300
pages
Français
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2016
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Publié par
Date de parution
22 avril 2016
Nombre de lectures
9
EAN13
9782342050660
Langue
Français
« Quand l'angélus sonna à l'église du bourg, tous les dragons se mirent en position. Le silence se fit dans les rangs de la populace ; l'approche de la mort excitait les esprits mais glaçait les entrailles ; les femmes se serraient dans leurs châles, les enfants s'accrochaient à leur robe, les hommes – se voulant méprisants – fixaient la soldatesque d'un œil froid. Une batterie de tambours annonça la venue des prisonniers. Gaston de Baumage marchait en tête, l'épaule entourée d'un linge rouge de sang. Il parut las mais déterminé, pressé d'en finir, la mâchoire contractée par la douleur que lui causait sa blessure ; derrière lui, ses douze compagnons suivaient, tête basse, les mains liées, réunis les uns aux autres par une corde. On plaça un condamné devant chaque fourche et l'on mit le capitaine au milieu de l'espace libre, et quatre palefreniers amenèrent quatre chevaux. La foule comprit alors que monsieur de Baumage serait écartelé. » Dans le Languedoc de la fin du XVIIe siècle, rongé par la misère et le désespoir, un nouvel impôt va déclencher un soulèvement de la population. Décidés à prendre les armes, les gueux, exténués et enragés, paieront de leur vie leur sursaut de dignité... C'est un ballet de frustration, de haine et de violence qu'orchestre Daniel Tharaud. Livrée à hauteur d'homme, une chronique historique minutieuse et implacable, aussi amère que lucide.
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22 avril 2016
Nombre de lectures
9
EAN13
9782342050660
Langue
Français
À bas l'impôt ! Vive le Roi !
Daniel Tharaud
Société des écrivains
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Société des écrivains
175, boulevard Anatole France
Bâtiment A, 1er étage
93200 Saint-Denis
Tél. : +33 (0)1 84 74 10 24
À bas l'impôt ! Vive le Roi !
Toutes les recherches ont été entreprises afin d’identifier les ayants droit. Les erreurs ou omissions éventuelles signalées à l’éditeur seront rectifiées lors des prochaines éditions.
1
— Monsieur ! Monsieur !
Jean-Baptiste entendit les cris de son valet bien avant que celui-ci n’atteignît l’enclos qui entourait sa demeure. Il savait le garçon émotif, mais la fébrilité de ces appels lui fit craindre quelque nouveau drame. Il devenait très difficile de se vouloir philosophe et d’ignorer le monde pour se consacrer à l’étude.
— Monsieur ! Il y a quasiment une émeute en ville !
Valentin, tout essoufflé, roulait des yeux où la crainte et l’excitation se mêlaient.
— Calme-toi, mon garçon, et dis-moi ce qui arrive dès le petit matin.
Il replia, à regret, le livre qu’il lisait et se voulut attentif aux propos du jeune homme.
— Il y a, monsieur, que tout un monde est en révolution. Au réveil, on a découvert des affiches, placardées contre portes et volets, et la colère des gens est grande.
— Et que nous apprennent-elles, ces affiches.
— Vous savez, monsieur, que je ne sais point lire ; mais on y annoncerait un nouvel impôt… Ceux qui le craignaient n’avaient donc pas tort !
— L’impôt ne date pas d’aujourd’hui, mon petit. Il nous revient régulièrement, et chaque année chacun s’émeut à l’annonce du recouvrement des tailles. C’est que chaque année, chacun se retrouve un peu plus pauvre qu’il n’était l’été précédent. Voilà vingt ans que la misère gagne… Apporte-moi mes bottes, et allons voir ce qui émeut nos gens. Il ne serait pas bon de leur laisser faire des sottises dont le prix serait plus lourd que la taxe qu’on leur baille.
Jean-Baptiste Carbonas avait toute sa vie craint le tumulte d’une foule en colère. Tous ces gens assemblés, qu’aucune raison ne guidait et qui laissaient aller leur peur dans la violence, lui faisaient douter que le monde pût un jour connaître la paix. Trop d’esprits dévoyés profitaient de l’ignorance pour attiser les réactions du peuple et tirer parti de ses révoltes. Dans ces agitations, c’est le petit qui perdait toujours. Bien sûr, à chaque rébellion, quelques têtes fortunées tombaient, mais ce n’était rien à côté de tant de pauvres diables qui perdaient leur vie et leurs biens. Et la communauté n’y gagnait qu’un peu plus de désespérance.
Le cœur de la petite cité résonnait en effet de vives clameurs. Jean-Baptiste s’enquit auprès d’un artisan des causes de cette effervescence.
— Lisez ceci, monsieur, vous serez édifié. C’était collé à mon volet.
L’homme lui montra un parchemin de petites dimensions où il était écrit que maître Ancelin, commis aux fermes, passerait collecter une taxe de deux écus par bête de trait et de cinq écus par cabaretier.
— Ceci s’ajoutant aux autres impôts, nous n’aurons bientôt plus de quoi nourrir nos enfants…
Valentin écoutait et regardait son maître, ne comprenant rien à ce que représentait l’impôt ou la taille. Lui se contentait de travailler et d’obéir. Il n’avait jamais eu d’autre argent en poche que celui qu’on lui confiait pour aller chercher le pain chez le boulanger ou le lait à la ferme voisine ; ou encore les quelques petites pièces que Jean-Baptiste lui laissait pour faire l’aumône, et qu’il distribuait aussitôt. Il ne désirait pas posséder, ne fût-ce qu’une petite somme, et n’avait d’autre ambition que de bien manger et de voir son maître content de lui ; un maître qui l’avait recueilli alors qu’il avait tout perdu et mourait de faim ; un homme qu’il aimait et admirait.
— Est-ce un de ces impôts dont on parlait et qui vont achever de ruiner les paysans, monsieur… ?
— Oui et non… C’est un impôt, voilà tout, ni meilleur ni pire que les autres. De toute façon, notre peuple est ruiné et nous hypothéquons l’avenir… Ne réfléchis pas, Valentin, ceci n’est point à ta portée. Suivons ces gens, afin d’apporter quelque tempérance à leur irritation.
Comme il arrive toujours quand le peuple s’agite, une petite poignée d’hommes menait les mécontents et s’appliquait à échauffer les esprits. Parmi eux, une espèce de grand diable, roux de poil et le regard de feu, haranguait les autres d’une voix aiguë.
« Ne vous l’avait-on pas dit… ? Aujourd’hui, c’est votre cheval ou votre bœuf, demain ce sera votre chemise ou votre chapeau, bientôt votre puits ou l’enfant à naître ! Tout sera taxé afin que vous ne possédiez plus rien, et que vous n’ayez d’autre ressource que d’aller vous faire tuer dans les armées des princes. Mais Dieu ne l’entend pas de cette oreille ! Il veut que l’homme vive et que la foi triomphe ! Il nous soutiendra dans nos efforts, si nous montrons assez de courage pour refuser qu’on nous réduise à rien ! Car sachez-le, mes amis, ce sont tous ces beaux messieurs des fermes qui s’enrichissent sur notre dos ; ils sont à la botte de nos grands seigneurs et s’entendent avec eux pour conserver une grande partie des tailles ! Ils nous volent et volent le roi, qui ne peut avoir l’œil à tout, et à qui l’on dit que le peuple est pauvre et ne peut payer qu’une partie de l’impôt ! Ces gens sont des trompeurs qui abusent tout le monde et se gaussent de notre misère. Plus ils nous oppressent et plus ils vivent à l’aise. C’est eux qu’il faut châtier ! Quel est-il ce maître Ancelin ? Un coquin à la solde des financiers de la ferme, et qui trouve son compte dans l’affaire ! Dénichons-le et montrons-lui qu’il nous reste encore un manche de fourche pour lui rosser le dos ! Où est-il… ? »
Un homme, à côté du parleur – et qui accompagnait son discours de grands gestes persuasifs –, s’écria qu’il n’y avait que six auberges en ville, et qu’il avait bien fallu qu’il loge dans l’une d’elle, car aucun habitant n’aurait consenti à héberger un commis des fermes.
On compta que quatre des cabaretiers étaient parmi la foule, et l’un d’eux affirma qu’il était arrivé une voiture, la veille au soir, à l’auberge de Félicie, qui était dans la même rue que la sienne ; et comme il se trouvait que ni Félicie ni son mari ne s’étaient émus de la taxe annoncée… il se pourrait que…
— Alors allons-y ! cria une voix.
La petite meute s’élança à travers les rues. Ce groupe pouvait représenter une cinquantaine de personnes, mais la moitié seulement se montraient vindicatives ; le reste suivait, irrésolu à prendre un parti quelconque.
Parmi ceux-là, Jean-Baptiste reconnut un paysan des environs.
— Raoul, viens là ! Dis-moi, mon ami, qui est ce tribun qui vous entraîne à la fronde ?
— Il vient d’un village des collines, en face à l’ouest. Il dit qu’on nous prépare de tristes jours et qu’il est temps de nous défendre. Il prétend entendre des voix… Le fait est que nous mourrons tous de faim si nous ne faisons rien…
— Et l’on vous pendra si vous en faites trop !
— Mourir pour mourir, monsieur, ne vaut-il pas mieux que ce soit en se battant… ?
— Sans doute… Encore faut-il savoir pour quoi et contre qui.
— Eh, contre ceux qui nous ruinent !
Et le sieur Raoul rejoignit les autres à grandes enjambées. Valentin s’étonnait naïvement :
— Ceux qui nous ruinent… Il les connaît donc, lui, monsieur ?
— Non.
— Alors, contre qui vont-ils se battre ?
— Contre un pauvre diable qui a eu le tort d’accepter d’être celui qui représente l’impôt…
Le jeune valet ne comprenait pas bien, mais il suivit son maître sans plus l’interroger ; curieux de connaître la suite des événements.
Félicie n’attendit pas, pour se montrer, qu’on vînt cogner à sa porte. Elle avait entendu les clameurs des autres et se doutait de leur démarche. Aussi, en femme énergique, avait-elle décidé de faire front et de ne point paraître protéger le commis. Son voisin cabaretier l’apostropha :
— C’est toi, Félicie, qui loge le sieur Ancelin ?
— C’est dans mon auberge, en effet, que ce monsieur est descendu. Quand un bourgeois se présente, je n’ai pas pour habitude de lui fermer ma porte ! Qu’aurais-tu fait à ma place, gros malin ?
— Sais-tu ce qu’il vient nous réclamer ?
— Je viens de l’apprendre ! Mais ce n’était pas écrit sur son front ; il m’a payé son gîte et sa soupe sans rechigner, et les écus sont assez rares pour qu’on ne les refuse pas, d’où qu’ils viennent.
Celui qui menait la troupe intervint.
— Femme, tu as bien fait ; mais nous n’avons pas l’intention de lui donner des nôtres, et nous l’allons chasser fort proprement de la ville en lui ôtant toute idée d’y remettre les pieds ! Où est sa chambre ?
Déjà, quatre gars décidés pénétraient dans l’auberge.
— Au premier, sur la cour, en haut de l’escalier… leur cria Félicie en se signant. Mais montrez-vous honnêtes chrétiens !
La recommandation n’avait point été entendue, car lorsque le commis parut, quasiment nu, il portait déjà sur le visage et sur le corps, nombre de traces sanguinolentes. On le jeta dans la rue comme un chien galeux, et il s’enfuit en hurlant suivi de son valet qui prenait sa part des coups et n’était pas mieux paré pour protéger sa maigre carcasse des regards curieux des matrones. La meute fut toute à leur suite, et ils ne durent leur salut qu’au prix d’une course éperdue.
Félicie dut intervenir fermement pour qu’on ne touchât pas à leurs bagages.
— C’est moi qu’on accuserait de vol ! Et alors, je n’hésiterai pas à dénoncer ceux qui auront fait le coup !
Jean-Baptiste s’approcha.
— N’aggravez pas votre cas, mes amis, revenez plutôt à la raison. Le mieux serait