Cœur à corps (roman gay) , livre ebook

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Cœur à corps

Tristan Nibelong
400 000 caractères.
Paris, au tournant des années 2000. Alexandre, 29 ans, sort d’une aventure malheureuse avec Clément. Traîné en boîte par son copain Jérémie, il y fait la connaissance de Fabien, avec lequel il commence une relation. Fabien veut être père, ce désir ne taraude pas Alexandre. Lydie, collègue de travail et meilleure amie d’Alexandre, s’immisce dans leur couple. Fabien et Lydie finissent par acheter ensemble un pavillon en banlieue. Lydie tombe enceinte de Fabien. Alexandre, se sentant abandonné, se réfugie vers des expériences sexuelles BDSM. Victime d’une agression homophobe sur le quai désert du RER au sortir d’une de ces soirées extrêmes, il est sérieusement blessé au visage. Il finira par retrouver goût à la vie entre les bras de Sébastien, le jeune et sage chirurgien fou d’opéra qui l’aura « réparé » à l’Hôtel-Dieu.


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23

EAN13

9782363075031

Langue

Français

Pour Frédéric
Cœur à corps
Tristan Nibelong
Roman
1 La musique était puissante, assourdissante. Tout autour de lui, les corps se déchaînaient dans des gesticulations endiablées. L’avant-bras posé sur le comptoir, Alexandre regardait un garçon plus particulièrement. Un type châtain clair, assez musclé semblait-il, vêtu d’un tee-shirt blanc et d’un Levis noir. À peu près son âge, autour de la trentaine.In his early thirties. Un sacré sex-appeal. Une belle bête. Alexandre n’était pas mal non plus. Un beau visage, encadré de cheveux couleur de jais, ni trop longs, ni trop courts. Un mètre quatre-vingt-dix. Autrefois, il aurait passé pour un géant. Aujourd’hui, une taille courante pour sa génération. Longiligne, pas spécialement athlétique, mais bien foutu. Et un beau cul. Clément, son ex, lui en avait souvent fait compliment. Pour l’heure, ses beaux yeux sombres étaient rivés sur la piste de danse, sur cet inconnu dont ils paraissaient ne plus pouvoir se détacher. Tout d’un coup, il eut l’impression que le mec s’était aperçu de l’intérêt qu’Alexandre lui portait. Le jeune informaticien crut voir le bel animal lui sourire, avant de repartir de plus belle en des soubresauts déchaînés. Alexandre, un peu embrumé par l’alcool, ne savait plus trop ce qu’il foutait là. Machinalement, il porta son verre de cocktail à ses lèvres. Où pouvaient bien être ses copains ? Ceux qui l’avaient traîné là, un peu de force, pour l’arracher à la mélancolie qui était son lot quotidien depuis sa rupture avec Clément. Il aperçut Fabrice, assez loin, qui se trémoussait lui aussi au rythme du tube de l’été passé. Alexandre n’avait pas de voiture. Il était tributaire de ses copains pour regagner son appartement. Le titre diffusé par la sono était fini. Aussitôt, un autre, moins agité, lui fit écho. Alexandre se reprit à penser à son ex. Le salaud ! Que ne lui avait-il pas fait voir ? Tous ces sales coups ! Et pourtant, combien lui, Alexandre, avait été dingue de ce petit con ! Il lui fallait l’oublier, mais le pouvait-il ? Pourrait-il empêcher son cœur de se serrer à chaque souvenir de leur « bonheur », comme ici, dans cette boîte ? Où était-elle à cette heure-ci, la petite fripouille ? Ne plus le voir, surtout. Jamais. Jamais. Il en était là de ses réflexions quand on s’adressa à lui. Il leva les yeux. C’était le gars qui l’avait fait flasher. « Salut. Tu mates les mecs ? Tu me diras, dans une boîte gay, on est un peu là pour ça. Moi, c’est Fabien. — Alexandre. Non. J’mate pas les mecs. Mais que j’te matais toi, c’est bien possible. J’sais plus trop. J’ai un peu bu. — Et qu’est-ce que tu fous là, à picoler dans ton coin ? T’es tout seul ? — Non. J’suis avec des potes. Ils sont là-bas, dit Alexandre en désignant la salle d’un geste vague. — Eh bien, moi, j’ai caïman rien bu. Tu m’offres un verre ? » Alexandre n’en revenait pas. Il avait réussi, sans trop le rechercher vraiment, à attirer l’attention du beau dieu grec. Ou peut-être nordique. Il était vraiment canon. Un peu moins grand que lui. Mince. Une belle gueule, décidément… De belles dents blanches. Un joli sourire. Des yeux bleus. Pas efféminé. Bien mâle. Le genre de type sympa dont on s’amourache facilement. Hou là là… Danger ! « Et là, tu fais quoi, à part me mater et boire ? Tu danses pas ? » Alexandre éluda. « Tu prends quoi ? — Une tequila. — OK. » Alexandre attira l’attention du barman et commanda. Rien pour lui. Il avait assez bu. Il sentait confusément qu’il devait rester suffisamment maître de lui-même en face du bel inconnu.
« Et quand tu me mates pas en boîte de nuit gay, enfin moi ou un autre, c’est égal, tu fais quoi d’tes journées ? s’enquit Fabien. — J’bosse dans l’logiciel. Dans une boîte américaine, à la Défense. Et toi ? — J’suis juriste d’entreprise. Une boîte qui fait des livres de poche. J’aurais bien été avocat, mais bon, j’avais pas la fibre. Pas assez d’éloquence. Enfin, j’crois. T’as quel âge ? — Vingt-neuf. Depuis quinze jours. — T’es un p’tit jeune. Moi, j’suis un vieux. J’vais avoir trente et un. Bon, écoute, j’vais pas risquer un détournement de mineur si j’te propose de faire un tour d’danse avec moi, non ? — OK. — J’finis mon verre et on y va. » Les deux hommes se levèrent pour quitter le bar. Les trois copains, Fabrice, Jérémie et Lucas, qui revenaient chercher leur pote, qu’ils avaient un peu lâchement abandonné pour s’éclater en toute impunité, furent surpris de le voir qui s’éloignait vers la piste en compagnie d’un bel inconnu. Alexandre, tout à son plaisir enfin retrouvé de remuer son corps sur une piste de danse, ne put pourtant s’empêcher de jeter un œil au groupe de ses amis. Il saisit au vol le sourire ironique de Jérémie, manifestement ravi de voir son pote sembler redevenir tel qu’il avait cessé d’être depuis sa rupture avec Clément, un an plus tôt. « Qui tu r’gardes ? l’interrogea le beau gosse. — Mes potes. — Tu veux les r’joindre ? — Euh… Non. J’suis bien là. — Moi aussi. Tu parles ! » Les trois amis s’installèrent au bar, les yeux rivés sur Alexandre et l’inconnu, échangeant commentaires et regards complices entre deux gorgées de bière. Trois ou quatre morceaux musicaux plus tard, Fabien, captant au vol le regard d’Alexandre, plongea dans ses yeux et, comme il lui aurait dit « Je t’aime », lui demanda : « Tu me les présentes ? — OK. » Les deux garçons interrompirent leurs ébats, et se dirigèrent, d’un pas rendu mal assuré par les vertiges de leurs récents tournoiements, vers les trois autres assis au bar. « Salut, lança Jérémie. — Salut. Moi c’est Fabien. — Jérémie. — Fabrice. — Lucas. Et voici Alexandre. Notre conquérant, à ce qu’il semble ! — Lucas ! — Y a pas de mal, assura Fabien, calmant l’indignation amusée d’Alexandre. — Bon. Nous, on allait partir, jeta Fabrice. Tu viens, Alex, ou tu restes ici avec monsieur ? — Comment veux-tu qu’je rentre ? Y a pus d’transports, à cette heure-ci. — T’habites à la Défense ? J’ai ma caisse. C’est un p’tit détour, mais j’te ramènerai chez toi », dit Fabien. Alexandre le contemplait. Dieu qu’il était craquant ! Le jeune informaticien était crevé, il aurait voulu rentrer se couler entre ses draps chauds, mais comment résister à pareil sourire ? « OK. Mais on reste pas trop longtemps. J’suis vanné. — Bon, glissa Jérémie. On vous laisse. » Puis, à Fabien : « On vous le confie, monsieur. N’en abusez pas. — Connard », souffla Alexandre à l’adresse de son pote. Jérémie éclata de rire, et les trois garçons prirent congé d’Alexandre d’une bise sur la joue,
tandis que Fabien dut quant à lui se contenter d’une triple poignée de main virile. « On y r’tourne ? », lança Fabien.
2 Un beau soleil de mai s’acharnait à s’insinuer par les interstices des persiennes. C’était la dernière année du siècle. Et du millénaire, aussi. Ce dimanche matin-là, Alexandre se réveilla avec une gueule de bois de lendemain de cuite. Le beau mec châtain lui revint soudain en mémoire. Ils avaient dansé et dansé, bu et rebu. Enfin, surtout lui. Vite oubliée, sa résolution de rester, sinon sobre, du moins raisonnable. L’autre, sa voiture l’attendant dehors, faisait gaffe à ses points de permis. Vers quatre heures du matin, les deux garçons s’étaient enfin décidés à lever le siège. Fabien avait guidé Alexandre, passablement éméché, jusqu’à sa bagnole garée à deux rues de là. L’informaticien ne gardait plus souvenir de ce qu’ils avaient pu se dire sur le chemin. Ni de tout autre chose. Peut-être, à un moment ou à un autre, la main actionnant le levier de vitesse avait-elle effleuré son genou. À part cela, le grand trou. Péniblement, à la lueur qui filtrait insidieusement, Alexandre chercha à tâtons sur sa table de chevet. Il y avait un post-it. Il alluma la lampe. Se frottant les yeux, il déchiffra le mot « Fabien », suivi d’un numéro de téléphone mobile et d’une adresse de courrier électronique. L’écriture en était plutôt banale, pas très élégante. Alexandre reposa le papier sur la table de nuit, et rejeta sa tête contre l’oreiller. Il laissait vagabonder ses pensées dans son cerveau encore embrumé. Décidément, ce garçon lui plaisait. Se reverraient-ils ? Sans doute : l’autre avait l’air intéressé. Il ne l’aurait jamais ramené jusque chez lui s’il en était allé autrement. Alexandre laissa ses mains caresser langoureusement son corps nu sous les draps. Les doigts de sa main droite se saisirent de son sexe flasque, qui ne tarda pas à durcir ; déjà l’index se frayait un passage entre la peau du prépuce et le gland. Il pinçait son sein droit entre le pouce et l’index de l’autre main. Il tentait d’imaginer, réduit à sa plus simple et naturelle expression, le corps de Fabien qu’il n’avait pu que deviner sous le tee-shirt et le jean. Il devait être musclé. Il avait l’air d’être assez poilu. Comment étaient ses tétons, gros ou petits ? Sa queue, courte ou longue ? Coupée ou non coupée ? Au lit, était-il actif ou passif ? Ou bien autoreverse ? Il s’imaginait pénétrant les fesses du beau Fabien étendu sur le dos, les jambes écartées, le corps offert à son désir, à son plaisir. Ou alors, à l’inverse, lui-même, en levrette… L’orgasme soudain le scotcha au plafond. Il essuya machinalement sa semence avec un kleenex, puis rabattit le drap sur son corps. Le sommeil le submergea à nouveau. Lorsqu’il se réveilla, le réveil marquait quatorze heures. Il était largement temps de se lever. Ce qu’il fit plutôt péniblement. Il se jeta sous la douche. Il se sentait bizarre, mélancolique, il avait mal au cœur, comme lorsque quelque chose – ou quelqu’un – vous manque. Il passa un tee-shirt et un caleçon, alluma son ordinateur, ouvrit Outlook. Le logiciel téléchargea une dizaine de messages. Jerem1973@aol.com : « Alors, t’as conclu ? » christian_lgc@wanadoo.fr : « Pas de nouvelles, fils ? » lydiev@libertsurf.fr : « Déj demain ? » Et puis : fab75011@hotmail.com : « Hello ». Le cœur d’Alexandre accéléra sa cadence. Fébrilement, il ouvrit le message. « J’ai été super-heureux de faire ta connaissance hier, Alex. Tu fais quoi cet après-midi ? » Alexandre pianota : « Rien. Et toi ? » Puis il cliqua sur le bouton d’envoi, et attendit. Il était con. Le mec n’était peut-être pas connecté. Mais, moins d’une minute plus tard, le PC téléchargea un nouveau message : « Rien non plus. À part prendre un verre avec toi. Si tu veux bien. » Alexandre rabattit son échine contre le dossier de la chaise. Puis, une fois son souffle repris, il se pencha à nouveau sur le clavier. « Avec plaisir. Où ça ? » L’ordinateur distant lui donna l’adresse d’un café près des guichets du Louvre. À seize heures trente. Après la soirée et le début de nuit qu’il avait passés, le jeune informaticien n’aurait en temps normal rien demandé de mieux que de rester traîner à l’appart toute la journée. Mais il
se sentait étrangement énergisé. Il s’aspergea d’eau de toilette, sortit du placard sa plus belle chemise « sport » – un cadeau de Clément (« Le salaud ! », se surprit-il encore à penser), enfila un jean. Il se regarda dans la glace. Malgré la fatigue, il ferait bien illusion. Il se passa de l’eau sur les yeux, coiffa ses cheveux bruns de Breton, qu’il portait court, du mieux qu’il put, mit ses chaussures, passa la porte. Il ne s’était pas rasé. Tant pis. Cela ajouterait autant à son charme. Cinq minutes plus tard, il s’engouffrait dans le métro, ligne numéro 1. Il n’avait rien avalé depuis la veille, mais la faim ne le tenaillait pas.
3 Lajournée était décidément splendide. Lorsqu’Alexandre sortit du métro à la station Palais-Royal–Musée du Louvre, en face du Conseil d’État, il n’eut aucun mal à trouver le café indiqué. Il jeta un œil à l’intérieur. Le dieu de l’Olympe n’était pas encore arrivé. Il s’installa en terrasse, au soleil. Deux minutes ne s’étaient pas écoulées qu’il lui fallait déjà décourager le serveur. Il attendait quelqu’un. Il tenta de calmer son excitation. Il contempla le bâtiment de la Comédie-Française. Il n’y avait jamais mis les pieds, depuis pourtant six ans qu’il vivait à Paris. La culture, ce n’était pas le truc de Clément. « Mais qu’est-ce qu’il aimait donc, ce petit con ? À part les fanfreluches et les pots de crème pour la peau ? Et aussi foutre la merde. » À quarante-cinq degrés s’ouvrait l’avenue de l’Opéra, avec au fond, énorme pâtisserie pseudo-on-ne-savait-quoi, la silhouette bombée du monument de Charles Garnier. Il fut tiré de sa méditation par une voix mâle et sensuelle qui lui disait : « Je peux m’asseoir à côté de vous, monsieur, ou vous attendez quelqu’un ? » Fabien se tenait devant lui, souriant, sûr de lui. Ce qu’il pouvait être canon ! Il portait un tee-shirt et un jean noir. Des lunettes de soleil un rien tendance masquaient encore son regard. « Peut-être bien, monsieur, répondit Alexandre. Mais en attendant, asseyez-vous toujours. » Ils se serrèrent la main. Fabien ôta ses lunettes. Il avait de belles mains musculeuses, aux ongles carrés coupés courts. « Il ne se ronge pas les ongles », pensa Alexandre. Cela le rassura. Il avait horreur de ça. « T’as pas commandé ? s’enquit Fabien. — Non. Tu prends quoi ? — Une pression. Et toi ? — Je reste sage. Un diabolo fraise. Putain, j’ai trop bu hier soir. Tu viens souvent ici ? — Parfois. J’aime bien m’asseoir et rêvasser à la terrasse. » Son regard s’arrêta sur Alexandre. « Rêvasser au prince charmant, des fois », compléta-t-il. Le serveur revint à la charge. Cette fois, il repartit avec sa commande. « Tu sais, reprit Fabien, j’ai super-kiffé la façon dont tu me matais, hier soir. — Ah oui ? C’est qu’tu dois avoir beaucoup d’imagination, alors. Je n’matais pas. T’en as des idées, toi ! » Alexandre pouffa. Il se souvenait très bien avoir avoué l’inverse à son interlocuteur la veille, l’alcool lui ayant un peu délié la langue. Pourtant, le regard de Fabien s’assombrit, l’espace d’un instant. Il n’osa pas relever que les propos du beau brun se contredisaient d’un jour à l’autre. Se souvenait-il vraiment de ceux de la veille, d’ailleurs ? Là, à l’instant, il était peut-être allé trop loin, trop vite. Ils n’étaient plus en boîte, grisés, exténués, couverts de sueur, mais assis à la terrasse d’un café, devisant en garçons de bonne compagnie. Il se reprit. « Ah bon. Parlons donc de choses plus sérieuses alors. Tu viens d’où ? Tu fais quoi ? Tu ne m’en as dit que le strict minimum, hier soir. — Je suis né en Bretagne. J’ai passé mon enfance à Landerneau. — C’est où ? — Dans le Finistère. Une jolie ville, entre Cornouaille et Léon. — Ça va faire du bruit dans Landerneau ! — Exactement. On dit que ça vient du canon de la prison de Brest, qui tonnait pour signaler les évasions. Il faisait un bruit d’enfer. Alors, les Brestois disaient : ça va faire du bruit dans Landerneau. Y a une autre version, mais je ne me la rappelle pas. » Ce que le Breton ne savait pas, ou avait oublié, c’est que cette expression, qui renvoyait peut-être aussi au tintamarre que faisaient les villageois sous les fenêtres d’une jolie veuve
trop vite remariée, avait été entendue pour la première fois, hors Armorique, à deux pas de là, sur la scène du Théâtre-Français, lors de la première de la pièce du Rennais Alexandre Duval, Les Héritiers, deux siècles plus tôt. À moins que ce ne fût dans l’ancienne salle, l’actuel Odéon. « Bref, après, comme beaucoup de Bretons, j’ai fait mes études à Rennes, et j’ai atterri à Paris pour le boulot, reprit Alexandre. — Tu fais quoi ? — J’suis informaticien. Chef de projet. Dans une boîte qui crée des systèmes de gestion de bases de données pour les entreprises. — Tu bosses où ? — À la Défense. Et j’habite à Courbevoie. — Seul ? — Vous êtes bien indiscret, monsieur ! Oui, seul. J’ai un deux pièces. Mais je n’y suis finalement pas souvent. Je voyage beaucoup pour mon business. Et vous, monsieur le rêvasseur ? » Fabien se racla la gorge. « Pas grand-chose à dire. J’ai toujours vécu à Paris. J’ai étudié à la fac d’Assas. J’ai passé un mastère, et puis je suis entré aux éditions de La Houppelande, comme juriste. C’est dans le sixième. Je m’occupe de copyrights, de trucs comme ça. On vient d’être rachetés par un grand groupe international. Ça m’ouvrira peut-être des perspectives. Enfin, je fais tout pour. » La discussion s’attarda sur ce terrain professionnel. Puis, au bout de vingt minutes, et d’une autre consommation, Alexandre s’enhardit à laisser s’échapper la question qui lui brûlait les lèvres. « T’es en couple ? — Non. Pas plus aujourd’hui qu’hier. En fait, je n’ai jusqu’ici pas trouvé le sujet idéal. — Ah ! Et où penses-tu dégotter cette perle rare ? — En boîte de nuit ! Non. Je plaisante. En fait, je fuis les clichés gays. Alors, je ne sais pas. J’ai trente ans, enfin trente et un, je laisse la vie me guider. Et je vis mes envies. Et j’en ai d’autres. — Lesquelles ? — Fi donc ! À vous d’être indiscret, monsieur le Breton. Je vous les dirai peut-être un jour, qui sait ? Ou peut-être pas. Bon, c’est pas tout, je dois y aller, mes parents m’attendent pour dîner. — Tu vis encore avec eux ? e — Tu plaisantes ? J’ai un appart’ dans le 11 arrondissement. Pour être tout à fait franc, mes grands-parents l’ont laissé à leur progéniture quand ils sont partis prendre leur retraite sur la Côte d’Azur. Toute la famille provinciale y a créché, à un moment ou à un autre. Maintenant, personne n’y vient plus. Alors, il est pour moi. Y a quat’pièces, alors ça va. Mes parents, eux, sont à Boulogne. On paye ? — C’est moi qui t’invite. Tu as eu la gentillesse de me raccompagner hier soir. — OK. » Alexandre se leva, partit régler au comptoir, avant de récupérer Fabien en terrasse. « Je vais remonter à la Défense par le RER A. Tu m’accompagnes jusqu’à Auber ? — Volontiers. Je ne suis pas si pressé que ça. » Ils remontèrent en devisant l’avenue de l’Opéra. À un moment, ne sachant trop quoi dire, le Breton, qui avait vu une émission de télé sur le baron Haussmann quinze jours plus tôt, expliqua qu’à l’époque où celui-ci la faisait ouvrir, entre Louvre et boulevard, elle devait s’appeler avenue de l’Empereur, offrant à Napoléon III un accès direct, préservé des terroristes de tout poil, à la nouvelle salle de spectacle depuis son palais des Tuileries. Après s’être engagés dans la rue Auber, ils parvinrent devant l’entrée du RER, percée au flanc d’un immeuble.
« On se revoit ? interrogea Alexandre. — Pourquoi pas ? — Vendredi soir ? — Je connais un restau super-sympa dans le Marais. L’Apollon Musagète. Tu connais ? — On m’en a parlé, il me semble. Mais je n’y suis jamais allé. — Je t’y emmène. On se rappelle. Adieu, monsieur. » Les deux garçons se serrèrent la main. La pression de la poigne de Fabien se fit plus intense. Alexandre se dégagea et dévala l’escalier. Il était aux anges.
4 Lamatinée se traînait en longueur. Alexandre n’avait pas la tête au travail. Le soir précédent, il s’était endormi la tête pleine de beaux rêves. Cela n’avait pas duré. Il s’était réveillé à quatre heures du matin. Il était en vacances à la montagne, avec Clément. Au hasard d’un sentier, il s’était retrouvé seul. Le garçon s’était volatilisé. Alex ne parvenait pas à retrouver son chemin. Plus il s’acharnait, moins il retrouvait le sentier de la vallée. Il tentait de se frayer un passage parmi les chardons et les ronces. Et puis, la station lui apparut en contrebas. Il se trouvait sur une sorte de plateforme. Il entendit une voix trop connue qui lui disait : « Ce que tu peux être con, Alex. Comment as-tu pu croire que je t’aimais ? » En même temps, une main le poussait dans le vide. Il avait atterri la tête la première sur son oreiller, le corps en sueur. Il lui avait fallu quelques instants pour réaliser que tout cela n’était que le fruit de son imagination. Il sentit son être s’imprégner de haine à seulement penser à Clément. Il comprit l’incongruité de son rêve. Il n’était jamais allé à la montagne avec son ex. Puis l’image de Fabien se dessina doucement sur ses prunelles dans l’obscurité de la nuit. Alexandre s’était extirpé du lit, avait allumé la lampe de chevet. Nu, poisseux, il s’était dirigé vers le bureau qui occupait un angle de la chambre, et s’était emparé de son téléphone mobile. Il l’avait allumé, y avait trouvé un SMS. Laconique. Envoyé la veille à vingt-trois heures. « Bien rentré ? » Le Breton s’était interrogé. Devait-il répondre ? Il avait tapé un premier message, qu’il n’avait pas envoyé. Puis un second. Non. Répondre serait manifester un intérêt trop grand, trop vite. Il n’avait pas le droit de s’emballer. Non. Pas après ce que Clément lui avait fait subir. Si jamais le jeune juriste devait s’insinuer dans sa vie, il se devait de prendre le temps de le connaître. « Ne pas tomber amoureux. Non. Du moins, pas tout de suite. » Alexandre savait bien qu’il ne tiendrait pas sa promesse, malgré lui-même. Que de fois il était tombé amoureux ! Au lycée, à la fac. À chaque fois, c’était d’un hétéro. Dès l’âge de douze ans, Alexandre avait su qu’il ne serait pas comme les autres. Il se rappelait un cours de français – il était en sixième – où l’on étudiait un extrait des Caractères de La Bruyère. « Qui dépeint-on », avait demandé le prof ? Aucun élève n’ayant su répondre, l’enseignant proféra d’un air mauvais : « Un homosexuel ! » Ce jour-là, Alex avait compris. Les dés étaient jetés. Mais il avait mis du temps à assumer, même si son sexe avait une fâcheuse tendance à durcir lorsqu’il se trouvait avec quelques-uns de ses camarades mâles, laissant ensuite une gênante tâche humide sur le devant de son pantalon. À la piscine, dans les vestiaires, il lui fallait se dissimuler du mieux qu’il pouvait pour enfiler et retirer son slip de bain, afin de cacher une trop criante érection. Et puis, à dix-sept ans, il avait eu son premier rapport homo avec un camarade de classe. Celui-ci avait recherché son amitié, l’invitait régulièrement chez lui le mercredi après-midi, ses parents travaillant tous les deux… Et puis, un jour, un regard. Celui qui ne trompait pas. Des gestes maladroits, des vêtements jetés épars sur le sol, une étreinte, une jouissance hâtive… Ce jour-là avait confirmé à Alexandre qu’il ne posséderait jamais une femme, qu’il ne serait jamais père. Il avait fait une croix là-dessus. Des masturbations émoustillées par des magazines pornos sur papier glacé. Des chocs virils dans sa petite chambre de bonne, à Rennes. Rien qui valut la peine d’être autre chose qu’un bon souvenir, sans plus. Et puis, à Paris, jeune cadre, il y avait eu Clément. La première déchirure. Alex aurait tant voulu qu’elle fût la seule. Cette nuit-là, Alexandre n’avait pas retrouvé le sommeil. Il s’était levé vers six heures trente. Il arriverait plus tôt au boulot. Il n’avait pas beaucoup de chemin à faire de son appartement à l’esplanade de la Défense.
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