147
pages
Français
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2023
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Ebook
2023
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Publié par
Date de parution
31 mai 2023
Nombre de lectures
0
EAN13
9782379799679
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
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31 mai 2023
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EAN13
9782379799679
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Philippe Boncorps
Sous la neige
Fantaisie picaresque
Du même auteur
Les Imposteurs , éditions Saint Honoré, 2020
ISBN epub 9782379799679 ISBN papier 9782379799662 © mai 2023 Philippe Boncorps
à Pascale à mes enfants Laura, Guillaume et Nicolas
« La littérature est la preuve que la vie ne suffit pas » Fernando Pessoa
Chapitre 1
Conséquence d’une insomnie. Débat ontologique. Alice dans la boîte de bouquiniste. É change de bons procédés. Un appartement rempli de collections. Sexe dans une voie lactée de porte-clés.
— Y a quelqu’un, murmura Gabin ?
Pas de réponse.
— Oh hé ! Vous m’entendez ? Vous dormez ?
Il se mit à frapper des petits coups avec l’index replié sur le dessus de la boîte de bouquiniste. Il était sûr d’entendre des ronflements qui venaient du coffre.
— Hum, marmonna une voix à l’intérieur.
— Bonjour, c’est votre voisin…
Il habitait juste à côté, un peu plus haut, en remontant le quai des Grands Augustins, en face de l’île de la Cité.
— Vous pourriez ronfler un peu moins fort s’il vous plaît, ça m’empêche de dormir… continua-t-il.
De nouveau des ronflements.
Il était cinq heures du matin. Gabin avait eu une éclatante insomnie. Il savait qu’il était inutile de rester au lit dans le noir à s’énerver, à se tourner, à se retourner, à se réciter des poèmes et la liste des rois de France depuis Hugues Capet… Alors il était parti faire un footing sur les quais. Il avait couru une heure. Il faisait doux. Après cet entraînement très matinal au marathon, il s’était allumé une cigarette, accoudé au parapet entre deux boîtes de bouquinistes, quai de Conti, en regardant la Seine et le square du Vert galant.
Il avait bien couru et n’aspirait plus qu’à prendre une douche. Il reprenait son souffle tranquillement en rêvant, quand tout à coup Gabin eut l’impression que sa respiration sifflait. Il faillit jeter sa cigarette dans l’eau en pensant que fumer provoque le cancer mortel du poumon, mais il s’aperçut que le bruit suspect était un ronflement, qui venait du coffre de bouquiniste à côté duquel il était accoudé.
Il voulait voir qui avait élu domicile dans ce stand de vente de vieux bouquins et de souvenirs. Il tapota un peu plus fort sur le dessus de la grosse boîte verte. Toujours pas de réponse ! Gabin insista. Il augmenta la fréquence de ses coups et posa une oreille contre le couvercle.
— Qui ?… Pourquoi ?
La voix, assourdie par le caisson, lui parvenait comme du fond d’un tombeau. Gabin frissonna.
— Allô, allô, les gisants, ici Dieu. C’est pour le jugement dernier…
La voix dans la boîte balbutia hésitante, légèrement déformée, lointaine… et féminine, lui sembla-t-il.
— Existe pas… Darwin… Big Bang…
Elle était encore dans son rêve. Gabin avait pris une voix douce, alors que celle venant de la boîte, qui faisait caisse de résonance, lui parvenait grave, profonde. Pour parler au nom du grand barbu, il prit sa plus grosse voix de stentor.
— Comment ça… n’existe pas… ouvrez, vous allez voir…
— Des preuves… je me marre ! Allez-y, j’écoute…
Il ne savait pas pourquoi il avait démarré sur ce sujet ; il était athée, antireligieux et blasphémateur… Ce n’était pas lui qui allait apporter des preuves ontologiques. Il n’avait pas une particulière sympathie pour le personnage, mais en ce moment le monde ne parlait que de Dieu, de religion ; ça faisait un bruit de fond entêtant auquel il était difficile d’échapper.
— Oh ! Je hais ce monde où nous en sommes réduits à Dieu… mais on ne va pas ouvrir le procès tout de suite en pleine nuit…
Il fut distrait un instant par un automobiliste qui s’était arrêté au feu rouge à trois mètres de lui. Il ne savait pas depuis combien de temps le conducteur l’observait. Tout préoccupé qu’il était à disserter métaphysique avec un gisant allongé dans une boîte comme un cercueil rangé le long de la Seine, il n’avait pas entendu la voiture approcher. Il croisa le regard du chauffeur qui détourna vite les yeux, amusé et inquiet, se demandant quelles réactions incontrôlables, et peut-être violentes, pouvait avoir un hurluberlu en jogging, complètement en nage, la cigarette aux lèvres, en train de faire la conversation au petit matin avec un coffre de bouquiniste. Mieux valait s’éloigner ; justement le feu passa au vert et la voiture disparut.
— Bon, je vais rentrer prendre une douche avant d’attraper un rhume. C’est le début de l’été, mais les nuits sont encore un peu fraîches, non ?
Pas de réponse.
— Si ça vous fait chier ce que je vous raconte, faut le dire, tonna-t-il.
Pas de réponse.
— Bon, au revoir… et à bientôt ?
— Non ! Ne partez pas.
Il entendit comme un hoquet, immédiatement suivi du bruit sourd d’un choc contre le couvercle.
— Aie ! glapit la voix de l’intérieur du sarcophage.
Il resta immobile, les yeux braqués sur le coffre. Une trappe s’entrebâilla sur le devant de la boîte. Il lui sembla qu’un œil était en train de l’observer. Le battant s’ouvrit encore un peu plus et une voix demanda.
— Il y a quelqu’un sur le trottoir ?
Gabin balaya rapidement du regard les environs.
— Non, non. Il n’y a que moi… enfin que nous.
— Pousse-toi un peu et attends, il faut qu’on parle.
Il se recula d’un mètre. En une seconde, elle jaillit de la boîte et fut debout sur le trottoir. Avant qu’il ait pu ouvrir la bouche, elle avait replié son placard, y avait mis un cadenas à faire pâlir le grand Harry Houdini, et s’était plantée devant lui en massant délicatement une légère bosse sur son front.
— J’espère que t’as de quoi me payer un bon petit déjeuner. Si tu m’as réveillée en sursaut au milieu de la nuit pour rien, tu vas m’entendre.
— Mademoiselle, j’ai toujours un billet dans le fond de ma chaussure, au cas où.
— Je m’appelle Alice.
— Moi, c’est Gabin.
Ils allèrent à la brasserie du coin qui venait juste d’ouvrir. Il prit un café au lait, elle commanda un chocolat, et une panière de croissants qui venaient d’apparaître tout chauds sur le comptoir.
— Alors vous vivez dans cette boîte ? Des commerçants qui habitent au-dessus de leur magasin, c’est fréquent, mais dedans…
— C’est pratique, pas de transport pour aller au travail et pas de frais de gardiennage. Comment tu as su que j’habitais là ?
— Je fumais tranquillement une cigarette, appuyé sur votre boîte après mon footing, quand vos ronflements, enfin je devrais plutôt dire vos hurlements, ont attiré mon attention…
— Et alors, c’est une raison pour réveiller les gens chez eux à cinq heures du matin ? Même la police attend que le jour se lève.
— J’avoue, je ne me reconnais pas. Ma devise c’est « la paix pour tous, essayons de ne pas trop emmerder nos voisins »… C’est la jalousie ! Entendre quelqu’un, allongé dans une boîte à peine plus grande qu’un cercueil, posée sur le bord de l’eau, en pleine rue, qui ronfle comme un bienheureux, alors que dans mon lit deux places, derrière mes doubles vitrages, une nuit sur deux, je n’arrive pas à fermer l’œil !
Alice avait terminé la panière de croissants. Elle commanda un autre chocolat.
— Qu’est-ce que vous vendez ? Des livres ? demanda-t-il.
— Oui, des vieux bouquins, pas énormément, et quelques boules à neige des quais de Paris… mais très peu, sinon je n’ai plus de place pour étendre mes jambes. Mais ce n’est pas mon vrai métier. En fait, je suis astrophysicienne.
— À force de regarder les étoiles, il y en a qui tombent dans les puits, vous c’est dans les boîtes…
— C’est de l’humour ? Tu fais dans le poétique niais ?
— Vous êtes toujours de mauvais poil le matin, ou c’est parce que je vous ai réveillée de très bonne heure ?
— On va se tutoyer si tu veux bien, là j’ai l’impression de prendre mon petit déjeuner avec des collègues, pendant un séminaire au palais des congrès.
Alice était en pyjama de coton rose, avec de grands motifs blancs sur le devant. Elle avait trente ans mais semblait beaucoup plus jeune. Elle était divinement belle. Il était cinq heures du matin, il venait de la tirer du lit, elle aurait pu poser sans maquillage pour une marque de produits de beauté. Gabin la dévorait des yeux.
— Belle, sans ornement, dans le simple appareil d’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil… Si jamais, je devais illustrer ces vers de Britannicus pour le Lagarde et Michard, je vous prendrais en photo le matin au saut de votre boîte.
Quand il courait, comme il venait de le faire, ou après une bonne partie de squash, dix minutes après s’être arrêté, il avait souvent une brusque et dernière montée de chaleur qui le faisait transpirer à grosses gouttes. À l’idée d’Alice nue sous son pyjama, il eut vraiment très chaud.
— J’aime ta façon de faire un compliment. Ce n’est pas tous les jours qu’on me récite du Racine. En plus Lagarde et Michard, jeune homme de bonne famille, cultivé et fleur bleue… j’adore.
— Qu’est-ce qui peut bien amener une astrophysicienne à habiter dans une boîte de bouquiniste ?
— Je l’ai héritée de ma grand-mère. Elle a voulu laisser à chacun de ses petits enfants un pied-à-terre dans les endroits qu’elle aimait. Nous sommes trois sœurs. L’aînée a eu un studio à Amsterdam, la seconde une cabane sur pilotis dans la lagune de Venise, et à moi, la petite dernière, elle a laissé ce stand en plein Paris sur les bords de la Seine.
— Vous n’avez jamais songé à prendre un appartement dans le quartier ?
— Vu le prix du mètre carré et le montant de mon salaire à l’Observatoire, je me contente de ma boîte. Et toi, à part traîner sur les quais après un jogging, tu fais quoi ?
— Je tiens un blog d’histoire et un autre de peinture. J’hésite entre les deux. Ma vocation, c’est l’histoire de l’art. C’est long l’apprentissage. Je fais mes classes, je suis en formation.
Alice commanda une grande tartine avec de la confiture.
— J’ai tout un stock de vieux bouquins de poche des années