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pages
Français
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2018
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Publié par
Date de parution
31 janvier 2018
Nombre de lectures
1
EAN13
9782738141620
Langue
Français
Poids de l'ouvrage
1 Mo
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31 janvier 2018
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EAN13
9782738141620
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François Hourmant
Les Années Mao en France
Avant, pendant et après Mai 68 (1966-1976)
© O DILE J ACOB , FÉVRIER 2018 15, RUE S OUFFLOT , 75005 P ARIS
www.odilejacob.fr
ISBN : 978-2-7381-4162-0
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2° et 3°a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple et d’illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Introduction
« Le chemin est sinueux mais l’avenir est radieux. »
Pékin Information.
Nul portrait mieux que celui de Mao ne saurait rendre compte, sur fond de culte de la personnalité, de la passion chinoise qui sévit en France entre 1966 et 1976. Cette décennie charnière vit s’épanouir puis s’étioler l’astre chinois. La Révolution culturelle engendra une extraordinaire prolifération scripturale, picturale, sémiologique et idéologique, que la mort de Mao vint clore dix ans plus tard.
À l’instar du Grand Timonier, lançant les Gardes rouges à l’assaut des citadelles conservatrices afin d’opérer une table rase sur laquelle s’édifierait un nouvel empire du Milieu, la Chine maoïste fut une incroyable surface de projections et d’attentes.
Mao en devint le symbole, aussi célèbre et célébré que son alter ego cubain, Ernesto « Che » Guevara. Source d’inspiration pour les artistes et support de dévotion pour ses thuriféraires, il a irrigué un engouement planétaire. En s’emparant de cette figure, Warhol consacre l’icône. Cette réappropriation résume à elle seule cette Maomania, du culte du portrait au portrait culte.
La Chine a donc suscité un « corpus de témoignages et reliques […] destiné à rester l’un des plus étonnants exemples de fabrication d’une mythologie collective de notre histoire 1 ». Cette intense production idéologique, intellectuelle, artistique, prit en effet des formes multiples : manifestes politiques et journaux militants, films et documentaires, récits de voyage et témoignages imparables, romans et tableaux furent les symptômes de cette étrange fascination.
Sur cette page blanche, « maos », « prochinois » ou sinophiles ont investi leurs rêves, libéré leurs fantasmes. Intellectuels, artistes, essayistes, journalistes, étudiants et militants ont célébré cette nouvelle utopie. Érigeant la « pensée maotsétoung », comme on l’écrivait à l’époque, au rang de Saintes Écritures, certains ont psalmodié ses maximes puisées dans le Petit Livre rouge comme on cite l’Évangile ; ils ont glorifié une Révolution culturelle, entre fascination, incompréhension et méconnaissance. Ignorant les millions de victimes de cette vaste purge lancée par Mao pour reprendre le pouvoir, ils ont endossé, au sens propre comme au sens figuré, le « costume Mao », souvent par adhésion à l’idéologie, parfois par soumission aux injonctions vestimentaires du folklore germanopratin ou, plus simplement, par jeu social, distinctif et ostentatoire.
Les emblèmes idéologiques de la Révolution culturelle ( Petit Livre rouge , veste à col Mao, portraits et écrits du Grand Timonier, idéogrammes et dazibaos), souvent totémisés par les « maos » militants, furent également plébiscités par les artistes. Ils ont puisé dans ce gisement de signes qui sourdait de Pékin les matériaux qui allaient leur servir à édifier cette mythologie politique. Les plus novateurs, enclins à la provocation et à la subversion, les détournèrent et se les réapproprièrent. Si les contenus ouvertement idéologiques furent parfois évidés, ces objets furent néanmoins annexés pour l’imaginaire contestataire qu’ils véhiculaient. Rien ne résista à cet engouement, pas même la langue et la civilisation chinoises qui connurent à leur tour un spectaculaire regain d’intérêt 2 .
Peu de domaines ont été épargnés par cette sinophilie à partir de 1967 : le cinéma (Jean-Luc Godard, Joris Ivens, Michelangelo Antonioni) et sa critique ( Les Cahiers du cinéma , Cinéthique ) la mode (Cardin, Feruch, Klein, Mugler), la peinture (Rancillac, Erró, Warhol), la littérature (Han Suyin, Philippe Sollers). Toute une esthétique « Mao pop » s’est alors cristallisée. Elle témoigne, dans la mosaïque des œuvres produites, d’une logique expressive des formes qui, échappant à tout projet collectif, entendait néanmoins subvertir les codes et les règles qui régissaient les champs artistique et littéraire, au nom d’une avant-garde volontiers prompte à nouer radicalité politique et radicalité esthétique.
Ainsi, et à la différence de l’Union soviétique et plus encore de Cuba, l’attraction chinoise ne se limita pas aux sphères politiques et intellectuelles. Là réside encore l’irréductible singularité du maoïsme hexagonal, dans sa capacité à séduire des admirateurs venus de tous les horizons et à infuser toutes les sphères de la vie sociale, à contaminer aussi bien l’univers de la mode que celui du cinéma ou de la chanson, un phénomène politique qui toucha également les États-Unis et le Québec 3 .
Alors que l’Union soviétique avait incarné un « nouvel âge de l’humanité » (Jean-Richard Bloch), que l’expérience cubaine, menée sur fond de rumba et de rhum blanc, devenait « la lune de miel de la révolution » (Jean-Paul Sartre), terre de l’avenir festif et voluptueux, la Chine essaima au-delà des frontières de l’engagement révolutionnaire. La Maomania transcenda les clivages idéologiques les mieux établis. Elle aimanta une bonne part du gotha intellectuel, de Jean-Paul Sartre, ralliant les maos de La Cause du peuple, à Michel Foucault, œuvrant avec le Groupe d’intervention sur les prisons (GIP) pour la libération des leaders et des militants maoïstes emprisonnés, de Roland Barthes, traquant sans succès dans la Chine un nouvel « empire des signes », à Philippe Sollers célébrant les écrits philosophiques et poétiques du Grand Timonier.
De nombreuses chapelles nourrirent le débat intellectuel et politique : féministes (Julia Kristeva, Claudie Broyelle) et psychanalystes (les héritiers de Jacques Lacan, son gendre J.-A. Miller et le frère de ce dernier, Gérard Miller) ; futurs « nouveaux philosophes » (André Glucksmann, Jean-Paul Dollé, Guy Lardreau). Ministres conservateurs (André Malraux et Alain Peyrefitte), catholiques de gauche (Jean Cardonnel, Henri Fesquet) et défenseurs de la cause homosexuelle (Guy Hocquenghem) partageront une commune, mais diverse, fascination pour la Chine de Mao. Jeunes giscardiens et frères franciscains flirteront eux aussi avec les thèses prochinoises, loin de leurs bases initiales. Toute une partie de l’intelligentsia a donc succombé aux sirènes chinoises. Et ceux qui n’en furent pas, comme Bernard-Henri Lévy, s’inventeraient un engagement maoïste pour mieux pouvoir expier médiatiquement ce moment imaginaire d’égarement 4 .
Tous ces noms prestigieux contribuèrent à la visibilité de la comète prochinoise. Il suffit de comparer à cet égard la notoriété de la Gauche prolétarienne (GP), la plus célèbre organisation maoïste, dont Sartre servit de caisse de résonance et d’amplificateur, à la discrétion politique et médiatique du Parti communiste marxiste-léniniste de France (PCMLF), officiellement reconnu et soutenu par Pékin. L’asymétrie des publications consacrées respectivement à ces deux principales organisations maoïstes, pléthoriques pour la première, quasi inexistantes pour la seconde, atteste le différentiel d’attention et d’intérêt. De la même façon, les deux figures charismatiques de l’Union des Jeunesses communistes marxistes-léninistes (UJC(ml)) puis de la GP (Robert Linhart et Benny Lévy), issus du vivier normalien, ont éclipsé celle de Jacques Jurquet, le dirigeant du PCMLF. Cette mythologie reste encore le plus fréquemment associée à celle d’une génération 5 et à une nébuleuse de groupuscules maoïstes.
Mais les regards ne furent pas tous laudateurs. Sur un mode outrancier, la sinophobie connut un certain succès avec le film de Jean Yanne, Les Chinois à Paris , ravivant le spectre du péril jaune. D’autres, plus mesurés, s’efforcèrent de démonter les mécanismes oppressifs du pouvoir maoïste même si, globalement, ces « regards froids sur la Chine 6 » furent largement éclipsés par les récits apologétiques et les essais triomphants qui se multiplièrent jusqu’en 1975, écrasant toute dissonance critique sous le poids d’un leitmotiv obsessionnel : La Chine est un miracle .
Ce titre, emprunté au récit éponyme de Roger Massip, résumait bien l’étrange climat d’hyperbole et de dévotion qui s’abattit sur la France. La quatrième de couverture en fixait la tonalité : « On a parlé à juste titre du miracle chinois. Ce miracle, l’auteur, qui dirige les services de politique étrangère du Figaro , en a été le témoin toujours surpris et parfois admiratif. Miracle de la joie et de la bonne humeur chinoises, miracle d’une transformation prodigieuse qui affecte non seulement les structures fondamentales de l’État mais les conditions de travail et de vie, jusqu’à la mentalité de l’individu 7 . » Le constat tourna alors à l’antienne. La ritournelle miraculeuse fut chantée par de nombreux voyageurs.
Car le mystère fut bien là, dans les proportions prises par ce mythe et dans la rapidité de la greffe, Jean-Luc Domenach estimant que « la Chine populaire n’a subitement cessé d’être ignorée que pour enthousiasmer 8 ». En l’espace de dix ans, le météore chinois s’épanouit dans le ciel de Paris (et d’ailleurs) avant de s’étioler.
Trois temps scandèrent cette épiphanie. Les années exotiques (1966-1969) se caractérisent par une extraordinaire fétichisation qui se traduisit par un jeu d’annexions et de