281
pages
Français
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2016
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Publié par
Date de parution
15 février 2016
Nombre de lectures
614
EAN13
9782370114006
Langue
Français
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Date de parution
15 février 2016
Nombre de lectures
614
EAN13
9782370114006
Langue
Français
Les Plaines de Mayjong
Emma Cornellis
© Éditions Hélène Jacob, 2016. Collection Fantastique . Tous droits réservés.
ISBN : 978-2-37011-400-6
1 – Tao
Elle se réveille.
Un rayon de soleil réchauffe son corps engourdi par le froid. Il danse sur son visage, elle sourit sans ouvrir les yeux. Un sentiment de bien-être l’envahit, elle s’étire, les yeux toujours clos, comme pour prolonger ce moment.
Lentement, elle sort de sa torpeur, les rêves éclatent comme des bulles de savon, ne laissant que des souvenirs d’images, des impressions aux couleurs vives qui disparaissent avant qu’elle n’ait pu s’en saisir.
Elle soulève enfin ses paupières. Gênée par la clarté, elle se tourne, abandonnant sa nuque au rayon intrus. Ses yeux scrutent la pénombre. Un mur de toile, un sol de terre battue, des couvertures bariolées, des ustensiles de cuisine en céramique.
Elle se redresse d’un bond, sa tête touche presque la base du toit conique de la tente. Oui, elle se trouve bien dans une tente de trois ou quatre mètres de diamètre, avec une ouverture au sommet pour laisser entrer la lumière.
Un cri muet traverse son esprit, que fais-je ici ? Désorientée, elle se rassoit sur la couverture qui lui a servi de lit.
Si je ferme les yeux, tout va disparaître.
Paupières closes, elle compte jusqu’à dix, rouvre les yeux, rien n’a changé. Elle recommence, une fois, deux fois, jusqu’à en perdre le nombre. Je ne devrais pas être ici, se répète-t-elle avec insistance.
Soudain elle se fige. Pourquoi ne devrais-je pas être ici ? Elle a beau fouiller sa mémoire, pas de réponse.
Son regard se pose à nouveau sur l’endroit qui lui paraît si étrange, le bien-être qu’elle a ressenti en se réveillant est toujours présent. Je ne reconnais rien, pense-t-elle, et pourtant tout est si familier, si apaisant. Elle frissonne.
Malgré le soleil qui entre par le toit, l’air est frais, comme si le jour venait de se lever. Elle s’enveloppe avec la couverture.
Réfléchir calmement.
Sa mémoire reste vide. Imperceptiblement, elle se rend compte que le silence n’est pas absolu. De l’extérieur arrivent des sons, assourdis par le feutre épais de la tente. Des tintements métalliques et tranquilles, qui ne réveillent aucun souvenir. Des animaux. Elle finit par mettre une image sur les gémissements tremblotants : des moutons ?
Curieuse, elle se lève pour sortir. C’est alors qu’elle remarque aussi les vêtements qui l’habillent. Une tunique bleue, grossièrement découpée dans un tissu rêche, lui descend jusqu’aux genoux, et un pantalon noir de matière identique s’enfonce dans des bottes de cuir trop grandes pour ses pieds. De toute évidence, ces hardes, qu’elle ne reconnaît pas, ne sont pas les siennes.
Elle tâtonne la paroi à la recherche d’une ouverture, soulève un lourd pan d’étoffe et se retrouve dehors, médusée par le spectacle qui l’accueille.
La plaine. À perte de vue, une végétation foisonnante où mille teintes de vert se mêlent aux reflets dorés du soleil encore bas sur l’horizon. Et dans ce pâturage sans fin, des moutons paissent tranquillement. Certains portent un collier orné de cloches, tintinnabulant au gré de leur marche. En tournant la tête, elle peut voir, loin derrière la tente, un monticule rocheux au sommet nu et râpé qui surplombe le paysage comme un gardien solitaire.
Soudain, elle tressaille de surprise. À quelques mètres d’elle, devant un feu de braises endormies, un homme assis lui tourne le dos.
— Bonjour ! dit-il, en entendant ses pas.
Elle s’approche, intriguée, s’accroupit en face de l’inconnu qui n’a pas bougé.
Très jeune, il est vêtu comme elle, mais ses bottes, fatiguées et usées, sont pleines de boue. Malgré cette pauvre apparence, elle est immédiatement troublée par son aspect.
La lumière matinale peint des reflets bleus dans ses cheveux noirs qui tombent en mèches désordonnées sur son visage, comme pour occulter sa beauté. Il a des yeux aussi sombres que sa chevelure et légèrement bridés, une bouche aux lèvres pleines et lorsqu’il lui sourit, une fossette se creuse sur sa joue gauche.
Sous sa tunique croisée, elle entrevoit son corps ; sa peau est dorée comme le jour qui est en train de se lever.
Gêné par le regard insistant de la jeune fille, il remonte la capuche de son vêtement sur sa tête.
— Bonjour, répète-t-il en lui tendant une timbale métallique pleine d’un liquide chaud, du thé ?
Elle boit doucement, réchauffant ses mains contre la tasse brûlante.
Du thé ! Elle ne sait pas pourquoi, mais le nom et la saveur légèrement amère lui sont familiers.
— Je m’appelle Tao. Vous avez bien dormi ?
La question du jeune homme la tire de sa rêverie. Ses paroles tintent étrangement à ses oreilles, et les mots ressemblent à une suite de syllabes décousues dénuées de tout sens. Pourtant, elle finit par répondre :
— Oui. Enfin, je ne me souviens plus. Où suis-je ?
Sa voix est rauque, hésitante, comme si elle reparlait après des jours de silence.
— Sur les pâturages du seigneur To’Wong, à un jour de marche du village de Mayjong.
Tous ces noms ne signifient rien pour elle, et une évidence s’impose :
— Je ne sais plus qui je suis ! Je ne reconnais pas cet endroit !
— Vous voulez dire que vous ne vous souvenez de rien ?
Elle acquiesce avant de demander sans trop d’espoir :
— Tu me connais ?
— Non ! Je vous ai trouvée, hier soir. Enfin, pour être plus juste, c’est lui qui vous a trouvée, dit-il en désignant un chien tout pelé qui somnole non loin du feu. Vous dormiez sur la plaine, pas très loin d’ici.
— Je dormais ?
— Oui. C’était étrange. Vous n’aviez aucun bagage, aucun cheval, pas même une couverture pour vous protéger. Vous étiez nue, ajoute-t-il en baissant les yeux avec embarras. Mais vous dormiez, aussi bizarre que cela paraisse, allongée dans l’herbe, la tête posée sur vos mains.
— J’étais nue ?
Elle regarde, incrédule, les vêtements qu’elle porte.
— Ce sont mes vêtements.
Un instant troublée à l’idée qu’il ait pu la voir dans le plus simple appareil, elle réoriente son interrogatoire :
— J’étais évanouie, inconsciente ?
— Non ! Vous dormiez. Je sais reconnaître une personne endormie. Le teint vif, la respiration calme, en plus, vous souriiez, pourtant, je n’ai pu vous réveiller. Alors, je vous ai portée jusqu’à mon ger {1} et j’ai attendu.
— Et ?
— Et c’est tout ! Vous avez faim ?
Il lui tend un morceau de pain dont elle se saisit machinalement.
Le garçon se renferme dans son silence. Il ne peut expliquer la présence de cette jeune fille endormie nue si près de son campement. À un endroit mille fois foulé par les bêtes et lui-même depuis qu’ils sont installés là. C’est comme si elle avait été déposée en pleine nuit pour qu’il la découvre au petit matin. Il sait bien que c’est impossible, les chiens n’ont pas aboyé et aucune caravane n’est passée.
Il glisse un regard sur l’étrangère qui dévore le bout de pain. Comment expliquer l’impression qui semble vouloir s’installer en lui chaque fois qu’il pose les yeux sur elle ? Comme s’il avait déjà vécu ce moment, mais était incapable de s’en souvenir.
— Vu l’état de dénuement dans lequel je vous ai trouvée, je pense que vous avez dû survivre à une attaque de Sans-terre, bien que personne n’en ait encore jamais observé s’aventurant aussi près de Mayjong. Vous ne deviez pas venir de très loin non plus : vous reposiez sur l’herbe depuis peu, sinon vous seriez morte de froid. Une chose étrange pourtant… (Il sourit de nouveau et la dévisage avec insistance avant de se corriger) Enfin, plus étrange que le reste ! Vous ne ressemblez pas à quelqu’un d’ici !
— Comment ça ?
Intriguée, elle comprend soudain qu’elle ne peut se souvenir de sa propre apparence.
— Je ne sais plus à quoi je ressemble ! s’écrie-t-elle ne sachant si elle doit en rire ou en pleurer.
— Vous êtes très belle, dit-il dans un souffle, si bas qu’elle ne peut l’entendre.
— Pardon ?
— Attendez !
Il se lève d’un bond et s’engouffre dans la tente, pour en ressortir presque immédiatement, avec un éclat de miroir à la main. Il est si petit qu’elle ne peut y