166
pages
Français
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2018
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Publié par
Date de parution
08 juin 2018
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342161588
Langue
Français
Julie, apprentie travailleuse sociale, amène des jeunes itinérants à partir en pèlerinage depuis Ottawa jusqu'à Montréal pour les sortir de la rue : « Tant qu'à être dans la rue, aussi bien être en chemin. » Gilbert, représentant syndical, compose avec la religion : « La religion, c'est plus fort que la loi. » À l'entrée du métro, un sage dispense ses dires : « En vérité je vous le dis, le poids de votre sac est la mesure de votre anxiété ». Mais le chemin des Outaouais ne sera que le premier pas... Au fil de ce roman d'apprentissage, ces personnages attachants nous invitent à partager une extraordinaire aventure humaine. Médias, politique, financement... D'un premier pèlerinage à un projet social d'envergure, la fine équipe des Beaux-Mollets prendra des chemins détournés, mais sans jamais perdre de vue l'objectif : offrir aux jeunes marginalisés la chance d'emprunter une nouvelle voie.
Publié par
Date de parution
08 juin 2018
Nombre de lectures
0
EAN13
9782342161588
Langue
Français
Les Dans-Rues
Denis Lefebvre
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
Les Dans-Rues
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
Chapitre 1
— J’en reviens pas ! La religion peut faire ça ?
— Oh, que oui ! La religion, c’est plus fort que la loi.
* * *
Julie Desroches reçoit un coup de fil de Marlène Huot, sa meilleure amie.
— Salut, Julie ! Comment ça va ?
— Moi, ça va. T’es-tu dans ton auto ?
— Ouais. Je m’en vais chez le dentiste. J’espère qu’il me fera pas mal, ce coup icitte.
— Marlène ! C’est dangereux de conduire avec ton cell !
— Pas d’trouble, Maman Mère Poule ! C’est un téléphone mains libres.
* * *
Gilbert Vaillancourt travaille comme fonctionnaire fédéral. En plus, il est représentant syndical. Il a eu son poste grâce à l’influence de l’avocat du syndicat, Lucien Béliveau.
Lucien et Gilbert sont de bons amis depuis le CEGEP. Après les études, ils ne se sont pas perdus de vue. Au contraire, ils se rencontrent chaque jeudi soir « Chez Alexandre » pour un drink. Même bar, mêmes tabourets. Dominique, la barmaid, sait ce qu’ils prennent avant même qu’ils le disent.
— J’en ai eu une bonne, cette semaine, dit Lucien. Un grief d’un employé musulman pour absence de salle de prière dans son lieu de travail.
— Allez-vous nous construire une chapelle, pour nous autres itou ? rit Gilbert. Pour les Ave Maria ?
— Non, mais tu sais ! Chus obligé de le représenter. Pis, à part ça, c’est quand la dernière fois que tu as récité un chapelet, toé ? Hein, Gilbert ?
Chapitre 2
Les Desroches habitent une jolie demeure à Duvernay. Julie est fille unique. Sans être gâtée pourrie, elle n’a jamais manqué de quoi que ce soit.
Julie est étendue sur le dos dans son lit. Tout en se limant les ongles, elle jase au téléphone avec Marlène.
— Ton bazou marche encore ?
— Il faut. J’ai pas les moyens de le remplacer, pis depuis que je roule en char, j’ai perdu l’habitude de marcher. Y achève mais y est pas mort.
— Ouein, moi c’est mon CEGEP qui achève, dit Julie. J’sais pas où m’enligner après. Elle soulève un coin de ses lèvres, genre découragée.
— T’as quand même plusieurs options, non ?
— Ouais, mais rien de bien payant. Mes parents sont patients, pis je peux continuer à rester chez nous, mais tu sais, j’aimerais ça, mon propre chez nous. Pis, j’veux pas faire du bénévolat éternellement.
— Ouein, bien, en attendant, tant qu’à faire quelque chose de pas payant, fais au moins quelque chose que t’aimes.
— Bien, je peux poursuivre mes études, sauf que j’sais pas dans quel domaine. P’t’être bien faire les récoltes avec les Mexicains. Comme ça, je pourrais apprendre l’espagnol.
— T’as pas suffisamment appris ta leçon avec ton beau Ricci ?
— Faut croire qu’une fois ne suffit pas.
Les deux s’esclaffent d’un rire de connivence.
— Mon prof m’envoie faire un stage, dans un CLSC, pour travailler auprès des itinérants. J’ai hâte de voir ce que ça va donner.
— Des itinérants ? Tu vas faire quoi auprès des itinérants ?
— Je sais pas. J’ai rendez-vous avec la directrice et c’est elle qui va m’expliquer quoi faire.
* * *
Au métro Mont-Royal, un itinérant tient la porte ouverte pour les passants. Sieur Lesage. Il est le doyen des itinérants.
Les rides sont dispersées sur sa peau comme le font les chemins sur une carte. Depuis belle lurette, à cette station de métro, il tient la porte d’une main et une tasse en carton de l’autre.
Parfois, on lui lance des injures. Il se console en pensant que le Saint frère André fut portier, lui itou.
Lorsqu’on dépose des sous dans sa tasse, il proclame des phrases songées, d’où son surnom, Sieur Lesage.
— Bon matin ! En vérité je vous le dis, la route se doit d’être partagée.
Chapitre 3
Au centre local de services communautaires, Julie se présente ponctuellement pour son rendez-vous.
La salle d’attente se compose de deux chaises, placées de biseau devant un comptoir jaune orange. Au plancher, les tuiles brunes-sans-nom dégagent une odeur de savon d’institution. Les murs beiges ont beau se joindre au chant déprimant, le tristounet n’atteint pas Julie. Le trac la domine. L’attente paraît longue.
Enfin on la conduit au bureau de la directrice, Monique Legault, qui est débordée par une multitude de priorités, plus pressantes les unes que les autres. Une paire de bras supplémentaire n’est pas à négliger. Elle accorde à Julie son temps et son attention. Elle l’accueille avec une poignée de mains, où elle ressent une détermination douce. Déjà, Julie fait une bonne impression.
— Excuse mon retard, chus dans l’jus à matin, pis le jus est profond.
— Ce n’est rien, Madame Legault. Je vous comprends.
— Y a pas de vous icitte, pis on m’appelle Monique.
Julie hausse les sourcils, plus haut que la curiosité, mais moins que l’étonnement. Juste à la hauteur de l’interrogation.
— D’accord, Monique. Que puis-je faire pour vous ?
Julie va droit au but. Monique apprécie d’être épargnée des commentaires sur la météo.
— Pas de « vous », que je te dis ! À chaque fois que j’entends ce mot-là, il me pousse un cheveu gris.
On essaie un nouveau programme, un programme de désinstitutionalisation. Pas pour vider les centres psychiatriques, là ! Non, non. Au contraire. Pour changer l’institution.
Ta tâche sera dans la rue, pas ici. Le monde de la rue nous perçoit comme une institution. Et qui dit institution dit méfiance, évitement. Toi, tu dois créer un pont, un lien, une confiance. Tu dois accueillir et diriger les itinérants parmi les labyrinthes de notre système. Tu dois leur ouvrir les portes qui les sortiront de la rue.
— Ça, ça m’intéresse bien gros, Madame Legault.
— Monique, que je te dis ! Regarde, j’ai pas le temps de te fournir la formation que tu mérites. Tu devras te débrouiller. Trouve la façon et fais c’qu’il faut pour que les itinérants acceptent notre aide. Mais, je te watch, pis si ça débouche, tu pourras peut-être continuer, et ce de façon rémunérée.
* * *
Gilbert rencontre Lynne Dufour et Sylvain Hébert, qui eux aussi travaillent comme fonctionnaires, mais en moins fort. Ce trio prend régulièrement ses pauses, ensemble, à cette cafétéria.
Les murs sont construits de blocs de béton. Ils sont loin d’être seuls à prendre la pause, et l’acoustique de la cafétéria les oblige à élever la voix.
— Gilbert ! Ton syndicat là, y a encore augmenté les cotisations. Pis je peux pas dire un maudit mot, c’est un monopole. Ils se prennent une cotisation sur ma paie, comme une taxe.
— Ouein ! renchérit Lynne. Y a pas juste à l’école qu’il y a du taxage.
— Aïe ! Cent piastres par mois ! Ils font quoi pour moé avec mes cent piastres ?
— M’a te l’dire quoi c’est qu’ils font avec tes cent piastres. Tu vois la serveuse de la cafétéria, là-bas ? Elle gagne le salaire minimum avec deux semaines de vacances. Pour cent piastres, tu gagnes le double de salaire, pis quatre semaines de vacances.
— Hum.
— Pis, pour cent piastres, on te garde ta place pour toé. Ça s’appelle la sécurité d’emploi, ça, mon Sylvain. Sinon, y en a plein qui voudraient prendre ta place.
Gilbert a déjà goûté à leurs dérisions. Il sait que ces moqueries ne sont pas personnelles et ne méritent aucune réplique. Mais c’est plus fort que lui, c’est son rôle, il défend l’union.
Son père était, lui aussi, représentant syndical, et c’est par ses contacts que Gilbert est entré dans la fonction publique. Certes, on pourrait dire que Gilbert est fils à papa, mais ce n’est pas le cas. À maintes reprises, il a su démontrer, tout seul, son talent de rassembleur et de négociateur. Devant un problème du quotidien syndical, il se débrouille pour trouver une solution. Monter aux barricades, comme au temps de son père, il n’a pas connu ça.
— Pis c’est pas « mon » syndicat, c’est notre syndicat.
Chapitre 4
Julie habite chez ses parents. Sa chambre est peinte en rose, avec des relents de petite princesse, d’adolescente et de jeune femme en devenir. La décoration porte l’inspiration et l’approbation de sa mère.
Il n’y a pas qu’en décoration que sa mère domine. Elle a toujours dirigé sa fille dans le droit chemin. Mais l’attitude de Julie a changé depuis qu’elle fréquente le CEGEP.
Ça a commencé au bal des finissants du secondaire. Julie était vêtue en princesse, selon les rêves de sa mère. À la fin de la soirée, au lieu de rentrer avec sa mère venue la reconduire, Julie s’est éclipsée avec ses camarades jusqu’au lendemain matin, à faire des choses qu’on ne raconte pas à ses parents.
De plus en plus cachottière, Julie revendique ses propres opinions et conteste les règlements maternels. Les remontrances et le chantage émotionnel ne sont plus de taille face à l’influence de l’entourage Cégépienne.
Julie est revenue de l’entrevue. Sa mère la suit dans sa chambre, curieuse de connaître le résultat. Il n’y a pas de pudeur entre les deux. Tout en se déshabillant, Julie lui relate les événements, picossée pour plus de détails.
— Ça marche. Ils m’ont engagée… Je commence après ce trimestre.
— Félicitations ! Ton premier emploi.
— Non, je suis pas payée. C’est du bénévolat qui me donne des crédits, par exemple, pour mon diplôme…
— Ta directrice, elle est comment ?
— Ah, oui, elle est fine. Mais pour de la direction, je dois me fier plus à mon prof qu’à elle… C’est correct. De même, je p