Le Chocolat des temps amers , livre ebook

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Il y a les faits décrits et commentés dans les livres d'Histoire. Et il y a le vécu d'un peuple qui a dû faire avec. Avec quoi ? Avec une nation humiliée et soumise. Avec l'absence des hommes partis pour le S.T.O. Avec les représailles après les actes " terroristes" de la Résistance. Mais avec, aussi, les solidarités inattendues qui entretiennent l'espoir.
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Nombre de lectures

13

EAN13

9782812916311

Langue

Français

Professeur de français,Jean-Louis Barbets’est passionné pour la Seconde Guerre mondiale, ou plus exactement pour les histoires personnelles que les gens ont pu vivre à cette époque. Il se fait remarquer en remportant le Prix de la nouvelle organisé par l’Académie de Clermont-Ferrand en 2006.
LECHOCOLAT DES TEMPS AMERS
Du même auteur Autres éditeurs
Fragiles archives – Une famille du Cantal
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français d’exploitation du droit de copie, 20 rue des Grands-Augustins, 75006 Paris. © , 2007
JEAN-LOUISBARBET
LECHOCOLAT DES TEMPS AMERS
Avant-propos
E LIVRE est constitué par un ensemble de six récits, qui r apportent des C anecdotes tirées de la vie quotidienne en France, p endant la période de l’Occupation de 1940 à 1945. Les histoires sont tan tôt émouvantes, tantôt cocasses, tantôt tragiques. Vous ferez connaissance d’un couple de fermiers en Touraine, d’un chocolatier belge, d’une boulangère en Limousin, d’un commerçant aurillacois, de paysans du Cantal, d’une famille d’Argenteuil… Ce sont de ces histoires qui circulent lors des rep as de famille ou bien entre deux vieux amis au comptoir d’un café. De celles qu i ont contribué à forger une représentation vivante de cette époque dans l’imagi naire de ceux qui ne l’ont pas vécue directement. Ce recueil n’est pas un livre d’Histoire, il n’en a pas la prétention, même si les récits qui le composent s’inscrivent en relation ét roite avec des faits survenus dans ces années douloureuses. Les personnages y son t librement inventés. L’imagination est mise au service d’un essai de rec réation, – la moins infidèle possible –, de quelques scènes vécues par des perso nnes de ce temps-là. Dans la partie «Sources», à la fin du recueil, sont fournis les éléments qui ont servi de point de départ à l’invention de ces texte s. Le chapitre intitulé «Demoiselle de banlieue et petit enfant des champs» est d’un autre ordre. Il donne la parole à deux personnes qui ont connu cett e période. Mlle Jacqueline Barbe était une jeune fille de quinze ans, vivant à Argenteuil en mai1940. Cinquante ans plus tard, pour ses petites-filles, e lle a enregistré avec un magnétophone quelques-uns de ses souvenirs. Nous le s avons transposés par écrit. M.Pierre Apcher a vécu cette même époque dan s le canton de Saint-Cernin (Cantal). En 2005, il a rédigé un témoignage qui montre comment les troubles du temps pouvaient être perçus par un jeun e garçon habitant un univers rural. Cet ouvrage s’inspire donc de renseignements que témoins ou 1 historiens nous ont fournis. Notre dette envers eux est grand e.
1.Nous pensons aux publications de M. Germain Pouget, que nous remercions vivement de ses renseignements, et à l’énorme travail de recherche de M. Eugène Martres.
Le chocolat des temps amers
’ETAIT LA FIN d’une après-midi d’octobre 1944. Louis savourait u n moment C de répit, assis sur un banc, le dos appuyé à la faç ade de sa maison. Il souffrait de quelques rhumatismes, de douleurs aux épaules. Il avait passé sa journée dans un verger du domaine à cueillir des po mmes et à les disposer soigneusement dans des clayettes. Il avait entrepos é le tout dans une resserre à fruits, une pièce fraîche à demi enterrée à l’arriè re de la maison, tout imprégnée de l’arôme de sa cueillette. Au milieu du tourbillo n de ces temps difficiles, son âme de hamster était ainsi partiellement rassurée. À l’étage, sa femme Pauline préparait le dîner, rac lait la cendre du foyer de la cuisinière à bois. Musique familière du pique-feu s ur les grilles de fonte. Au-dessus de lui, la treille bourdonnait d’insectes: «asser les grappes. OnSaloperies de guêpes, va falloir se dépêcher de ram n’arrête pas en ce moment. Plus personne pour m’aid er; François, à c’te heure, disparu je ne sais où… Quelle misère!» Il avait basculé sa casquette vers l’arrière et s’é pongeait le crâne avec un grand mouchoir. Cet automne-là n’était décidément pas com me les autres; la lumière dorée qui annonce le déclin du jour, le parfum des fruits dont ses doigts gardaient la trace, cette récolte résumant l’œuvre conjointe de l’homme, de la pluie, du soleil, de la terre et de l’arbre, tout c e qui l’émouvait chaque année, était troublé par l’inquiétude due à la guerre. Cha cun en pressentait la fin proche mais l’espoir d’une vie paisible n’était pas pour t out de suite. Le village voisin était ravagé par des règlements de comptes. Le cada vre d’un «corbeau» qui avait dénoncé son voisin parce qu’il avait osé dépl oyer un drapeau tricolore à sa fenêtre le jour du 11anovembre 1943, avait été retrouvé dans un bois de l commune. Les langues du village n’en finissaient pa s de développer la litanie des sévices qu’il avait subis avant de mourir. Et d e ce voisin dénoncé, arrêté, déporté en Allemagne, nul encore ne connaissait l’h istoire. Tous attendaient le retour des prisonniers et des disparus. Louis savait que son jeune fils avait rejoint les r angs de la Résistance et depuis plusieurs mois, il n’avait plus de nouvelles. Les t roupes nazies avaient dû lâcher prise, les combats s’étaient éloignés de la Tourain e, pourquoi ne revenait-il pas? Que lui était-il arrivé? Pauline maigrissait à vue d’œil; ils n’osaient plus parler de François de peur d’ouvrir les bondes du chagrin: ce flux qu’on ne sait plus comment arrêter, s’il découvre dans votre cœur la m oindre faille. C’est alors que Louis a vu une silhouette au bout d e l’allée de tilleuls qui menait à la ferme. Celle d’un grand homme, coiffé d’un cha peau, portant une veste croisée, un pantalon foncé, strié de fines bandes b lanches, avançant d’un pas pressé. L’homme examinait le paysage autour de lui. Louis, tout de suite, a compris qui était ce promeneur tardif, ce visiteur distingué. Il aurait préféré voir reparaître son fils, mais, malgré tout, il n’a pas pu s’empêcher de murmurer: «Enfin!» * **
Quatre ans auparavant, au mois de juin1940, lors de la période de l’exode de sinistre mémoire, ce grand échalas lui était apparu pour la première fois au beau milieu d’une après-midi: «Excusez-moi, monsieur, j’ai besoin de votre aide; je me présente, je suis monsieur Beckers de Bruxelles. Notre pays est occup é comme le vôtre, je suis avec ma famille, je fuis l’avance des troupes allem andes. J’ai passé la Loire à Blois mais je n’ai plus d’essence. Ma voiture est e n rade après le bourg de Nouans-les-Fontaines, juste à côté du carrefour ave c la route qui mène à Écueillé. Auriez-vous quelques réserves de carburan t?» La voix était franche et directe, celle d’un homme ordinairement calme. Il avait marché sous le soleil, desserré son nœud de cravate , enlevé sa veste qu’il tenait accrochée à l’épaule. Son visage était rouge, dégou linant, sous le carton feutré du chapeau melon. Sous les aisselles, des auréoles de sueur maculaient sa chemise blanche. Il était essoufflé mais ne manifes tait aucun affolement. Louis s’était arrêté dans son travail, les deux mai ns appuyées sur le manche de sa houe; il s’affairait dans une de ses parcelles à buter des plants de pommes de terre. Que cet étranger vînt de Bruxelles, à en juger par son accent, il le croyait volontiers. Il lui avait répondu: «r les routes en ceMon pauvre monsieur, il passe tellement de monde su moment et il en a déjà tellement défilé qu’il n’y a plus aucune réserve d’essence dans le coin. C’est ce qui se dit au village. Moi-m ême, je ne possède pas de voitureun cheval, l’avoine ne; pour mes déplacements et mon travail, je n’ai qu’ lui fera pas défaut… La seule chose que je peux vou s proposer est de vous aider à placer votre véhicule en lieu sûr, chez moi.» L’homme avait fait quelques pas, examiné ses chauss ures noires d’un air méditatif puis il avait dit: «onsTout bien réfléchi, j’accepte votre idée. Nous n’av pas le choix. Vous me dites que vous n’avez pas de voiture, mais votre cheval peut sans doute nous remorquer, n’est-ce pas? Oui, oui, bien sûr. Attendez-moi là, monsieur Becke rs, je vais chercher Pompon à l’écurie et je suis de retour dans vingt m inutes.» Alors que Louis s’apprêtait à s’éloigner, le Belge lui avait dit: «Les troupes allemandes ne tarderont pas à atteindre votre commu ne. Vous n’avez pas peur? Vous ne voulez pas fuir comme nous, avec votre fami lle? Où voulez-vous que je fuie? Non, non, pour moi ce serait une mauvaise idée. Je ne suis pas un danger pour les Allemands, la mei lleure place que je connaisse, c’est encore ma petite ferme près des bo is. À tout à l’heure, avait répondu le Tourangeau, soyez tranquilles, je ne vai s pas m’évaporer en douce, je ne vous laisserai pas tomber.» * **
Louis avait harnaché son cheval, s’était muni d’une corde et clopin-clopant avait rejoint l’étranger dans l’embarras. Il avait eu de la chance dans son errance, le Bruxellois, de rencontrer le père Varvoux, un brave type, tout simple dans sa tenue de coutil bleu. L’intuition qui lui avait sou fflé d’accorder confiance à ce paysan était la bonne. Devisant sur les malheurs du monde, sur les fortune s bonnes ou mauvaises des
familles – Louis né avec le siècle avait tout juste échappé à la mobilisation lors du premier conflit mondial et son fils François, né en 23, n’avait pas non plus été enrôlé dans la soldatesque, comme si les mères avai ent eu la prescience des conflits et accouché pile au bon moment –, ils avai ent rejoint ensemble la voiture, une traction Citroën noire, équipée d’une galerie chargée de bagages. Elle était garée à l’ombre d’un platane; MmeBeckers, une jeune femme aux cheveux noués en chignon, assise sur une couverture à carreaux posée dans l’herbe, était occupée à manger un bocal de haricot s en conserve, avec du pain et de la sauce vinaigrette. Elle chantait une comptine flamande dont sa petite fille répétait les couplets d’une voix hésitante et appli quée à la fois. Elles mangeaient toutes les deux dans la même assiette, la mère donn ant de temps en temps la becquée à la brunette en robe blanche. Elles s’étai ent levées en voyant le cheval et les deux hommes s’approcher. M.Beckers avait déclaré à Louis: «Voici ma petite famille, ma chère Huguette et notre fille Lucie.» Le père Varvoux avait poliment soulevé sa casquette bleue dont l’étrave était sempiternellement maculée de terre; il avait tiré de sa musette un verre et une bouteille de vin blanc: «Avant le travail, une goutte de rafraîchissant, ça fera du bien à tout le monde. C’est pas du trafiqué, je le fais moi-même.» Ils avaient bu tous les quatre. La petite fille ava it eu droit à une larme de vin, allongée avec de l’eaugorgée; elle avait fait la grimace en goûtant la première mais elle avait quand même vidé le verre pour ne pa s décevoir l’homme au cheval qu’elle trouvait gentil et amusant avec son accent «rustique». «Bon, je ne vais point vous laisser moisir ici. Plus vite votre voiture aura disparu de ce bord de route, plus vite elle sera planquée, et mieux ce sera. Ne traînons pas!» Huguette avait pris le volant de la Citroën, la pet ite fille s’était installée à l’arrière comme une princesse de carrosse, la corde avait été attachée au harnais de Pompon et au pare-chocs chromé de la limousine. Après une heure de marche, où ils avaient encore de visé des malheurs du monde, de leur périple sur les routes de Belgique, puis sur celles de France, encombrées de fuyards, de cohortes affolées par les attaques aériennes, ils s’étaient engagés sur la route d’Écueillé. M.Beckers avait avoué à son sauveur qu’il était très en colère contre lui-même. Il se m ordait les doigts de s’être attardé une dizaine de jours dans un hôtel d’Enghien, après avoir dû fuir Bruxelles à la fin du mois de mai. Sur les routes qui les avaient enfin conduits jusqu’à la Loire, il n’avait cessé de répéter: «Huguette, plus couillons que nous, c’est pas possible!» Louis essayait de le consoler: «Personne n’est devin, monsieur Beckers. Vous ne pou viez pas savoir qu’une catastrophe se préparait. Tout de même! Je me donnerais des gifles! C’était une très très mauvaise idée, ce pèlerinage romantique. En 1929, avec mon é pouse, nous avions passé dans cet hôtel une délicieuse lune de miel. Nous no us imaginions à l’abri; jamais nous n’aurions pu croire que l’armée française céde rait aussi vite! Des amis belges qui n’ont pas traîné en route ont sûrement p u traverser la France sans trop de problèmes. Mais pour nous, macache! Quelle pagaille sur les routes
entre Paris et Blois! Si je comprends bien, mon pauvre monsieur, c’est un e histoire d’amour qui vous a fichu dans le pétrin, rigolait Louis. rLe patron de l’hôtel n’arrêtait pas de nous bassine : “Soyez tranquilles, la contre-attaque se prépare. Patientez un peu! Rappelez-vous les taxis de la Marne.” Eh oui, la Marne et ses! Moi aussi, j’y ai cru un moment. Mais aujourd’hui taxis, c’est vraiment de la vieille histoire.» Le petit cortège avait bifurqué dans l’allée de til leuls qui menait à la ferme. Pompon avait été libéré de sa charge; le lest de la voiture était loin d’être négligeable. Le hangar au toit à pente unique, cons titué de fines ardoises, était aménagé de l’autre côté de la cour, en face de la m aison de ferme; il abritait déjà une charrette, une charrue, de grandes échelle s de bois, un pailler et divers ustensiles agricoles. Seul un espace à droite était fermé aux regards. Louis avait tiré de sa veste une grosse clef toute noire, il av ait actionné la serrure d’une énorme porte faite en planches de bois goudronné, s olidarisées par trois longues pentures. Les Belges avaient alors découvert un cap harnaüm de planches, de scies et de marteaux, avec dans le fond un établi d e menuisier. Ce box n’avait pas de plafond, il était simplement protégé par le haut toit d’ardoises. «Voilà quel sera le domaine provisoire de votre voit ure. Restez au volant, madame; votre mari et moi, nous allons pousser la Citroën dans l’espace le long du mur. Nous sommes confus, nous allons vous gêner dans vos bricolages, avait dit MmeBeckers. Mais non, mais non. La gêne n’est pas bien grande. Regardez la largeur du hangar, il me restera de la place, on pourrait y lo ger deux voitures comme la vôtre. Allez, monsieur Beckers, encore un effort, a idez-moi à mettre votre traction à l’abri.» Ainsi avait été fait. «tes, s’il vous plaît, leAvant que vous ne refermiez, accordez-nous dix minu temps que nous puissions trier le strict nécessaire à emporter, avait déclaré M. Beckers. Prenez votre temps. À présent, soyez sans crainte, votre bien est à l’abri. Vous refermerez la porte et vous viendrez me rejoin dre à la ferme, nous logeons à l’étage. Je vais m’occuper de Pompon, et je prévi endrai ma femme qu’elle nous prépare une bonne omelette avec de la salade. Et, pour cette nuit, pas de souci, vous êtes nos hôtes.» Une demi-heure plus tard, la famille Beckers gravis sait les marches donnant accès au balcon du premier étage, cognait au pannea u de la porte laissée ouverte, faisait connaissance avec Pauline et son d omaine. «Excusez-nous du dérangement que nous vous donnons, avait dit Huguette. ous agiriez tout commeSi nous étions dans le malheur comme vous l’êtes, v nous, n’est-ce pas? avait dit Pauline. Notre devoir est de vous aider. Venez avec nous et posez donc tout ça.» La petite Lucie tenait précieusement une mallette e t une poupée. Les Beckers avaient restreint leurs bagages à une valise à main chacun, mais ils portaient aussi une étrange caisse. Ils se délestèrent et vin rent s’asseoir; Pauline avait réservé à l’enfant une chaise haute garnie d’un cou ssin, placée en bout de table.
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