Joseph Basalmo , livre ebook

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Alexandre Dumas (1802-1870)



"Andrée ne s’affaissa point, ainsi que nous avons dit, tout d’un coup, mais avec des gradations que nous allons essayer de décrire.


Seule, abandonnée, saisie de ce froid intérieur qui succède à toutes les furieuses secousses du système nerveux, Andrée commença bientôt à chanceler et à tressaillir comme au début d’une attaque d’épilepsie.


Gilbert était toujours là, roide, immobile, penché en avant et la couvant du regard. Mais, pour Gilbert, on le comprend bien, pour Gilbert, ignorant les phénomènes magnétiques, il n’y avait ni sommeil, ni violence subie. Il n’avait rien ou presque rien entendu de son dialogue avec Balsamo. Pour la seconde fois seulement, à Trianon comme à Taverney, Andrée paraissait avoir obéi à l’appel de cet homme, qui avait pris sur elle une si terrible et si étrange influence ; pour Gilbert, enfin, tout se résumait dans ces mots : « Mlle Andrée a un amant, du moins un homme qu’elle aime et avec lequel elle a des rendez-vous la nuit. »


Le dialogue qui avait eu lieu entre Andrée et Balsamo, quoique prononcé à voix basse, avait eu tous les semblants d’une querelle. Balsamo, fuyant, insensé, éperdu, semblait un amant au désespoir ; Andrée, demeurée seule, immobile, muette, semblait une amante abandonnée.


Ce fut en ce moment qu’il vit la jeune fille vaciller, se tordre les bras et tourner sur elle-même ; puis elle poussa deux ou trois râlements sourds qui déchirèrent sa poitrine oppressée ; elle s’efforça, ou plutôt la nature s’efforça de rejeter au dehors cette masse mal pondérée de fluide qui lui avait donné, pendant le sommeil magnétique, cette double vue dont nous avons, dans le chapitre précédent, vu se manifester les phénomènes."



Tome IV

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Publié par

Date de parution

30 octobre 2022

Nombre de lectures

0

EAN13

9782384421442

Langue

Français

Mémoires d'un médecin


Joseph Balsamo

Tome IV


Alexandre Dumas


Octobre 2022
Stéphane le Mat
La Gibecière à Mots
ISBN : 978-2-38442-144-2
Couverture : pastel de STEPH'
lagibeciereamots@sfr.fr
N° 1142
CXXI
Catalepsie

Andrée ne s’affaissa point, ainsi que nous avons dit, tout d’un coup, mais avec des gradations que nous allons essayer de décrire.
Seule, abandonnée, saisie de ce froid intérieur qui succède à toutes les furieuses secousses du système nerveux, Andrée commença bientôt à chanceler et à tressaillir comme au début d’une attaque d’épilepsie.
Gilbert était toujours là, roide, immobile, penché en avant et la couvant du regard. Mais, pour Gilbert, on le comprend bien, pour Gilbert, ignorant les phénomènes magnétiques, il n’y avait ni sommeil, ni violence subie. Il n’avait rien ou presque rien entendu de son dialogue avec Balsamo. Pour la seconde fois seulement, à Trianon comme à Taverney, Andrée paraissait avoir obéi à l’appel de cet homme, qui avait pris sur elle une si terrible et si étrange influence ; pour Gilbert, enfin, tout se résumait dans ces mots : « Mlle Andrée a un amant, du moins un homme qu’elle aime et avec lequel elle a des rendez-vous la nuit. »
Le dialogue qui avait eu lieu entre Andrée et Balsamo, quoique prononcé à voix basse, avait eu tous les semblants d’une querelle. Balsamo, fuyant, insensé, éperdu, semblait un amant au désespoir ; Andrée, demeurée seule, immobile, muette, semblait une amante abandonnée.
Ce fut en ce moment qu’il vit la jeune fille vaciller, se tordre les bras et tourner sur elle-même ; puis elle poussa deux ou trois râlements sourds qui déchirèrent sa poitrine oppressée ; elle s’efforça, ou plutôt la nature s’efforça de rejeter au dehors cette masse mal pondérée de fluide qui lui avait donné, pendant le sommeil magnétique, cette double vue dont nous avons, dans le chapitre précédent, vu se manifester les phénomènes.
Mais la nature fut vaincue, mais Andrée ne put réussir à secouer ce reste de volonté oublié sur elle par Balsamo. Elle ne put dénouer ces liens mystérieux, inextricables, qui l’avaient garrottée tout entière ; et, à force de lutter, elle entra dans ces convulsions qu’autrefois les pythies, sur le trépied, subissaient devant le peuple de questionneurs religieux qui bourdonnait sur le péristyle du temple.
Andrée perdit l’équilibre, et, poussant un douloureux gémissement, tomba sur le sable comme si elle eût été foudroyée par le coup de tonnerre qui en ce moment déchira la voûte du ciel.
Mais elle n’avait pas touché le sol, que Gilbert, avec l’agilité et la vigueur du tigre, s’était élancé vers elle, l’avait saisie entre ses bras, et, sans s’apercevoir qu’il eût un fardeau à soutenir, l’emportait dans la chambre qu’elle avait quittée pour obéir à l’appel de Balsamo, et dans laquelle brûlait encore la bougie près du lit défait.
Gilbert trouva toutes les portes ouvertes, comme les avait laissées Andrée.
En entrant, il se heurta au sofa et y déposa tout naturellement la jeune fille froide et inanimée.
Tout était devenu fièvre en lui au contact de ce corps inanimé ; ses nerfs étaient frémissants, son sang brûlait.
Sa première idée, cependant, fut chaste et pure : il lui fallait avant toute chose rappeler à la vie cette belle statue ; il chercha des yeux la carafe pour jeter quelques gouttes d’eau au visage d’Andrée.
Mais, en ce moment, et comme sa main tremblante s’étendait vers le col élancé de l’aiguière de cristal, il lui sembla qu’un pas ferme et léger à la fois faisait crier l’escalier de bois et de briques qui conduisait à la chambre d’Andrée.
Ce n’était point Nicole, puisque Nicole s’était enfuie avec M. de Beausire ; ce n’était point Balsamo, puisque Balsamo était parti au grand galop de Djérid .
Ce ne pouvait être qu’un étranger.
Gilbert surpris serait chassé. Andrée était pour lui comme ces reines d’Espagne qu’un sujet ne peut toucher même pour leur sauver la vie.
Toutes ces idées, pareilles à un tourbillon de grêles stridentes, s’abattirent sur l’esprit de Gilbert en moins de temps que n’en mit ce pas fatal à se poser sur un autre degré.
Ce pas – ce pas, qui allait se rapprochant – Gilbert n’en pouvait calculer l’éloignement précis, tant l’orage faisait en ce moment de bruit au ciel ; mais, doué d’un sang-froid et d’une prudence supérieurs, le jeune homme comprit que sa place n’était point là, et que l’important, avant toute chose, était de n’être point vu.
Il souffla vite la bougie qui éclairait l’appartement d’Andrée et se jeta dans le cabinet qui servait de chambre à Nicole. Ainsi placé, à travers la porte vitrée de ce cabinet, il voyait à la fois et dans l’appartement d’Andrée et dans l’antichambre.
C’est dans cette antichambre que brûlait une veilleuse sur une petite console. Gilbert avait d’abord eu l’idée de la souffler comme la bougie, mais il n’en eut pas le temps ; le pas cria sur les carreaux du corridor, une respiration un peu oppressée se fit entendre, la forme d’un homme apparut sur le seuil, se glissa timidement dans l’antichambre, et repoussa la porte, qu’il ferma au verrou.
Gilbert n’eut que le temps de se jeter dans le cabinet de Nicole, et de tirer sur lui la porte vitrée.
Gilbert retint son souffle, colla son visage aux vitres, et écouta de toutes ses oreilles.
L’orage grondait solennellement dans les nuées, de grosses gouttes de pluie battaient le vitrage de la fenêtre d’Andrée et celui du corridor, où une fenêtre laissée ouverte grinçait sur ses gonds, et, de temps en temps, repoussée par le vent qui s’engouffrait dans le corridor, frappait avec un grand bruit sur son cadre.
Mais le tumulte de la nature, mais les bruits extérieurs, si terribles qu’ils fussent, n’étaient rien pour Gilbert ; toute sa pensée, toute sa vie, toute son âme, étaient concentrées dans son regard, et son regard était rivé à cet homme.
Cet homme avait traversé l’antichambre, avait passé à deux pas de Gilbert, et sans hésitation était entré dans la chambre. Gilbert vit cet homme aller en tâtonnant au lit d’Andrée, faire un geste de surprise en trouvant le lit désert, et presque aussitôt heurter du bras la bougie sur la table.
La bougie tomba, et, sur le marbre de la table, Gilbert entendit se briser la bobèche de cristal.
Alors, par deux fois, l’homme appela d’une voix étouffée :
– Nicole ! Nicole !
« Comment, Nicole ? se demanda Gilbert du fond de sa cachette. Pourquoi cet homme, lorsqu’il devrait appeler Andrée, appelle-t-il Nicole ? »
Mais, nulle voix n’ayant répondu à la sienne, cet homme ramassa le flambeau à terre, et sur la pointe du pied, il alla l’allumer à la veilleuse de l’antichambre.
Ce fut alors que Gilbert concentra toute son attention sur cet étrange et nocturne visiteur ; ce fut alors que ses yeux eussent percé un mur, tant ils mettaient d’active volonté à voir.
Tout à coup Gilbert frissonna, et, tout caché qu’il était, fit un pas en arrière.
À la lueur des deux flammes se combinant, Gilbert, frissonnant et à demi mort de stupeur, Gilbert, dans cet homme qui tenait le flambeau à la main, venait de reconnaître le roi.
Alors tout lui fut expliqué : la fuite de Nicole, cet argent compté entre elle et Beausire, et cette porte laissée ouverte, et tout Richelieu, et tout Taverney, et toute cette mystérieuse et sinistre intrigue dont la jeune fille était le centre.
Alors Gilbert comprit pourquoi le roi venait d’appeler Nicole, entremetteuse de ce crime, complaisant Judas qui avait vendu et livré sa maîtresse.
Mais, à la pensée de ce qu’était venu faire le roi dans cette chambre, à la pensée de ce qui allait se passer devant lui, le sang monta aux yeux de Gilbert et l’aveugla.
Il eut envie de crier ; mais la peur, ce sentiment irréfléchi, capricieux, irrésistible, la peur qu’il eut de cet homme, encore plein de prestige, que l’on appelait le roi de France, lia la langue de Gilbert au fond de son gosier.
Louis XV, cependant, était rentré dans la chambre, la bougie à la main.
À peine y était-il, qu’il aperçut Andrée en peignoir de mousseline blanche, Andrée plutôt nue qu’enveloppée, dont la tête retombait sur le dossier du sofa, dont une jambe reposait sur le coussin, tandis que l’autre, roidie et déchaussée, retombait sur le tapis.
Le roi sourit à cette vue. La bougie éclaira ce sourire lugubre ; mais presque aussitôt un sourire presque aussi sinistre que le sourire royal vint illuminer le visage d’Andrée.
Louis XV murmura quelques mots que Gilbert interpréta comme des mots d’amour, et, posant son flambeau sur la table, jetant, en se retournant, un coup d’œil au ciel enflammé, il vint s’agenouiller devant la jeune fille, dont il baisa la main.
Gilbert essuya la sueur ruisselant sur son front. Andrée ne bougea pas.
Le roi, qui sentit cette main glacée, la prit dans la sienne pour la réchauffer, et, de son autre bras enveloppant ce corps si beau et si doux, il se pencha pour murmurer à son oreille quelques-unes de ces cajoleries amoureuses qu’on murmure à l’oreille des jeunes filles endormies.
Dans ce moment, son visage se rapprocha d’Andrée au point que le visage du roi effleura celui de la jeune fille.
Gilbert se tâta et respira en sentant dans la poche de sa veste le manche d’un long couteau qui lui servait à émonder les charmilles du parc.
Le visage était glacé comme la main.
Le roi se releva ; ses yeux se portèrent sur ce pied nu d’Andrée, blanc et petit comme celui de Cendrillon. Le roi le prit entre ses deux mains et tressaillit. Ce pied était froid comme celui d’une statue de marbre.
Gilbert, que tant de beautés découvertes à ses regards, Gilbert, que la luxure royale menaçait comme d’un vol fait à lui-même, Gilbert grinça des dents et ouvrit le couteau que jusque-là il avait tenu fermé.
Mais déjà le roi avait abandonné le pied d’Andrée, comme il avait fait de la main, comme il avait fait du visage, et surpris du sommeil de la jeune fille, sommeil qu’il avait attribué d’abord à une coquette pruderie, il cherchait à se rendre compte de ce froid mortel qui avait envahi le

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