90
pages
Français
Ebooks
2020
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Publié par
Date de parution
07 octobre 2020
Nombre de lectures
0
EAN13
9782379792144
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
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07 octobre 2020
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EAN13
9782379792144
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Français
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Bernadette Roussille
Fadette ou le rendez-vous manqué
Du même auteur Enfin tout de même ! Iggybook, 2018 Et la lune est venue les prendre Iggybook, 2018 Un amour adamantin Iggybook, 2019 ISBN numérique 9782379792151 ISBN papier 9782379792144 © octobre 2020 Bernadette Roussille
« Le cœur est la seule destination. On y arrive quand on ne croit plus rien. » Christian BOBIN
Les scellés
Ayant déposé les scellés, l’huissier de justice ouvre toute grande la porte de l’appartement, boulevard Raspail. Sur le seuil de la demeure désormais inhabitée, Olivier de Certeuil, le besson , frissonne d’émotion et de tristesse. Il connaît les lieux par cœur. Il a obtenu de la justice l’autorisation de pénétrer chez Fadette, la propriétaire des lieux, afin d’accomplir une mission : récupérer des dossiers de la Cour des comptes réclamés par le ministère des Finances qui en a besoin pour des contentieux.
L’huissier s’éclipse dans un coin du salon et se met à téléphoner, Olivier se dirige vers le grand bureau où, tant de fois, il a travaillé avec sa chère Fadette, commence le tri et remplit de documents une mallette estampillée bleu-blanc-rouge. Dans la vitrine qu’elle appelait « le petit pays » , il entrevoit la poupée vaudoue , une figurine qu’elle avait rapportée de Rezay, la commune la plus superstitieuse de France, près de chez elle, dans le Berry, son petit pays à elle. C’est un objet tressé en ficelles de couleurs que Fadette utilisait en riant, pour se défouler et jeter un sort aux personnes qu’elle n’aimait pas. En y piquant quelque petite aiguille.
Ce sera un sacré souvenir ! Il la glisse, comme il peut, tout hérissée, dans sa poche de son pantalon.
Il passe ensuite à la salle de bains qui exhale encore le parfum de la maîtresse des lieux, un Chanel® épicé qu’il adore. Les accessoires sont là, serviettes, rouge à lèvres, savon, brosse à dents, brosse à cheveux et médicaments, pauvres témoins de sa vie. Il prend, bouleversé, les deux brosses – l’ADN c’est plutôt sur la salive ou sur les cheveux ? –, cherche un sac en plastique pour les y mettre, n’en trouve pas et les introduit alors, discrètement, dans les poches de sa veste.
À peine une heure après leur arrivée, il vient trouver l’huissier pour lui faire vérifier les cartons d’archives. « Je vous fais confiance », lui dit celui-ci, refermant la porte d’entrée et reposant les scellés bien soigneusement.
Et Olivier, troué, vidé, rentre chez lui, à pied, sous une pluie battante car c’est la grève des transports. Il se jette sur son lit, comme une masse de plomb, ventre contre matelas, tête entortillée dans l’oreiller de plumes. S’endort et se met à ronfler.
Il est remonté à la source. Vingt-trois ans déjà qu’il connaît Fadette. Dès le premier regard quelque chose entre eux s’est scellé et leurs liens, d’abord exclusivement professionnels, se sont peu à peu resserrés, incluant Ali, son ami, et s’épanouissant en un grand nénuphar tendre sur la terre de Montparnasse. Elle les appelait les bessons , un mot importé de son petit pays , qui veut dire jumeaux dans les romans de George Sand. Et elle les leur appliquait par une de ces outrances affectueuses qui transportent les mots dans l’ailleurs de la poésie.
Rencontre et affinités électives
Lorsqu’Olivier fit sa connaissance, en 1980, Fadette venait d’être nommée présidente à la Commission générale du Plan. Il y avait à l’époque, dans notre pays, pas encore colonisé par la mondialisation, de planification économique. Rien à voir avec les Plans soviétiques de l’époque. Mais au sortir de la guerre, le général de Gaulle et Jean Monnet avaient institué un système de Plan national qu’ils avaient appelé l’antihasard, pour réorganiser l’appareil industriel et donner un cap à notre économie.
En 1980, personne ne croyait plus beaucoup à l’efficacité des Plans français. Hormis quelques vieux militants du parti communiste ou de la CGT, du genre du père de Fadette qui avait cru exploser de fierté à l’annonce de la nomination de sa fille adorée à ce poste – et, en plus, sa princesse n’avait que quarante-deux ans, bon Dié d’bon Dié !
Elle, flattée par sa nouvelle affectation, sérieuse et bonne élève par nature, avait pris sa tâche à bras-le-corps. Car l’économie et la comptabilité nationale n’étaient pas sa spécialité. Depuis sa sortie de l’ENA, elle s’était consacrée aux terres de la Santé et du Social. Dans un corps d’inspection générale – selon ce langage culotté qui sème des corps et même des grands corps dans notre décor administratif.
Or, il ne s’agissait de rien moins que de reprogrammer l’économie française tous les cinq ans. Elle plongea à fond dans la littérature spécialisée, mais, face à l’ampleur et à la technicité de la tâche, ressentit rapidement le besoin de parler à un être humain et d’interroger un vrai expert. Son choix se porta sur le jeune polytechnicien de la Direction de la prévision qu’elle avait repéré lors de la première réunion, il l’avait intriguée à cause de son nom, Olivier de Certeuil qui lui disait quelque chose – mais quoi ?
Elle lui demanda de venir à son domicile, au 210 boulevard Raspail, à Montparnasse, où elle travaillait régulièrement.
— Expliquez-moi tout, si vous voulez bien, lui demanda-t-elle, après l’avoir installé à côté d’elle sur la grande table de travail qu’elle avait déplacée au milieu de son salon. J’ai un peu appris la comptabilité nationale pour le concours de l’ENA, mais il n’en reste pas grand-chose. J’aimerais comprendre comment on élabore les esquisses qui servent de base aux Plans nationaux, quels sont les concepts, les outils, les indicateurs…
Dès qu’il s’agissait de son travail, Olivier devenait capable de s’extraire de sa timidité. Il partit du but à atteindre : élaborer le tableau de la dernière année du futur Plan, l’année 1985, avec les taux de croissance et les équilibres fondamentaux – emploi, investissement, balance des paiements, consommation finale des ménages. Parlant avec une grande douceur et une lenteur calculée, il fit quelques dégagements théoriques sur les allocations de ressources optimales . Fadette lui demanda si, en tant que présidente, elle pourrait introduire quelques priorités auxquelles elle tenait beaucoup : les équipements collectifs, le SMIC et les prestations sociales. Pour aller vers plus d’égalité dans la société.
Voyant son interlocutrice détendue, ouverte et peu conformiste, Olivier se permit une question sur une vitrine qui exposait de petits objets, des tissus, des fioles et toutes sortes d’amulettes. Il s’approcha et pointa deux petits cœurs rouges en laine réunis par du fil sous lequel était glissée une photo d’identité. Fadette s’avança : « C’est mon petit musée berrichon. Je collectionne les objets de magie : la première étagère, celle que vous voyez, c’est l’envoûtement d’amour : les tressages, les grillages habillés, les petits animaux en papier mâché, les sachets protecteurs utilisés pour faire le bien des personnes bonnes. ». Il la regarda discrètement : elle avait le teint clair, des yeux en couleur et en forme d’amande et un nez intelligent ; ses cheveux ondulés lui donnaient un air doux. Ils doivent être teints, se dit-il.
— L’étagère d’en dessous, c’est l’envoûtement de haine , poursuivit-elle, les poupées vaudoues auxquelles on demande de transmettre les punitions et les maladies aux gens qu’on n’aime pas, les paquets ficelés avec des formules à prononcer, des clous, des fioles pour empoisonner les méchants, hommes ou animaux… Ce sont des objets, petits, vieux, assez laids, mais intéressants parce que rares et liés à de vieilles traditions. C’est mon père qui a commencé à les collectionner ; moi j’ai continué, et j’ai apporté mon petit pays de sorcières à Paris.
Olivier prêta l’oreille ; elle avait une façon bien à elle d’allonger les diphtongues et de raidir les “r”. À peine perceptible.
— Vous croyez aux sorcières et à la magie ? s’exclama Olivier, ahuri.
— Pas le moins du monde et mon père encore moins, c’est un homme des Lumières. Mais c’est un jeu entre nous, cela me relie à lui et