176
pages
Français
Ebooks
2018
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
Découvre YouScribe en t'inscrivant gratuitement
176
pages
Français
Ebooks
2018
Vous pourrez modifier la taille du texte de cet ouvrage
Obtenez un accès à la bibliothèque pour le consulter en ligne En savoir plus
Publié par
Date de parution
30 août 2018
Nombre de lectures
2
EAN13
9782342162813
Langue
Français
Cette étude propose de mettre en lumière des aspects liés à la mémoire et à l'oubli dans des textes littéraires des trois Amériques, et plus spécifiquement dans les textes que Laurent Demanze qualifie de « romans de filiation ». L'objectif est de signaler des questions d'antériorité associées à l'intériorité pour exploiter la « persistance de la mémoire » et ses modes de transmission à travers les générations. Il s'agit de romans de la contemporanéité analysés dans une perspective comparatiste, dans le cadre des relations littéraires et culturelles inter- et transaméricaines. Parce qu'il se nourrit de la mémoire, le roman de filiation peut donner les réponses que la perspective historique n'a pas su fournir. C'est tout l'intérêt de ce corpus que nous invite à découvrir Zilá Bernd, explorant une mémoire qui donne un sens aux choses et nous permet de repenser – dans le présent – les événements du passé pour accéder à une nouvelle représentation des faits. Après avoir exposé les théories de la mémoire culturelle, de la mémoire inter- et transgénérationnelle, du roman mémoriel, de filiation et de la transmission, l'ouvrage analyse ainsi leur mise en pratique chez des auteurs des trois Amériques : Brésil, Caraïbe francophone et Québec, puis développe une réflexion fascinante sur l'imaginaire des Amériques, perçues en tant que communautés imaginées, ethnoculturelles et mémorielles.
Publié par
Date de parution
30 août 2018
Nombre de lectures
2
EAN13
9782342162813
Langue
Français
La Persistance de la mémoire
Zilá Bernd
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
La Persistance de la mémoire
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
Retrouvez l’auteur sur son site Internet :
http://zila-bernd.societedesecrivains.com
Préface. « Nous sommes ce dont nous nous souvenons »
Qu’une exploratrice chevronnée des territoires imaginaires américains comme Zilá Bernd se lance cette fois-ci dans l’exploration des couches de temps bouleversées qui sous-tendent l’aventure du Nouveau Monde après en avoir observé les incessantes transhumances, les allers-retours de l’est à l’ouest et du nord au sud, voilà qui ne devrait pas nous surprendre. Il y a en effet longtemps qu’on ne croit plus que l’Amérique ait moins d’histoire que de géographie, les déplacements et les brassages de peuples qui sont au principe de la composition actuelle de sa population ayant bien évidemment entraîné une multiplication des mémoires et des histoires, certaines triomphantes, d’autres meurtries. C’est pourquoi il apparaît aujourd’hui on ne peut plus pertinent de se pencher, ainsi que se le propose l’auteure du présent ouvrage, sur la persistance de la mémoire , ou plutôt des mémoires qui cohabitent et s’affrontent en terre américaine.
Ce souci d’aborder, en marge de l’histoire souvent écrite par les vainqueurs, les mémoires enfouies, occultées, voire réprimées, procède chez Bernd d’une volonté de rendre compte de la complexité d’une expérience d’abord coloniale, puis de plus en plus multiculturelle au fil des siècles. Si les récits de la transplantation des peuples européens sur le nouveau continent, de leur rencontre avec ses premiers occupants et de la réinvention de la « civilisation » au sein d’un espace à la fois prometteur et hostile ont peu à peu débouché sur une geste héroïque qui a produit les premiers modèles d’une littérature proprement américaine, d’autres récits plus polémiques, plus ambigus, l’ont fait accéder à cette modernité postcoloniale qui intéresse ici l’auteure. Ces récits ne se réclament pas de la discipline historique – ni d’ailleurs de la tradition du roman historique –, ne font pas même semblant de se soucier des procédés de l’historiographie, ne revendiquent ni distance ni objectivité ; ils révèlent un net parti pris pour la mémoire estompée, c’est-à-dire, en fin de compte, pour la subjectivité, la partialité, la re-création, sinon la fiction.
Les textes brésiliens, caribéens et québécois qui occupent la chercheure ont ceci de commun qu’ils ressortissent à ces fictions mémorielles qui cherchent à recoudre le tissu d’une histoire oblitérée parce qu’elle a été interrompue violemment, tue, falsifiée, confisquée ou simplement oubliée ; ce sont histoires d’esclaves, de minorités, de familles démembrées, d’enfants abandonnés, orphelins. De tels récits, nous dit Bernd, sont emblématiques des littératures américaines actuelles. Aussi éloignés des road novels de l’errance et de la frontière que des écritures de soi, ils s’assimileraient selon l’auteure – et c’est là une proposition nouvelle et stimulante – à ces romans dits « de filiation » qui ont retenu l’attention de la critique française récente. Pour distinguer son corpus de celui des écritures de l’intériorité, Bernd a recours à cette heureuse formule : les romans de l’antériorité . De l’introspection et de la fictionnalisation de soi, caractéristiques du genre autofictif qui a fait florès à partir de la décennie 1980 en Europe et dans les Amériques, on serait donc passé, à l’orée du nouveau millénaire, à l’examen d’une ascendance problématique, d’un héritage encombrant, tantôt écrasant en raison de son poids de tragédie, tantôt au contraire constitué de cette « matière de l’absence » dont parle Patrick Chamoiseau. Entre le trop-plein et le trop peu, entre le legs castrateur et l’insoutenable légèreté d’une histoire en souffrance, les littératures américaines auraient en somme souscrit à leur manière à l’obsession mémorielle qui hante notre contemporanéité.
Nous nous trouvons ici au cœur de la réflexion que renferme le livre qu’on va lire. Comment recouvrer la mémoire d’un passé douloureux ou, à l’inverse, s’en libérer ? Que retirer du legs impossible que nous avons reçu de nos communautés, de nos ancêtres, de nos parents ? Comment tenir compte du devoir de mémoire et, aussi bien, du droit à l’oubli ? Et comment transmettre son expérience aux générations suivantes pour que l’histoire ne se répète pas, sans que pourtant le passé hypothèque à jamais l’avenir ? La chercheure envisage d’abord ces questions d’un point de vue théorique, se référant aux travaux bien connus de ceux qui, dans le sillage des remarques stimulantes de Maurice Halbwachs sur la mémoire collective, ont développé les concepts de « culture mémorielle » ( Erinnerungskultur, Jan et Aleida Assmann), de « mémoire culturelle » (Assmann et Assmann, Huyssen, Nora), de « roman mémoriel » (Robin) ou encore de « postmémoire » (Hirsch). Elle joint toutefois à ces points de vue issus de la pensée européenne des notions développées par des essayistes du Nouveau Monde à partir de leur contexte intellectuel et social particulier – Brésil (Gagnebin, Scliar), Caraïbe (Glissant, Chamoiseau) et Québec (Harel, Ouellet) –, se révélant par là une praticienne convaincue des transferts culturels qu’elle s’est attachée par ailleurs, tout au long de sa prolifique carrière, à penser théoriquement.
« Nous sommes ce dont nous nous souvenons » : cette formule de Norberto Bobbio constitue en quelque sorte le présupposé des analyses que Bernd, dans les deuxième et troisième parties de son ouvrage, déploie à partir d’un corpus à la fois large et ciblé. Cette mémoire qui nous constitue, l’auteure s’applique à la situer entre mémoire généalogique, c’est-à-dire familiale et à court terme, et mémoire générationnelle, plus vaste et plus profonde, cherchant à voir, à la suite d’Ernst Bloch, de quelle(s) façon(s) peut être générée une appropriation productive de l’héritage du passé. Délaissant les sagas familiales linéaires et chronologiques, qu’elle associe à un roman généalogique plus traditionnel, Bernd, on l’a dit, se penche sur cette forme particulière du roman de l’antériorité, le roman de filiation, qui tente de reconstituer les voies par lesquelles l’héritage des prédécesseurs a percolé autant dans le vécu que dans l’écriture des auteurs retenus – Evaristo, Brum, Scliar, Lisboa, Schwarz-Bart, Gonçalves, Noël, Dupré, Mavrikakis, Barbeau-Lavallette, etc. Chez les écrivains étudiés, cette forme de récit mémoriel s’incorpore de nombreux genres intercalaires , pour dire comme Mikhaïl Bakhtine, dont l’essai, la chronique, le témoignage, mais également le journal fictif, dont la chercheure marque bien qu’il s’agit d’un emprunt stratégique à un mode d’écriture qui défie le discours hégémonique. De tels genres intercalaires se révèlent aussi souvent ceux d’une archive – véritable ou inventée – que le texte entend à la fois utiliser et rendre présente, et qui figure en quelque sorte matériellement cet héritage qu’il convient de « soumettre à l’inventaire », pour reprendre la formule de Paul Ricœur. Trace, vestige, l’archive est la figuration par excellence de cette transmission inter et transgénérationnelle qui semble si problématique en terre américaine, où l’immigration, volontaire ou forcée, l’acculturation violente, l’assujettissement de populations entières – esclaves, autochtones – ont ou bien annihilé toute empreinte des cultures ainsi détruites, ou bien au contraire laissé des preuves et des registres accablants.
C’est ici qu’est réintroduite la notion désormais « classique » d’ américanité (où, il faut le signaler, les États-Unis d’Amérique ne sont aucunement centraux). Celle-ci donne son titre à la troisième partie de l’ouvrage. Bernd y a recours pour désigner ce qui, de l’héritage des diverses mémoires américaines, peut rejoindre une expérience commune qui lui donne sens. Car l’entreprise généalogique évoquée dans les œuvres analysées ne saurait déboucher sur la reconnaissance d’une origine pure et unique, d’une ascendance linéaire, d’un legs univoque. L’épopée des Amériques, comme l’écrit Édouard Glissant, relève d’une sorte de digenèse qui oblige à « conjuguer l’être-au-monde dans ses désinences plurielles ». Plus que des communautés ethniquement différenciées, sûres de leur provenance et de leur avenir, la littérature de l’antériorité telle que la conçoit Bernd dessine des « communautés de mémoire » (Ouellet) qui présupposent le partage d’un stock mémoriel fait de souvenirs et d’amnésies, d’amalgames et de distinctions, de symboles syncrétiques ou antagonistes.
Ce n’est pas dire que les littératures américaines seraient parvenues à un état pacifié résultant d’un partage serein de la mémoire, tant s’en faut. Le multiculturalisme ou le métissage mis de l’avant par certains états du continent semblent aujourd’hui soulever plus d’interrogations et de doutes qu’ils n’apportent de réponses et de certitudes. Et la popularité d’une notion comme celle d’« appropriation culturelle », qui a suscité récemment quelques débats acrimonieux au sujet de productions culturelles qui se voulaient généreuses et attentives à l’alt