89
pages
Français
Ebooks
2022
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Publié par
Date de parution
08 septembre 2022
Nombre de lectures
12
EAN13
9782764447895
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
Publié par
Date de parution
08 septembre 2022
Nombre de lectures
12
EAN13
9782764447895
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Français
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Québec Amérique est fière d’offrir un espace de création aux auteurs émergents ; avec la mention « Première Impression », elle souligne la parution de leur premier livre.
Projet dirigé par Stéphane Dompierre, éditeur
Conception graphique : Audrey Guardia
Mise en pages : Nathalie Caron
Révision linguistique : Isabelle Rolland et Élyse-Andrée Héroux
Conversion en ePub : Fedoua El Koudri
Québec Amérique
7240, rue Saint-Hubert
Montréal (Québec) Canada H2R 2N1
Téléphone : 514 499-3000
Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada.
Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien. We acknowledge the support of the Canada Council for the Arts.
Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.
Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada
Titre : Montréal-Nord / Mariana Mazza.
Noms : Mazza, Mariana, auteur.
Description : Mention de collection : QA fiction
Identifiants : Canadiana (livre imprimé) 20220013802 | Canadiana (livre numérique) 20220013810 | ISBN 9782764447871 | ISBN 9782764447888 (PDF) | ISBN 9782764447895 (EPUB)
Classification : LCC PS8626.A98 M66 2022 | CDD C843/.6—dc23
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives nationales du Québec, 2022
Dépôt légal, Bibliothèque et Archives du Canada, 2022
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés
© Éditions Québec Amérique inc., 2022.
quebec-amerique.com
Pour Mom, Te quiero.
« Cela aurait pu être une histoire drôle, n’était le fait que les gens ont besoin d’un peu d’amour, et bon Dieu que c’est triste, parfois, de voir toute la merde qu’il leur faut traverser pour en trouver. »
Richard Brautigan, La vengeance de la pelouse
L’idée de base
Je suis née au Canada grâce à une idée de mon père : « On peut faire de l’argent en allant cueillir du chou au Canada. »
Mon père était un artiste, un beau parleur et un alcoolique. Dès qu’il prenait un coup, il refaisait le monde, le virait à l’envers ou le mettait en feu. Ses idées étaient souvent farfelues, décousues. Il prenait rarement du recul pour se demander si quelque chose avait du sens. Il est né en Uruguay et est allé travailler au Venezuela. Ma mère, qui est née au Liban et qui a fui son pays pour une meilleure vie, est allée rejoindre son père, mon grand-père, sur l’île de Margarita, au Venezuela. En arrivant là-bas, à vingt-quatre ans, elle s’est fait dire par son père de bâtir par elle-même son avenir, de se trouver par elle-même un emploi. Débrouillarde et sociable, ma mère est devenue serveuse dans un café. En revenant du travail un après-midi, elle est passée devant un hôtel où un majordome du nom de Pedro, adossé au mur, attendait les clients. Mon futur père. Après lui avoir fait la cour en lui chantant des ballades en espagnol chaque fois qu’elle revenait du travail, mon père a fini par voir ma mère accepter ses invitations.
Sonia, ma mère, est tombée enceinte de mon frère Juan-Jose et a accouché au Venezuela. Un an plus tard, mon père a décidé qu’ils quitteraient le pays pour essayer quelque chose de nouveau : cueillir des choux. En 1990, je suis donc née sur une terre qui aurait pu être dans le Sud, au bord d’une plage, dans une pauvreté que je ne peux pas m’imaginer car je ne l’ai pas vécue. Je suis une enfant de la chaleur dans un pays glacial. Au moment de ma naissance, ma mère avait déjà envisagé de quitter mon père. De le laisser partir pour qu’il guérisse de son alcoolisme . J’avais deux ans quand il est parti sur un coup de tête, soûl, en Uruguay, sa terre natale, pour ne jamais revenir. Quand je demande à ma mère si elle a déjà aimé mon père, elle me répond toujours : « J’aimais ton père avant 10 h du matin. Après, je le reconnaissais plus. »
Je suis née au Canada grâce à l’alcool.
Le cœur
C’est mon anniversaire et j’ai dix ans. Mes anni versaires ont souvent eu le goût du bonheur et de larmes salées. J’ai toujours exprimé mes joies en pleurant pour équilibrer mes émotions qui étaient trop fortes, trop intenses. Normalement, les anniversaires d’enfants sont festifs. Les miens l’étaient de l’extérieur. En dedans, je sentais qu’un trop-plein pouvait exploser d’une seconde à l’autre. Comme si je ne méritais pas toute cette attention. Cet amour.
Nous habitions, mon frère, ma mère, mon beau- père et moi, dans un quatre et demie de la rue Fleury avec des planchers qui craquent, au-dessus d’un bar, quelque part entre Montréal- Nord et Saint-Michel, où il y a des courants d’air juste l’hiver et où on crève en été. Malgré tout, je vivais une enfance à la hauteur de l’énergie que déployait ma mère pour subsister à notre bonheur.
J’étais donc assise sur le divan bleu et vert, enfoncée dans le mou de son usure, avec mon frère Juan. Nous étions en train de regarder un épisode de Chair de poule , et l’intrigue tournait autour d’un chaman qui donne un collier avec une breloque en forme de cœur à une jeune fille, qui se transforme en fourmi à son contact. Cet épisode m’a marquée parce que ma peur se mélangeait avec mon envie de romantisme. Me faire offrir un collier en forme de cœur par un homme faisait partie de mes fantasmes de fille prépubère. J’avais hâte d’avoir la confirmation qu’on pouvait m’aimer, même si j’étais terrorisée de découvrir ce qu’on ressentait quand ça arrivait.
Ma mère adorait inviter trop de monde aux festivités. Comme si elle voulait remplir le petit espace de vie pour s’assurer qu’il y ait le plus d’amour possible. Quelques-uns de mes amis étaient là et beaucoup d’adultes aussi. Du bruit. Il y avait toujours beaucoup de bruit, de rires, de musique. Les langues se mélangeaient : l’espagnol, l’arabe, le français. Ma mère aimait la cacophonie. Mon frère, moins. Moi, je la créais.
Pendant la dégustation du gâteau que ma mère avait fait comme chaque année – sans rien mesurer –, coloré, avec trop de saveurs, mais qui faisait l’unanimité, mon beau-père Sergio m’a demandé de venir le rejoindre. Il m’a tendu un petit écrin noir en velours. Mon cœur a com mencé à me débattre. La seule certitude que j’avais le jour de mon anniversaire, c’était que j’aurais des cadeaux et que je serais contente ou très déçue. Ceux de mes parents coûtaient plus cher et avaient plus de valeur que ceux que je recevais des invités. J’ai senti un mélange de bonheur et de dégoût inexplicable m’envahir devant ce petit écrin. Je savais que c’était un bijou, et les bijoux, ce n’est pas pour les enfants. En l’ouvrant, j’y ai découvert un petit cœur en argent avec un m gravé dessus. Comme celui dans l’épisode de Chair de poule . J’hésitais entre le bonheur parce que c’était un beau présent et la panique parce que ça représentait l’amour, le vrai.
Inconsciemment, j’ai choisi de ne pas aimer ce cadeau parce que me faire aimer réellement était aussi invraisemblable que de me transfor mer en fourmi. J’ai tellement pleuré en mettant le collier autour de mon cou que j’ai eu l’air émue et touchée.
Pour expliquer mon état, j’ai dit à ma mère que je venais d’écouter un épisode de Chair de poule , et j’ai tenté de résumer l’histoire de la fourmi. Je voulais trouver une excuse pour mon sentiment bizarre, pour faire comprendre que je ne me sentais pas bien face au collier. J’aurais dû être heureuse, c’était un beau bijou, mais quel que chose sonnait faux. Pourquoi un cœur ? Pourquoi m’aimer ? C’est ce que je voulais pourtant. Mais un cœur, c’est quand on aime, et mon beau-père n’était pas mon amoureux. J’ai essayé de m’expliquer, mais le regard de ma mère témoignait d’un manque d’intérêt qui m’a fait bafouiller la suite de mes explications.
J’étais émue pour vrai, mais surtout gênée de recevoir autant d’amour.
J’ai longtemps essayé de camoufler ma diffi culté à recevoir de l’amour en me racontant des histoires sans queue ni tête. Les personnes qui m’ont aimée n’étaient pas celles que j’avais sélectionnées préalablement pour m’en donner. En même temps, je n’avais jamais choisi qui que ce soit parce que j’ai toujours eu peur de me faire aimer. Je craignais probablement d’être déçue d’avoir attendu quelque chose qui n’aurait pas été à la hauteur de mes rêves.
J’ai porté le collier durant une semaine avant de le donner à ma mère sous prétexte qu’il m’irritait la peau.
Ce moment a été la source de ce paradoxe qui m’a suivie toute ma vie depuis. Vouloir être aimée, mais pas tout le temps. Juste quand j’en ai besoin, toujours.
Quatre ans
J’ai dormi avec la cassette du Roi Lion sous mon oreiller pendant un mois. Je regardais le film , le rembobinais, le remettais dans son boîtier qui sentait le plastique fondu et que je déposais déli catement sous mon oreiller. J’espérais peut-être inconsciemment faire revenir Mufasa de sa mort tragique, ou je ne voulais juste pas qu’on vole mon film. Je l’ai regardé tous les jours, sans exception, pendant des années. Je ne comprends pas pourquoi ma mère ne l’a jamais crissé par la fenêtre, comme elle le faisait avec mes cassettes de musique au ruban étiré à force d’avoir trop joué.
Je prenais ma doudou dans une main et le boît ier de la cassette de l’autre. Mon amour pour les histoires mettant en scène des pères manquants a commencé très tôt dans ma vie.
Si ce n’étaient pas les pères absents qui me fascinaient, c’étaient les retrouvailles d’un parent avec son enfant qu’il croyait disparu. L’absence de mon père dans ma vie, mais aussi celle de ma mère au quotidien – parce qu’elle travaillait beaucoup –, je voulais la retrouver dans une histoire qui n’était pas la mienne. Je n’en ai jamais voulu à aucun de mes parents, mais inté rieurement, j’avais un immense vide. Un manque.
Je ne dors plus avec la cassette du Roi Lion , mais je dors toujours avec ma doudou, pour ce qu’il en