102
pages
Français
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2020
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2020
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Publié par
Date de parution
05 octobre 2020
Nombre de lectures
11
EAN13
9782764441916
Langue
Français
Publié par
Date de parution
05 octobre 2020
Nombre de lectures
11
EAN13
9782764441916
Langue
Français
Projet dirigé par Karine Glorieux, en collaboration avec Marie-Noëlle Gagnon, éditrice
Conception graphique et mise en pages : Nathalie Caron
Révision linguistique : Sabrina Raymond
Illustration en couverture : Jolène Morin
Conversion en ePub : Fedoua El Koudri
Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Projet P : quinze femmes parlent de pénis / sous la direction de Karine Glorieux.
Noms : Glorieux, Karine, éditeur intellectuel.
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20200083775 |Canadiana (livre numérique) 20200083783 |
ISBN 9782764441893 | ISBN 9782764441909 (PDF) |
ISBN 9782764441916 (EPUB)
Vedettes-matière : RVM : Nouvelles québécoises—21e siècle.
Classification : LCC PS8329.1.P76 2020 | CDD C843/.010806—dc23
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2020
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2020
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2020.
quebec-amerique.com
MOI, J’AI UN PÉNIS
Marielle Giguère
Dans la cour arrière de Viviane, la gardienne que nous détestons tous, Anthony complètement nu fait aller sa quéquette de droite à gauche en chantant : « Moi, j’ai un pénissssE, pis toi t’en as pas ! » Mes quatre ans féroces fixent l’appendice à travers la frange de mon toupet toujours trop long – « ça pousse comme dans ‘marde », répète ma mère. Je comprends que c’est quelque chose qu’il a en plus , et donc, que j’ai forcément en moins . Alors, je lui lance : « Ben t’en auras pu d’pénis » en attrapant fermement la petite chose arrogante pour la lui arracher. Fille de Chronos.
Je tire de mes deux mains pleines de mini-testicules et de petit pénis. Anthony hurle. Je serre les dents, déterminée à rétablir l’équité entre nous. Viviane, celle qui nous oblige à engloutir des tonnes d’épinards vapeur et de tartes à la citrouille, met rapidement fin à cette guerre des sexes version prématernelle. Anthony conserve sa verge-en-devenir et moi, mon sentiment d’incomplétude. J’ignore qui de nous deux est le plus abîmé.
La première fois que je touche un sexe masculin, c’est donc pour m’en débarrasser. Étant donné que je passe le reste de la semaine en punition à genoux devant un coin de murs dont mon imaginaire habite lentement toutes les imperfections, j’en déduis que j’ai failli à approcher adéquatement l’énigmatique bijou.
Quelques jours plus tard, je mange à la dérobée un pot entier de pâte à modeler rouge ; elle sent la cerise et j’ai levé le nez sur le dîner en utilisant l’adjectif « dégueulasse » d’une façon fort à propos pour désigner les épinards et la citrouille préparés sans amour par ma gardienne. Je retourne dans le coin de murs où je retrouve mes histoires laissées en plan. Viviane n’apprécie visiblement pas mon aplomb.
Ces longues prostrations me donnent le temps de réfléchir à la différence, mais ne materont pas la tête de cochon avec laquelle j’irai à la rencontre de tous les pénis qui se pointeront le bout du nez dans ma vie.
Je grandis dans une maison de filles qui deviennent lentement des femmes : mes sœurs et moi, sous le regard fier de ma mère. Mon père est une altérité pudique, un peu lointaine, dont la nudité est quelque chose de secret qui m’attire. À six ans, j’offre à maman, magnanime : « Alors, on pourrait dormir à tour de rôle avec papa. Une nuit, toi, une nuit, moi. » Elle rit. Moi, je ne comprends pas ce qui est drôle.
Je déshabille une Barbie Ken pour trouver son pénis. Je le fais souvent, je me dis que ça va pousser éventuellement et je ne voudrais surtout pas manquer ça. Je suis une fillette précoce et lubrique. J’ai hâte de tâter garçons et filles, même si ma curiosité me pousse davantage vers l’autre en forme allongée. Ma mère me donne un livre dans lequel le pénis est représenté comme une fusée, tandis que la vulve est une maison. Je comprends que la carence des femmes exclut de facto les grands voyages dans l’univers. Le livre me déçoit, je préfère celui qui est caché derrière une rangée d’ouvrages de physiothérapie dans la bibliothèque : les gens s’y entremêlent sur des photographies qui répondent mieux à mes questions que les dessins débiles de mon livre pour enfants.
Je suis sensible à certaines commodités liées au zizi de mes compères masculins lors de nos excursions dans le bois et sur le bord du fleuve. Aussi, à la salle de bain de l’étage, devant le mur de céramique vert forêt, j’essaie à quelques reprises d’uriner deboutte , munie d’un rouleau vide d’essuie-tout. Chaque fois, le carton s’imbibe de mon pipi et ramollit dans mes mains déçues. Après quelques essais, je me résigne à l’accroupissement honteux que la biologie humaine impose aux femmes pour pisser en forêt.
J’ouvre un cabinet de docteur e dans le sous-sol pas fini de ma maison familiale. On s’installe directement sur le béton. Tous les voisins et voisines de mon âge ont droit à des examens gratuits et récurrents. J’ai toujours été en faveur d’un système de santé universel. Mon toupet trop long nuit souvent à une bonne évaluation visuelle, il faut alors toucher pour être certain que les pires dangers sont évités. C’est mieux que d’attendre en vain qu’il pousse une bizoune à Ken.
Au début de l’adolescence, je garde souvent des enfants. Parmi mes clients réguliers, il y a trois enfants dont j’ai oublié les traits du visage et les noms, mais je me souviens que leurs parents possèdent une extraordinaire collection de cinéma cochon qui est mise en valeur dans une bibliothèque vitrée au salon. Quand les enfants sont couchés, je m’instruis, je me « paye la traite », comme dirait ma mère. Je découvre la sensualité et la beauté des corps féminins qui sont exploités de toutes les façons et dans tous les angles possibles. J’apprends que dans la sexualité la femme a, entre autres attributs, un visage – qu’on aime barbouiller souvent, ce qui est mystérieux pour moi à cet âge –, mais l’homme a seulement un shaft démesuré qu’on s’assure de montrer en plan très rapproché. L’homme de la pornographie est un godemichet. C’est étrange, et un peu effrayant. En tout cas, ça me prépare à trouver suspect un pénis au repos. À remettre en question mon pouvoir de séduction dès que la bête bat en retraite.
Avec ma grande sœur, nous regardons le film Le Silence des agneaux . L’acteur Ted Levine y incarne un psychopathe du nom de Buffalo Bill terrorisant pour la jeune spectatrice que je suis. Une scène désormais célèbre le présente nu, la tête légèrement travestie par le maquillage, et le sexe glissé entre ses jambes croisées – pratique désignée par le terme « tucking » dans l’univers des travestis. Alors que je regarde pour la première fois ce film effrayant, je ressens un malaise profond devant cette vision particulière. C’est un malaise en apnée, qui pèse sur ma poitrine et bloque les questions dans ma gorge tant ça me trouble, ce qui est rare. J’évite de croiser le regard de ma sœur. « – T’as peur ? – Non ! » Pourquoi vouloir ainsi jouer avec cette frontière ? Pourquoi cacher ce dont il jouit en plus ?
De la chambre de hockey que mon amie Marie-Ève partage avec les garçons de son équipe mixte – le hockey féminin n’est pas assez développé à l’époque pour son calibre –, elle nous rapporte des anecdotes exquises et déstabilisantes pour nos yeux tout ouïe d’adolescentes rassemblées autour d’un joint. Notre fébrilité de