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Georges Campeau, courtier en Bourse, reçoit depuis peu des lettres d’intimidations.
Pensant d’abord à une stupide plaisanterie, à la troisième missive, il se décide à faire appel à la police.
L’inspecteur GASPIN, chargé de l’enquête, écoute avec attention le plaignant, considérant la menace avec sérieux.
Monsieur Campeau devant se déplacer pour un voyage d’affaires, il est convenu de prendre des dispositions afin de prévenir un traquenard, la voiture du coulissier sera suivie par un agent en moto.
Mais quand l’automobile dévie brutalement de l’itinéraire et s’arrête à un garage, le policier n’a que le temps de voir s’enfuir le chauffeur : le véhicule est vide, le passager a mystérieusement disparu...
Inspecteur GASPIN
EXÉCUTION SANS BAVURE
Roman policier
par Claude ASCAIN
CHAPITRE PREMIER
LETTRES ANONYMES
— Bonjour, M'sieur Campeau... Le courrier est en retard, ce matin.
— Ah ? Bon... C'est peut-être moi qui suis en avance ?
La concierge se mit à rire. C'était une heureuse nature, elle avait la gaieté facile.
— Oh ! non... Vous, M'sieur Campeau, vous avez, comme on dit, une pendule dans le ventre. J'peux régler la mienne, rien qu'à votre arrivée, le matin... Je donnerai les lettres à M me Arlette... Ou à M'sieur Leroux ?
— Mais oui... Mais oui...
Elle avait balai et seau en mains, elle s'apprêta à laver le hall.
Georges Campeau négligea l'ascenseur, monta lestement les deux étages. De l'exercice – surtout monter des marches, ce qui est excellent pour les abdominaux – rien de tel pour garder la ligne.
Il mettait sa fierté dans la silhouette mince qui, à la cinquantaine, lui donnait vingt ans de moins.
La sténodactylo – M me Arlette – et l'employé – Martin Leroux – arriveraient à neuf heures, comme d'habitude.
Campeau s'occupait de transactions en Bourse. Il travaillait pour son compte aussi bien que pour quelques clients attitrés. Il connaissait son affaire, il possédait une bonne petite réputation.
Il alluma une cigarette, jeta des chiffres sur une feuille de papier, releva la tête. Le cliquetis métallique de la porte de l'ascenseur révéla un arrêt à l'étage.
On entra dans l'antichambre, on frappa chez lui.
— Entrez !...
Il avait déjà reconnu le pas de M me Arlette. Elle déposa le courrier. Dans le couloir, il y eut un autre pas, celui de Leroux arrivé en même temps qu'elle.
M me Arlette ressortit, emportant avec elle son parfum et sa pimpante séduction.
Leroux, dans le bureau commun, était déjà installé à sa table et prenait des dossiers dans son tiroir. Elle s'assit à son tour, décoiffa sa machine à écrire.
Cinq minutes s'écoulèrent. Elle savait que Leroux la regardait à la dérobée, mais fit semblant de n'en rien voir. Elle prit une petite glace – en attendant que le patron l'appelât, pour dicter – et commença de se lisser cils et sourcils.
Leroux continuait de l'observer. Il avait des yeux glauques, un visage ingrat, avec une verrue sur la joue droite. Il savait qu'il n'était pas beau – et bien sûr, il en souffrait.
Il étouffa un soupir, se pencha sur sa besogne.
Elle releva la tête.
— Vous dites, Arlette ?
— Je dis qu'il y avait encore une de ces enveloppes dans le courrier de ce matin.
Il papillota des yeux.
— Quelles enveloppes ?
Elle referma son sac à main, d'un claquement sec.
— Il y avait une enveloppe grise.
— Oui... Et alors ?
— Ah ! ce que vous êtes crispant, quand vous vous y mettez ! Vous ne savez pas que le patron reçoit des lettres en ce moment, qui...
— Ah ! oui... Vous m'en aviez parlé la dernière fois.
— Ah ! tout de même... Eh bien, cela ne vous semble pas drôle ?
Leroux déposa son stylo à bille.
— Une enveloppe non timbrée ?... Drôle ?... Un prospectus, probablement. Pas de quoi fouetter un chat. Ce que ça peut être futile une femme quand ça s'y met.
— Non, mais dites donc, Leroux, vous êtes plutôt mufle...
Il battit des cils, et l'air piteux :
— Excusez-moi... Je... j'ai dépassé ma pensée...
— Avez-vous remarqué la tête du patron ces jours derniers ?
Leroux secoua la sienne avec abondance.
— Non... Qu'est-ce qu'il avait, M. Campeau ?
— Les hommes sont peut-être moins futiles que nous, môssieu Leroux, mais vous repasserez pour l'esprit d'observation. Il avait l'air extrêmement contrarié... Et ce matin encore plus...
— Ce matin, je ne l'ai pas vu encore...
Ils se turent brusquement.
La porte de communication venait de s'ouvrir, M. Campeau entra. Il avait les traits crispés – M me Arlette n'avait pas exagéré.
— Je sors, dit-il brièvement.
— Et... le courrier ? demanda la sténodactylo.
Il tendit quelques lettres.
— Vous pouvez répondre directement. Pas besoin de dictée, vous êtes au courant.
— Et si on téléphone ?
— Je serai de retour en fin de matinée.
On l'entendit claquer la porte du palier. M me Arlette avait déjà regardé, parmi les papiers remis, s'il y avait quelque chose révélant le contenu de l'enveloppe grise. Non. Rien.
— Je vous fais toutes mes excuses, dit humblement Leroux, je constate que vous avez une psychologie supérieure à la mienne.
Elle eut un petit rire perlé.
— Monsieur Leroux, fit-elle, en singeant le ton pénétré de l'autre, vous employez de bien grands mots pour peu de chose.
Il frétilla, elle lui avait adressé une œillade. Par moments, il se demandait si elle n'avait pas pénétré son secret. Il était naïf comme tous les hommes qui, à son âge, la quarantaine, n'ont pas eu de vraies amours...
Il ne savait pas que la jeune femme lisait en lui à livre ouvert, il faillit s'écrouler d'émotion quand elle demanda, d'un ton très simple, très naturel :
— Qu'est-ce que vous faites demain samedi, Leroux ?
— Moi ?... Je... je... Pourquoi ?
— Parce que si vous savez canoter, j'accepterai une invitation... En copains, bien entendu.
Il bafouilla de plus en plus.
— Canoter ?... Nom... Oui... C'est-à-dire...
Décidément, c'eût été dangereux de prétendre qu'il savait manier les rames. Parce qu'il ne savait pas nager non plus. Mais si Arlette voulait lui faire confiance, il apprendrait et...
— En attendant... Si... si vous voulez qu'on sorte tout de même ensemble ?... Une excursion en car, par exemple ?
C'était inouï – et c'était naturel, se dit-il. Elle avait accepté. Il ne chercha pas plus loin. Et il fit aussi bien, car cela lui épargnerait une migraine.
Il est très difficile de sonder le cœur d'une femme.
* * *
En quittant son bureau, Campeau s'était rendu tout d'abord au commissariat de son quartier, puis après quelques minutes de conversation avec l'officier de police, il sauta dans un taxi.
Il se rendait à la Police Judiciaire.
L'inspecteur Gaspin, chargé de le recevoir, écouta, le visage froid, mais sans rien perdre de la moindre attitude du visiteur, qui, à chaque instant, tiraillait sa barbiche poivre et sel.
— Voici, Inspecteur... J'ai commencé à recevoir des lettres anonymes, sans rime ni raison... Si vous voulez prendre connaissance...
Le policier déplia la feuille, lut silencieusement.
C'était tapé à la machine.
« ... Vous n'avez accordé aucune attention à mes lettres précédentes. Ne croyez pas à une plaisanterie. Si vous tenez à la vie, j'exige que vous obéissiez point par point, à mes instructions, sans les discuter. À bon entendeur salut. »
Gaspin dévisagea Campeau.
— Bizarre, murmura-t-il. Bizarre...
Il tapota du bout des doigts, sur le bureau, après avoir placé la lettre sous un presse-papier.
— C'est la troisième, dites-vous ?
— Oui, Inspecteur... Elle était là, ce matin, parmi les autres lettres de mon courrier. Exactement le même procédé que pour les précédentes.
— Et cela remonte à ?...
— La première, il y a dix jours.
Gaspin s'absorba un bref instant. Le visiteur attendait, le regard obstinément fixé sur le représentant de la police.
— Et vous n'avez aucune idée, Monsieur Campeau ?
— Aucune, Inspecteur.
— Vous ne vous connaissez pas d'ennemis ?...
Campeau fit un geste vague, il avait les traits tendus et s'efforçait de conserver un air calme. On devinait qu'il ne voulait pas avoir peur – mais tout de même, il était secrètement troublé.
— Des ennemis, murmura-t-il, tout le monde en a...
— Alors, cherchez parmi ceux qui...
— Je n'en ai pas, Inspecteur, qui soient capables – du moins parmi ceux qui ne m'aiment pas – de me menacer de mort. Je vous ai dit qu'au début, j'avais cru à une blague... Une blague idiote, mais quoi, on ne peut demander à tout le monde d'avoir de l'esprit.
En effet, Campeau avait expliqué qu'il s'était empressé de déchirer les deux premières lettres.
— Ce n'est qu'au reçu de la présente, que je me suis demandé s'il ne valait pas mieux alerter la police, en fin de compte.
— Vous auriez dû le faire dès la première lettre...
— Bien sûr