Sainte-Souleur : Récits du presque pays , livre ebook

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Avec sa plume exceptionnelle qui se fait ici caméléon, François Racine raconte le Québec à travers ses mythes, ses contes et ses légendes, mais aussi sa littérature, ses peurs et ses obsessions dans ce fabuleux recueil qui célèbre avec verve et truculence la richesse de notre histoire.
Les années passèrent, et l’Auberge du Puits devint le lieu des grands rassemblements et de toutes les veillées festives de la paroisse ; les Vallierois, et souvent aussi des agriculteurs des régions voisines, s’y rassemblaient pour célébrer le Nouvel An, le Mardi gras, la Saint-Jean, la Saint-Michel, la Toussaint, la Sainte-Catherine et toutes autres bonnes occasions de boire un coup de jamaïque ou de vin du pays. Ces célébrations se déroulaient le plus souvent sous l’oeil vigilant du curé Leclair, qui aimait bien se mêler à ses ouailles et qui, connaissant le penchant de ses compatriotes pour la boisson, tenait à assurer, par sa présence discrète mais toujours remarquée, un minimum de retenue chrétienne dans leurs festivités. Il n’avait presque jamais à réprimander les paroissiens lors des veillées ; son regard bleu perçant posé sur eux suffisait la plupart du temps à les garder du côté de la vertu.
Il y avait cependant une femme jeune et belle, mariée et mère de trois enfants, dont le comportement commençait à tracasser le curé Leclair. Ce n’était pas uniquement lui qu’elle perturbait, mais tous les paroissiens qui la voyaient à l’oeuvre, hommes et femmes confondus, pour des motifs très différents. Marie-Josephte Corriveau, avec son flamboyant chemisier rouge, aimait danser, mais pas son mari, Charles Bouchard. Elle ne se privait pas pour autant, bien au contraire, elle enfilait les gobes de jamaïque et sautillait sur le plancher de danse, ses longs cheveux noirs bouclés tourbillonnant comme une tempête. Elle attirait sur elle les regards pétillants de désir et d’amusement des hommes et ceux de prude jalousie réprobatrice des femmes, qui voyaient là un comportement absolument inadmissible pour une femme mariée, au diapason du curé comme de l’époux, qui rongeait son frein en grognant et en buvant pour oublier.
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Publié par

Date de parution

29 août 2018

Nombre de lectures

1

EAN13

9782764436066

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

2 Mo

Du même auteur
Turbide , Québec Amérique, coll. Littérature d’Amérique, 2016.
Tabagie , Québec Amérique, coll. Littérature d’Amérique, 2015.
Truculence , Québec Amérique, coll. Littérature d’Amérique, 2014.


Projet dirigé par Marie-Noëlle Gagnon, éditrice

Conception graphique : Nathalie Caron
Mise en pages : Pige communication
Révision linguistique : Sylvie Martin et Sabrina Raymond
Illustration en couverture : Sylvain Sauvé
Conversion en ePub : Marylène Plante-Germain

Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.



Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Racine, François, auteur
Sainte-Souleur / François Racine.
(Littérature d’Amérique)
ISBN 978-2-7644-3604-2 (Version imprimée)
ISBN 978-2-7644-3605-9 (PDF)
ISBN 978-2-7644-3606-6 (ePub)
I. Titre. II. Collection : Collection Littérature d’Amérique.
PS8635.A334S24 2018 C843’.6 C2018-940287-3 PS9635.A334S24 2018

Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2018
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2018

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2018.
quebec-amerique.com



4 – Cœurs rivaux
Je me rappelle plusieurs veillées en famille, du temps de mon enfance, où j’avais entendu les adultes évoquer, du bout des lèvres, avec une réticence que je m’explique aujourd’hui, l’histoire des frères Dupuis, arrière-grands-oncles autour desquels planait une ombre lugubre. Jamais on n’osait parler d’eux en présence des enfants ; c’était une histoire qui appartenait au monde adulte. En prêtant de loin l’oreille à ces mots obscurs, j’avais l’impression de devenir un homme avant mon heure, blotti sous les draps, tournant le dos à mon frère Joseph, qui dormait calmement dans la pénombre de la chambre. Je n’apprenais toutefois jamais grand-chose, lors de ces veillées tardives, puisque certains adultes eux-mêmes se refusaient à aborder un sujet aussi peu chrétien. La tentation d’en savoir plus étant devenue pour moi irrésistible, je me mis à interroger la parenté pour tenter de découvrir le mystère tapi sous le nom Dupuis, perdu pour nous depuis que mon arrière-grand-mère Catherine avait épousé un Girard. On m’opposa chaque fois la même fin de non-recevoir, on me répondait de me mêler de mes affaires, que j’étais trop jeune pour ces histoires, que toutes les familles avaient des squelettes dans leurs placards et qu’il ne fallait pas les réveiller. Je finis donc par abdiquer, à bout de ressources et d’efforts, et l’énigme resta intacte encore quelques dizaines d’années.


Au temps de mon enfance, deux histoires m’obsédaient : celle des arrière-grands-oncles Dupuis et celle de la Corriveau. J’étais alors bien loin de me douter qu’elles étaient liées. En 1850, alors que j’avais cinq ans, la cage de la Corriveau fut exhumée du cimetière attenant à l’église de Saint-Joseph-de-la-Pointe-Lévy, et avec elle toute sa légende. L’événement fit beaucoup jaser dans notre belle paroisse de Saint-Vallier. Les adultes avaient grand mal à se retenir d’en parler, même devant les enfants, tant ce ressac du passé les troublait et les passionnait tout à la fois. C’est par mon oncle Ignace, vieux malcommode noceur – Dieu ait son âme ! –, que la sorcière a fait son nid dans ma tête pour n’en plus jamais ressortir.
Un soir de printemps où l’air du fleuve était particulièrement grisant et où mes frères et moi étions plus agités que de coutume, l’oncle Ignace prit sur lui de nous amener au sommeil en nous racontant une histoire de peur, fantastique mais véritable, du moins selon ses dires. Nos parents semblaient douter que l’idée soit bonne, mais, résignés devant notre désobéissance fébrile et notre désir tapageur d’entendre ledit conte, ils consentirent à laisser l’oncle Ignace, qui avait quelques verres dans le nez comme d’habitude à la brunante, nous border tous les quatre. C’est alors qu’il nous conta, de sa voix rocailleuse, à l’ombre de la chandelle, l’histoire authentique de cette femme surnommée la Corriveau, qui avait assassiné de sang-froid ses sept maris de manières toutes plus effroyables les unes que les autres. On l’avait pendue sur les plaines d’Abraham, ensuite de quoi on avait forgé une cage en fer autour de sa carcasse, avant de l’accrocher au-dessus du chemin de la Pointe-Lévy en guise de menace pour celles qui pourraient être tentées de l’imiter. La dépouille était demeurée suspendue quarante jours, période pendant laquelle plus personne ne se risquait à passer par là, craignant de devoir y laisser son âme. Les nuits que la Corriveau n’écoulait pas à flirter avec ses amis loups-garous ou à faire le sabbat sur l’île des Sorciers avec une foule épouvantable de nabots, elle se traînait dans son cercueil de fer jusqu’au cimetière pour se nourrir à même les cadavres des mauvais chrétiens fraîchement inhumés. Parfois, le soir, elle venait aussi refermer ses serres squelettiques autour du cou des enfants qui n’écoutaient pas leurs parents. Cette dernière partie du récit, bien entendu, nous glaça le sang à tous les quatre, mes frères et moi. Nous n’osions plus bouger. L’oncle Ignace, fier de son effet, prit une pause de quelques secondes, puis termina par cette horrible mise en garde : « La cage de la Corriveau, elle a été déterrée y a pas longtemps, vous savez. Pas sûr que ça soit de ben bon augure. Y en a pour dire que ça l’a bâdrée sur un sacré temps, qu’on lui détourbe de même sa sépulture. Pis pour dire qu’elle court ben plus vite astheure, sans cage. Bonne nuit, là, les enfants. » Nul besoin de mentionner qu’aucun de nous n’a pu fermer l’œil de la nuit, pas plus d’ailleurs que les suivantes. Nous nous mîmes à respecter l’autorité parentale avec un zèle qui tenait du prodige. Après quelques semaines de frayeurs que nous prenions nous-mêmes plaisir à entretenir, le soir venu, dans la chambre, nous imaginant toutes sortes de variantes et de fins possibles à la légende, mon frère cadet, Joseph, qui, par orgueil, taisait son épouvante, finit par demander au père si la Corriveau venait vraiment étrangler les petits enfants dans leur sommeil. Le père et l’oncle Ignace eurent le jour même une discussion fort animée.


C’est plus de trente années plus tard que le fil des histoires de mes arrière-grands-oncles et de la Corriveau s’est renoué d’une étonnante façon. J’écrivais à cette époque pour le journal La Patrie . J’avais lu Les Anciens Canadiens du regretté Philippe Aubert de Gaspé, où la sorcière s’incarna pour la première fois dans la littérature écrite, et plus récemment, un texte du confrère Louis Fréchette portant sur le même sujet, pour lequel je l’avais d’ailleurs félicité personnellement. Je travaillais alors sur un article visant à défendre la réédition en recueil des textes d’Arthur Buies parus dans La Lanterne contre ses détracteurs obscurantistes et m’étais rendu au bureau de poste de Lévis dans l’espoir d’y récupérer une réponse d’Arthur à propos de mes recherches. J’allais pouvoir ainsi terminer l’article, attendu par Honoré Beaugrand pour la semaine suivante. Le maître de poste eut beau fouiller de fond en comble dans sa pile, il ne trouva pas la lettre attendue. Il avait cependant autre chose pour moi : une enveloppe cachetée marquée de l’écriture élégante de ma tante Marguerite. C’était el

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