190
pages
Français
Ebooks
2011
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Publié par
Date de parution
30 août 2011
Nombre de lectures
124
EAN13
9782820604637
Langue
Français
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Date de parution
30 août 2011
Nombre de lectures
124
EAN13
9782820604637
Langue
Français
Le Jardinier de la Pompadour
Eug ne Demolder
Collection « Les classiques YouScribe »
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ISBN 978-2-8206-0463-7
À EDMOND HARAUCOURT
I
Avec l’alouette la maison de Jasmin Buguet s’éveilla dans le matin de septembre.
Elle ouvrit ses volets, lâcha les pigeons, pendit trois cages à ses murs escaladés par les vignes.
À travers la brume les petits carreaux des fenêtres rirent sous le toit en tuiles rousses ; la lucarne qui donnait sur le village s’enflamma au reflet de l’aurore.
Cette humble demeure s’érigeait à Boissise-la-Bertrand, un village juché au bord de la Seine, à une lieue en aval de Melun, au long de la rive droite. Elle se présentait la première, quand on arrivait par le chemin de Saint-Port ; elle regardait le cours d’eau, très large vers cet endroit, et haute d’un seul étage s’adossait à la pente du coteau sur lequel s’étendait le jardin.
Le plus beau des jardins ! Les Buguet étaient fleuristes de père en fils. Leurs plates-bandes rivalisaient d’éclat avec celles du petit château voisin, badigeonné de jaune et qui appartenait aux marquis d’Orangis. Jasmin avait la coquetterie de sa flore. Dès le printemps il exposait sous la treille, appuyés à la façade du logis, des petits « théâtres de fleurs » : assemblages de plantes qui s’élevaient sur des gradins les unes derrière les autres, en sorte que l’œil et la main se pouvaient porter partout sans obstacle. Il y mettait des oreilles d’ours, des renoncules d’or, des anémones ; elles alternaient avec les tulipes jaspées qui éclairaient de leur flamme cette parade printanière. Un marronnier d’Inde abritait l’étal qu’eût dévoré le soleil. En été Jasmin disposait sur les gradins les œillets rouges, les glaïeuls et la campanule-carillon. L’automne y faisait épanouir les géraniums, les tricolors, les chrysanthèmes.
Or ce jour de septembre le jardinier se leva avec le soleil. La veille, avant de retourner au château, Martine Bécot, la chambrière de M me d’Étioles, lui avait dit en ouvrant des yeux cajoleurs :
– Je suis en peine, Jasmin ! Il me faut demain des fleurs roses pour orner le phaëton de ma maîtresse. Je ne sais où les trouver !
Buguet s’était planté un œillet au coin de la bouche et avait répondu, fanfaron :
– Je te donnerai toutes les fleurs de mon jardin, si tu viens prendre celle-ci avec tes dents !
Martine avait obéi. C’est pourquoi dès l’aurore Jasmin coupait les fleurs de six grands lauriers roses qui dans leurs caisses peintes en vert clair s’alignaient devant sa maison.
Ah ! C’est bien pour l’amour de Martine qu’il abattit d’un coup ces rameaux qui balançaient au vent leurs calices parfumés ! Il les sacrifia tous : la maisonnette fit grise mine, sa parure enlevée, et ce fut avec mélancolie que Jasmin couvrit la grande corbeille où il avait couché les jolis nériums, après avoir eu soin d’envelopper chaque branche de mousse humide.
À six heures une charrette s’arrêta devant la porte ; c’était Rémy Gosset, le parrain à Martine. Il venait prendre les fleurs : « Ça ne le gênait guère, car il allait à Corbeil porter son beurre, son fromage et ses œufs. »
Jasmin veilla à ce que le précieux envoi ne fût pas déposé sur les caisses à fromages : il l’installa lui-même au-dessus des paniers d’œufs et fit promettre au bonhomme de se rendre d’abord au château d’Étioles.
– J’y serai sur le coup de neuf heures, affirma Gosset.
Il fit serment de remettre la corbeille à Martine elle-même, afin que personne ne laissât traîner au soleil la délicate marchandise.
D’un coup de fouet il enleva son bidet : la bâche verte de la charrette tourna dans la ruelle et disparut.
Jasmin resta sur la route et suivit des yeux le courant de la Seine : des bateaux de Bourgogne descendaient vers Paris des tonnes cerclées de neuf et avançaient lentement dans le brouillard du matin.
Comme le jardinier les regardait, une fenêtre de la maison s’ouvrit et une vieille femme en bonnet de nuit apparut :
– Jasmin ! Jasmin ! Arrive donc ! cria-t-elle.
– Voilà ! voilà ! mère !
Quand il rentra, la vieille était descendue. Elle apostropha gaiement son fils :
– Eh bien, mon gars ! T’as la puce à l’oreille ? C’est-y pour voir couler la Seine que tu t’es levé si tôt ? À ton aise, après tout ! Les cuisse-madame et les mouille-bouche sont cueillies. Les calvilles peuvent attendre. Déjeune !
Elle poussa sur la table une miche, du lard et un cruchon. Jasmin sortit un couteau de sa poche, se servit, mangea, but à même la cruche.
– L’aurore creuse l’estomac, dit-il.
La mère allumait une flambée de sarments sous le trépied, au milieu de la grande cheminée. Le fagot fuma : la vieille n’en fut point gênée ; elle se versa du lait dans une écuelle en terre, qu’elle mit sur les flammes ; puis elle tailla quelques tranches de pain bis : quand l’ébullition commença, elle les jeta dans le lait, sala, poivra et laissa mijoter.
Ces préparatifs firent tousser Jasmin.
– Je vais prendre l’air, dit-il.
– C’est la fumée qui te chasse, fieu ! Va sentir d’où le vent vient ! Tu me le diras !
Jasmin sortit. À ce moment le ciel devint plus transparent. Sur l’eau flottaient des brumes : avides de lumière autant qu’amoureuses de l’onde, elles tiraient vers le ciel et trempaient leurs gazes dans le fleuve endormi.
Soudain la brise réveilla tout à fait la Seine ; dans un frémissement, sous le soleil pâle en sa rondeur d’hostie, l’eau se pailleta d’argent. Ébloui, Jasmin regarda les spirales opalines que le vent poussait contre les buissons.
Il adorait la rosée ; il aimait à surprendre ses diamants près d’une cétoine verte, au cœur des « cuisses de Nymphe ». Ce matin elle le fit songer aux mois déjà passés. Vraiment cette année le printemps avait opéré le miracle des roses. La Fête-Dieu en était restée inoubliable : les rues avaient été jonchées de pétales, les reposoirs enguirlandés de branches fleuries et la petite église avait ressemblé à un temple de l’Amour.
Aujourd’hui on payait cette débauche. Jasmin jeta un regard à ses rosiers épuisés par un trop fougueux renouveau : l’été était mort et ils ne portaient pas de fleurs « remontantes ». À l’idée de cette privation Buguet regretta presque le cadeau fait à Martine ; bien qu’il aimât fort la soubrette, il la maudit un brin et sentit que peut-être au fond de son âme il préférait à sa blonde joliesse la chair multicolore des bouquets.
Doucement, avec un soupir, il gravit à droite de la maison un petit escalier de pierres qui conduisait à une terrasse où s’alignaient les fuschias, les basilics odorants, les orangers de savetier. Au long de plates-bandes bordées de thym, les œillets d’Inde répandaient leur âpre parfum. Au fond de la terrasse, le premier rayon aviva les roses trémières comme s’il les eût peintes avec un pinceau d’or.
Jasmin sortit un arrosoir, en plongea le ventre dans un tonneau enfoncé au coin d’un parterre. Il distribua l’eau à des flox préparés pour la Saint-Auguste, tombant ce jour-là.
– Mère, cria-t-il en promenant sur les plantes les jets fins d’un juste arrosage, les flox blancs sont à vendre ! Trois sols !
– C’est pas donné, mon garçon !
Jasmin devait aller chez l’oncle Gillot pour savoir quand on commençait les vendanges.
– Bonne idée, mon fieu ! dit la Buguet. Embrasse bien mon frère pour moi. Hé ! Porte-lui notre dernier melon.
Buguet rentra, mit sa culotte noire à boucles d’argent, une chemise de toile bise avec un col rabattu, un gilet de pékin à pochettes et son habit brun en droguet : puis, ayant noué ses cheveux par derrière en catogan, il posa sur son front le tricorne des dimanches.
Il partit, emportant sur l’épaule, au bout d’un bâton, le gros fruit jaune que la mère avait mis dans un panier fermé « pour attraper les curieux ».
Et il suivit le bord de la Seine, heureux de la belle journée.
Passant à Saint-Assises, Jasmin aperçut dans le parc d’une gentilhommière le vieux jardinier qui ratissait l’allée.
– Bonjour, monsieur Leturcq !
– Ah ! Jasmin ! Entre donc !