches sur internet. Malheureusement, celles-ci se sont avérées vaines ou trop fantaisistes à mon grand désarroi.
Longtemps, je me suis posé des questions sur ce phénomène. Sur le pourquoi moi ? Dans quel but ? J’ai fini par en conclure que cela vient peut-être du fait j’ai été abandonné à la naissance. J’ai sûrement développé une sensibilité particulière. Une brèche ouverte sur des destinations antérieures. Depuis cet âge, j’ai un rapport différent avec le matériel qui accompagne nos vies. Pour moi, chaque objet a une importance, quelle que soit sa valeur marchande. Je ressens une attraction particulière. Chaque objet peut potentiellement me faire basculer dans une réalité révolue.
Lorsque cela se produit, j’ai une sensation de vertige au début, puis la bouche sèche, mes mains tremblent et deviennent moites. Enfin, je suis absorbé comme dans un tourbillon. Je vois par flash ce que l’objet touché veut me révéler. Il est le maître, je suis un simple spectateur.
En revanche, il est inutile de me demander si les murs me parlent. Non, les lieux hantent mais ils veulent uniquement partager leurs émotions négatives. Alors, je ne cherche pas à me mettre en contact avec eux. Ces endroits sont toujours empreints d’événements terribles. Je préfère me concentrer sur les objets.
La dernière fois que j’ai vécu cette troublante expérience, c’est lorsque j’ai retrouvé une pièce de monnaie oubliée dans un tiroir de mon bureau. C’était l’année dernière. Elle était coincée sous un des stylos, en dessous de divers courriers en attente d’être archivés. C’était une pièce de deux francs datant de