La Vie à grand orchestre , livre ebook

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Extrait : "Vous préférez le sable ? Moi, j'aime mieux le galet. Le sable est monochrome et vous abîme la vue. Il est toujours humide et donne asile à des nuées d'insectes sauteurs qui me dégoûtent. S'il sèche par hasard, le vent l'emporte en tourbillons et vous le jette dans les oreilles, dans les yeux, dans les narines ; vous en avez toujours sous les dents."

À PROPOS DES ÉDITIONS LIGARAN :

Les éditions LIGARAN proposent des versions numériques de grands classiques de la littérature ainsi que des livres rares, dans les domaines suivants :

• Fiction : roman, poésie, théâtre, jeunesse, policier, libertin.
• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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Nombre de lectures

24

EAN13

9782335122169

Langue

Français

EAN : 9782335122169

 
©Ligaran 2015

Prélude
Connaissez-vous rien de plus désagréable à entendre qu’un orchestre qui cherche l’accord ?
Vous êtes sous le charme ; la symphonie pastorale vient de finir. Vous vous faites une fête d’entendre le menuet de la symphonie en si bémol , de Haydn, ou l’ouverture d’Oberon. Mais voilà, tout à coup, une clarinette qui prélude. Un basson part à la recherche du la . Un trombone les suit, entraînant et le quatuor des instruments à cordes, et la meute nasillarde, des instruments à anche, et les cors, et les trombones !… Le timbalier lui-même roucoule un aparté. Jamais charivari prémédité n’a rien réalisé d’aussi hideux. Ce moment de transition est abominable à passer.
En morale comme en politique, dans les arts comme dans les sciences, voilà où nous en sommes. Nous cherchons tous ce diable de la, sans parvenir à nous mettre d’accord. L’avenir nous prépare des paradis, je veux le croire ; toujours est-il que nous traversons depuis quelques années la période des grincements de dents.
Famille, société, amitié, amour, camaraderie, tous les liens bons et féconds ont été limés par l’esprit de blague. Nous sommes en route ; cela seul est certain.
Ou allons-nous ? – Tout le monde l’ignore.
Pourquoi sommes-nous partis ? – On se le demande.
Avançons-nous ou reculons-nous ? – On n’a jamais pu savoir.
Quand arriverons-nous ? – Dieu seul le sait.
Dieu le sait-il ? – Cela se discute.
Y a-t-il un Dieu ? – Qui oserait l’affirmer ?
Vous êtes athée ? – Je m’en garderais bien.
Croyant, alors ? – Je n’en sais trop rien.
Et nous continuons à tâtons le voyage, titubant au-dessus d’abîmes sans fond, en équilibre sur un fil d’araignée assez mal tendu, par parenthèse, avec notre seule conscience pour balancier.
Est-ce à dire que tout soit mauvais, que tout soit pire ? Tant s’en faut ! Seulement chacun joue un solo de sa façon et entend que l’orchestre entier l’accompagne.
On ne fait pas comme cela de bonne musique.
J’ai mis dans ce volume des fragments de ce qui s’est exécuté dans tous les genres depuis cinq ou six ans. J’ai laissé de côté la politique, par exemple ! Vous m’en saurez gré, si vous avez les nerfs tant soit peu délicats. Vous trouverez du pathétique et du burlesque, de la vertu souriante et du vice écœurant. Seulement, l’un après l’autre, cela vous paraîtra moins discordant.
Suivant que vous serez de bonne ou de méchante humeur, vous choisirez tel ou tel chapitre. Tout est classé de façon à vous éviter les surprises trop désagréables.
Cela dit, je donne le signal. Le charivari commence.
Symphonie pastorale
La dame au singe
Vous préférez le sable ? Moi, j’aime mieux le galet. Le sable est monochrome et vous abîme la vue. Il est toujours humide et donne asile à des nuées d’insectes sauteurs qui me dégoûtent. S’il sèche par hasard, le vent l’emporte en tourbillons et vous le jette dans les oreilles, dans les yeux, dans les narines ; vous en avez toujours sous les dents.
Le galet, lui, n’est jamais humide. Dès que la mer est partie, il reprend ses habitudes casanières. Le vent glisse sur lui sans l’émouvoir. Il est charmant de s’y faire une place. En quelques secondes les cailloux se tassent, se rangent, s’écartent si bien, que vous vous y incrustez et y laissez votre empreinte.
Marcel et Frédéric étaient couchés sur le galet.
La mer, couleur de plomb, était marbrée de jaune, là où tombait quelque rayon de soleil. L’horizon était noir. Dans le ciel couraient des nuages fous. Les oiseaux de mer traçaient de grands ronds blancs dans l’air. De temps en temps, un rayon qu’ils traversaient les habillait d’or.
– Tu m’assures que tu la connais ?
– Je la connais. Dis-moi ce qui s’est passé entre elle et toi, et je te la nommerai. Je vais même plus loin : si ton récit m’intéresse, je promets de te présenter à elle.
– C’est convenu.
– Mais… soyons de bonne foi !… Pour arriver à cette présentation ne brode pas une aventure piquante sur un canevas banal. Ton inconnue me : confirmera les choses.
– Après m’avoir entendu, je réponds qu’il ne restera aucun doute sur ma sincérité.
– Commence. Avant tout, que représente le théâtre ?
– Le Havre. Il est dix heures du matin. Le soleil est brûlant. Sur le quai, la foule la plus bigarrée va, vient, se heurte et s’injurie. La Norvège coudoie l’Italie ; la Russie donne le bras à l’Amérique. Les cafés borgnes sont pleins de pratiques bruyantes. Dans le sous-sol des caboulots, on mange des huîtres arrosées de vinaigre, saupoudrées d’échalote ; on boit du cidre aigre et des liqueurs exaspérantes. Devant les hôtels, les omnibus de la gare, chargent et déchargent des bagages, objet de mille recommandations, vaines. Le long du quai, les bateaux font la file, pressés comme des fiacres à la sortie des théâtres. C’est par là un bien autre remue-ménage. Des barriques bordelaises suant le vin, des boucauts havanais poissés et couverts de mouches, des ballots américains bourrés de coton comme un corset de vieille fille, des planches de Norvège, des charbons de Newcastle… que sais-je !… roulent sur le quai, grimpent à bord, font grincer les treuils et cliqueter les lourdes chaînes. Sur des colis empilés sont campés les émigrants mélancoliques, les jambes pendantes, l’œil indifférent perdu dans le vide, le teint hâve, la barbe inculte. Les femmes maigres et jaunes, un mouchoir de coton jeté sur la tête, noué sous le menton, bercent des babys malpropres, espoir de la jeune Amérique. Dominant le tumulte, des perroquets et des perruches nouvellement arrivés protestent et entonnent à pleins poumons la Marseillaise nasillarde des forêts du Brésil ou de l’Australie.
– Le décor est posé. Fais entrer en scène tes personnages.
– Me voici le premier, porteur d’une valise, me rendant à la gare, mon billet de circulation en poche. Tu me connais, je passe. Devant moi trotte un ange vêtu de basin blanc, coiffé d’un chapeau mignon autour duquel s’enroule un long voile de gaze. En te disant que c’était un ange, j’ai calomnié la plus adorable des réalités ; c’était une femme de Rubens.
– Mazette !
– Des épaules larges, un torse comme on en rêve quand on est en verve, une taille à jouer dans un rouleau de serviette, et des hanches !… des hanches inspirées par le ballon géant. En résumé : développement en haut, développement en bas, finesse au centre,… un 8, quoi !
– L’idéal.
– Elle longeait le quai, s’arrêtant de temps en temps devant les boutiques de curiosités. Arrivée devant le marchand d’oiseaux qui fait le coin de la rue des Deux-Corvettes, elle demeura comme en extase devant un singe qui gambadait sur un trapèze.
– Cela t’a tout de suite encouragé ?
– Moi ?… pourquoi ?
– Dame, cela avait un peu l’air d’une, avance.
– Mauvais plaisant ! – Elle entre. J’entre.
– Bravo !
– Elle marchande le singe…
– Ton cœur bat.
– On le lui fait 150 francs.
– Et tu lui demandes la préférence.
– Il n’y a pas moyen d’être sérieux avec toi.
– Je l’espère bien.
– Faut-il continuer ?
– Parbleu !
– Elle consulte son porte-monnaie, pousse un soupir et regarde le singe d’un air attendri.
– Il lui rappelait peut-être quelqu’un qu’elle avait bien aimé.
– Tu ne peux pas te faire une idée de la tristesse répandue sur son charmant visage.
– Tu as dû bien souffrir, car tu rendrais des points à Othello, je te connais.
– J’étais entré dans le magasin en même temps que ma jolie inconnue.
– « Jolie inconnue » est un peu Opéra-Comique, mais je te pardonne. Continue.
– Le marchand crut que nous étions ensemble. Voyant l’hésitation de son acheteuse, il se tourna vers moi et me dit : – « Je suis sûr, monsieur, que vous ne refuserez pas ce joli petit animal à madame. C’est un babouin à queue prenante, et les singes à queue prenante deviennent tous les jours plus rares sur la

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