L'Illusion comique , livre ebook

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Extrait : "DORANTE : Ce mage qui d'un mot renverse la nature N'a choisi pour palais que cette grotte obscure. La nuit qu'il entretient sur cet affreux séjour N'ouvrant son voile épais qu'aux rayons d'un faux jour, De leur éclat douteux n'admet en ces lieux sombres Que ce qu'en peut souffrir le commerce des ombres."
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Nombre de lectures

125

EAN13

9782335016970

Langue

Français

EAN : 9782335016970

 
©Ligaran 2015

Acte I

Scène première

DORANTE

Ce mage, qui d’un mot renverse la nature,
N’a choisi pour palais que cette grotte obscure.
La nuit qu’il entretient sur cet affreux séjour,
N’ouvrant son voile épais qu’aux rayons d’un faux jour,
De leur éclat douteux n’admet en ces lieux sombres
Que ce qu’en peut souffrir le commerce des ombres.
N’avancez pas : son art au pied de ce rocher
A mis de quoi punir qui s’en ose approcher ;
Et cette large bouche est un mur invisible,
Où l’air en sa faveur devient inaccessible,
Et lui fait un rempart, dont les funestes bords
Sur un peu de poussière étalent mille morts.
Jaloux de son repos plus que de sa défense,
Il perd qui l’importune, ainsi que qui l’offense ;
Malgré l’empressement d’un curieux désir,
Il faut, pour lui parler, attendre son loisir :
Chaque jour il se montre, et nous touchons à l’heure
Où pour se divertir il sort de sa demeure.

PRIDAMANT

J’en attends peu de chose, et brûle de le voir.
J’ai de l’impatience, et je manque d’espoir.
Ce fils, ce cher objet de mes inquiétudes,
Qu’ont éloigné de moi des traitements trop rudes,
Et que depuis dix ans je cherche en tant de lieux,
A caché pour jamais sa présence à mes yeux.
Sous ombre qu’il prenait un peu trop de licence,
Contre ses libertés je roidis ma puissance ;
Je croyais le dompter à force de punir,
Et ma sévérité ne fit que le bannir.
Mon âme vit l’erreur dont elle était séduite :
Je l’outrageais présent, et je pleurai sa fuite ;
Et l’amour paternel me fit bientôt sentir
Il l’a fallu chercher : j’ai vu dans mon voyage
Le Pô, le Rhin, la Meuse, et la Seine, et le Tage :
Toujours le même soin travaille mes esprits ;
Et ces longues erreurs ne m’en ont rien appris.
Enfin, au désespoir de perdre tant de peine,
Et n’attendant plus rien de la prudence humaine,
Pour trouver quelque borne à tant de maux soufferts,
J’ai déjà sur ce point consulté les enfers.
J’ai vu les plus fameux en la haute science
Dont vous dites qu’Alcandre a tant d’expérience :
On m’en faisait l’état que vous faites de lui,
Et pas un d’eux n’a pu soulager mon ennui.
L’enfer devient muet quand il me faut répondre,
Ou ne me répond rien qu’afin de me confondre.

DORANTE

Ne traitez pas Alcandre en homme du commun ;
Ce qu’il sait en son art n’est connu de pas un.
Je ne vous dirai point qu’il commande au tonnerre,
Qu’il fait enfler les mers, qu’il fait trembler la terre ;
Que de l’air, qu’il mutine en mille tourbillons,
Contre ses ennemis il fait des bataillons ;
Que de ses mots savants les forces inconnues
Transportent les rochers, font descendre les nues,
Et briller dans la nuit l’éclat de deux soleils ;
Vous n’avez pas besoin de miracles pareils :
Il suffira pour vous qu’il lit dans les pensées,
Qu’il connaît l’avenir et les choses passées ;
Rien n’est secret pour lui dans tout cet univers,
Et pour lui nos destins sont des livres ouverts.
Moi-même, ainsi que vous, je ne pouvais le croire :
Mais sitôt qu’il me vit, il me dit mon histoire ;
Et je fus étonné d’entendre le discours
Des traits les plus cachés de toutes mes amours.

PRIDAMANT

Vous m’en dites beaucoup.

DORANTE

J’en ai vu davantage.

PRIDAMANT

Vous essayez en vain de me donner courage ;
Mes soins et mes travaux verront, sans aucun fruit,
Clore mes tristes jours d’une éternelle nuit.

DORANTE

Depuis que j’ai quitté le séjour de Bretagne
Pour venir faire ici le noble de campagne,
Et que deux ans d’amour, par une heureuse fin,
M’ont acquis Silvérie et ce château voisin,
De pas un, que je sache, il n’a déçu l’attente :
Quiconque le consulte en sort l’âme contente.
Croyez-moi, son secours n’est pas à négliger :
D’ailleurs il est ravi quand il peut m’obliger,
Et j’ose me vanter qu’un peu de mes prières
Vous obtiendra de lui des faveurs singulières.

PRIDAMANT

Le sort m’est trop cruel pour devenir si doux.

DORANTE

Espérez mieux : il sort, et s’avance vers nous.
Regardez-le marcher ; ce visage si grave,
Dont le rare savoir tient la nature esclave,
N’a sauvé toutefois des ravages du temps
Qu’un peu d’os et de nerfs qu’ont décharnés cent ans ;
Son corps, malgré son âge, a les forces robustes,
Le mouvement facile, et les démarches justes :
Des ressorts inconnus agitent le vieillard,
Et font de tous ses pas des miracles de l’art.
Scène II

DORANTE

Grand démon du savoir, de qui les doctes veilles
Produisent chaque jour de nouvelles merveilles,
À qui rien n’est secret dans nos intentions,
Et qui vois, sans nous voir, toutes nos actions :
Si de ton art divin le pouvoir admirable
Jamais en ma faveur se rendit secourable,
De ce père affligé soulage les douleurs ;
Une vieille amitié prend part en ses malheurs.
Rennes ainsi qu’à moi lui donna la naissance,
Et presque entre ses bras j’ai passé mon enfance ;
Là son fils, pareil d’âge et de condition,
S’unissant avec moi d’étroite affection…

ALCANDRE

Dorante, c’est assez, je sais ce qui l’amène :
Ce fils est aujourd’hui le sujet de sa peine.
Vieillard, n’est-il pas vrai que son éloignement
Par un juste remords te gêne incessamment ?
Qu’une obstination à te montrer sévère
L’a banni de ta vue, et cause ta misère ?
Qu’en vain, au repentir de ta sévérité,
Tu cherches en tous lieux ce fils si maltraité ?

PRIDAMANT

Oracle de nos jours, qui connais toutes choses,
En vain de ma douleur je cacherais les causes ;
Tu sais trop quelle fut mon injuste rigueur,
Et vois trop clairement les secrets de mon cœur.
Il est vrai, j’ai failli ; mais pour mes injustices
Tant de travaux en vain sont d’assez grands supplices :
Donne enfin quelque borne à mes regrets cuisants,
Rends-moi l’unique appui de mes débiles ans.
Je le tiendrai rendu si j’en ai des nouvelles ;
L’amour pour le trouver me fournira des ailes.
Où fait-il sa retraite ? en quels lieux dois-je aller ?
Fût-il au bout du monde, on m’y verra voler.

ALCANDRE

Commencez d’espérer : vous saurez par mes charmes
Ce que le ciel vengeur refusait à vos larmes.
Vous reverrez ce fils plein de vie et d’honneur :
De son bannissement il tire son bonheur.
C’est peu de vous le dire : en faveur de Dorante
Je vous veux faire voir sa fortune éclatante.
Les novices de l’art, avec tous leurs encens,
Et leurs mots inconnus, qu’ils feignent tout-puissants,
Leurs herbes, leurs parfums et leurs cérémonies,
Apportent au métier des longueurs infinies,
Qui ne sont, après tout, qu’un mystère pipeur
Pour se faire valoir et pour vous faire peur :
Ma baguette à la main, j’en ferai davantage.
Jugez de votre fils par un tel équipage :
Eh bien ! Celui d’un prince a-t-il plus de splendeur ?
Et pouvez-vous encor douter de sa grandeur ?

PRIDAMANT

D’un amour paternel vous flattez les tendresses ;
Mon fils n’est point de rang à porter ces richesses,
Et sa condition ne saurait consentir
Que d’une telle pompe il s’ose revêtir.

ALCANDRE

Sous un meilleur destin sa fortune rangée,
Et sa condition avec le temps changée,
Personne maintenant n’a de quoi murmurer
Qu’en public de la sorte il aime à se parer.

PRIDAMANT

À cet espoir si doux j’abandonne mon âme ;
Mais parmi ces habits je vois ceux d’une femme :
Serait-il marié ?

ALCANDRE

Je vais de ses amours
Et de tous ses hasards vous faire le discours.
Toutefois, si votre âme était assez ha

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