284
pages
Français
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2019
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Publié par
Date de parution
08 mai 2019
Nombre de lectures
1
EAN13
9782897752330
Langue
Français
Publié par
Date de parution
08 mai 2019
Nombre de lectures
1
EAN13
9782897752330
Langue
Français
PUZZLE
Jocelyne Langlois
Édition corrigée
Je me souviens bien du jour où cette histoire a commencé. Si j'avais su, alors... Mon amie Geneviève écrit à ma place, vu que je ne puis le faire. Je sais qu’elle transcrira fidèlement, sans porter de jugement de valeur ni altérer quoi que ce soit, ce que je lui dicterai. Les événements ayant changé à jamais le cours de ma vie et celui de mon entourage ont pu être reconstitués grâce aux mémoires akashiques qui, depuis la nuit des temps, contiennent chaque action, chaque mot et chaque pensée. Elles constituent en quelque sorte l’ADN de l’univers.
Jacinthe
Je sommeille lentement
Au creux d'un puits profond
Et je songe tristement
Aux jours heureux jadis si doux
Je rêve à toi, ô bel amour
Et je m'emporte longuement
Au ciel d'un irréel
Que je voudrais présent
I
L’HABIT NE FAIT PAS LE MOINE
Mercredi 15 août 1979. Métro-boulot-dodo. Pas pour elle! Jamais dans cent ans! Pas pour celle ayant lutté toute sa vie contre le conformisme! Tant bien que mal. Elle vient pourtant de rendre les armes, emmitouflée dans sa doudou devant la télé, à regarder la seule série qu’elle se permet, une fois par semaine. Sa récompense pour avoir été sage. Elle ne se couchera pas trop tard pour être en forme demain. Adieu liberté...
Ainsi, Jacinthe se conforme sans rechigner à ses horaires. Après avoir déniché son premier emploi, trop fatiguée par ses années d’études et de sacrifices, l’adrénaline redescendue à son plus bas niveau, elle n’avait eu d’autre choix que d’abdiquer et de se laisser glisser dans le piège du 9 à 5. Métro-boulot-dodo. Il faut dire que le détenteur de la clé de sa cage dorée s’appelle Jérôme, son collègue et amoureux.
Jacinthe s’est débarrassée de sa routine du soir pour justifier la récompense qu’elle s’accorde après autant de tâches ennuyantes. Grâce à une discipline implacable, elle avait atteint ses objectifs à long terme. Loin derrière elle : la culpabilité associée à la procrastination! Sport national, semble-t-il, de Québécois présumés champions mondiaux en la matière. Facile à comprendre, avec les impacts de quatre saisons à gérer. Un couteau à deux tranchants que ces saisons incontrôlables, arrivant et partant au gré de leurs caprices, sans égard aux diktats du calendrier!
Avec l’hiver qui n’en finit plus, certains Québécois s’enferment à la maison de crainte de mourir congelés dans un froid subarctique ou de se faire ensevelir sous des tonnes de neige. Un hiver fatigant comme un chum qui vous colle après parce qu’il vous aime davantage que vous, à tout jamais.
L’absence de son amoureux se fait sentir. Elle le considère comme une chaude brise d’été qu’on veut garder pour soi le plus longtemps possible.
Le climat québécois, défini comme tempéré de catégorie continentale, s’avère pourtant l’un des plus traîtres de la planète avec ses écarts extrêmes de température où parfois dans la même journée, l’on peut vivre les quatre saisons. L’hiver : comme un mari cyclothymique aux fréquentes sautes d’humeur élimant vos réserves de patience et de tolérance.
Vu que le Québécois moyen subit la température, il lui arrive en hiver de devoir annuler des sorties en raison des alertes de mauvaises conditions routières. En été, pour jardiner et s’occuper du terrain, il s’attend à ce que le soleil daigne paraître, mais lorsque le miracle se produit, il a tendance à sortir pour profiter de ce beau temps si rare!
On dirait que l’étudiant moyen, tel un funambule, aime vivre sur la corde raide : souvent, il attend à la dernière minute pour rédiger ses travaux, puisant à même une source d’énergie semble-t-il inépuisable. Aurait-t-il peur de perdre son temps en agissant autrement? Plusieurs se complaisent dans cette poussée d’adrénaline sans drogue.
Jacinthe, quant à elle, n’avait jamais attendu à la dernière minute pour effectuer ses travaux. Tout devait se faire dans un ordre précis et chronologique, une bonne façon d’éviter un stress épuisant.
Elle poursuit ses réflexions. Qu’on le veuille ou non, au Québec, on finit par s’adapter au climat. Un must comme sujet de conversation. Presque un deuxième sport national, après la procrastination. On ne peut passer une journée sans parler de température. Tradition oblige.
Toute bonne conversation débute par : Bonjour, comment ça va? Après la réponse, il s’ensuit une longue litanie. Il fait (trop chaud), (trop froid), (trop humide). J’ai mal aux os, j’ai hâte qu’il fasse soleil… J’ai hâte que l’hiver arrive! Pas drôle, avec la fonte des neiges, les embâcles sur les rivières… Pas drôle, toute la pluie avec ça, les maisons inondées… Pas drôle, mon terrain détrempé m’empêche de commencer mon jardin… La canicule : plus capable! Pelleter de la neige : plus capable! Ah! Que c’est beau les couleurs de l’automne! Je déteste les mannes à la Saint-Jean-Baptiste : ça beurre mes vitres de char. Ça conduit mal sur des rues pleines de feuilles mortes mouillées. Ah! le pollen sur mes vitres! Ah! les bourdons écrasés sur mon pare-brise! Les maringouins, ça vit où, coudonc , pour qu’il y en ait autant? Heureusement que je vis à Montréal, il y a moins de bibittes. Ah! les rues crevassées… Avec des hivers moins durs, on aurait peut-être des routes qui ont de l’allure!
En réalité, nos écarts de température dérangent tellement que même l’asphalte se contracte sous la peur et nous laisse des nids de poule en échange. S’il parlait, l’asphalte, il se plaindrait autant que nous!
Le climat crée aussi des liens d’amitié improbables aux arrêts d’autobus : Il fait beau, hein? Ça fait du bien.
Les Québécois, dignes survivants des premiers colons venus s’établir dans cette jeune contrée, ont hérité de leurs courtes lignées d’ancêtres d’une extraordinaire capacité d’adaptation et d’invention provenant de leur résignation face aux intempéries, profitant de leur sédentarité pour développer une patience infinie, tout comme les Suisses. À la place des premiers colons, se dit Jacinthe, je me serais sans doute évadée de la Nouvelle-France par le premier bateau en partance vers une île du Sud.
Grâce aux conseils reçus des Amérindiens au début de la colonisation, le Québécois a appris à s’adapter aux pires conditions, dont l’impossibilité de chasser et de pêcher à certaines périodes de l’année. Il fallait faire preuve de débrouillardise et même ouvrir des chemins!
Cette créativité s’est perpétuée avec des innovations comme celles du métro de Montréal (wagons sur pneumatiques et réseau entièrement souterrain, donc à l’abri des intempéries). Si Montréal a pu servir d’hôte à l’Expo 67, c’est qu’on a créé de toutes pièces une île artificielle (Notre-Dame) à même la terre déplacée pour creuser le métro! Un site toujours d’intérêt mondial. Il y a eu ces merveilles hydroélectriques : les barrages de La Manic et de LG-2. La réputation du Québec n’est plus à faire en matière d’ingénierie.
Ainsi, Jacinthe pense à son oncle Xavier, l’un de ces brillants cerveaux. Elle n’aurait pu rêver de meilleur parrain : toujours là à chaque occasion, disponible, généreux de sa personne et en présents. Il la faisait se sentir importante.
Son oncle et Jérôme, bien que de la même trempe, n’exercent pas la même profession.
La sonnerie reliée à l’entrée principale la fait sursauter. Elle se lève avec lenteur et appuie sur le bouton de confirmation. Après avoir vérifié à l'œil magique, elle constate avec soulagement qu'il s'agit de sa tante Yolande. Dans la cinquantaine, petite, grassouillette, elle s'exprime et marche toujours de façon alerte.
— Bonsoir, marraine, entre. Veux-tu bien me dire ce qui se passe?
— Excuse-moi, chère, j'espère que je ne te dérange pas trop.
— Pas du tout.
— Excuse-moi encore une fois, ma chère enfant, je ne pouvais pas dormir et tu comprends, à cette heure-ci, je ne savais pas trop où aller. J'espère que je n'ai pas réveillé Jérôme.
Jacinthe la prend par l'&