Panser le monde, penser les médecines Traditions médicales et développement sanitaire , livre ebook

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Date de parution

01 janvier 2005

Nombre de lectures

0

EAN13

9782845866356

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

2 Mo

sous la direction de Laurent Pordié
Panser le monde, penser les médecines
Traditions médicales et développement sanitaire
Soins d’ici, soins d’ailleurs KARTHALA
PANSER LE MONDE, PENSER LES MÉDECINES
KARTHALA sur Internet : http://www.karthala.com Paiement sécurisé
© Éditions KARTHALA, 2005 ISBN : 2-84586-635-6
Sous la direction de Laurent Pordié
Panser le monde, penser les médecines
Traditions médicales et développement sanitaire
Éditions KARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 PARIS
Ce volume a été réalisé avec le concours de Nomad RSI (recherche et soutien international), une organisation internationale spécialisée dans les tradi-tions de soins et la médiation au sein du pluralisme médical. Cette organisation questionne notamment l’articulation entre la production du savoir scienti-fique et ses applications pratiques afin de dévelop-per de nouvelles approches méthodologiques en solidarité internationale. Nomad RSI est pour cela dotée d’une unité de recherche privée et indépen-dante. Cette unité, unique en solidarité internationa-le, fonctionne sur un réseau établi de chercheurs académiques et de partenaires institutionnels. Elle a pour objet de contribuer à la recherche acadé-mique sur les reconfigurations des espaces thérapeu-tiques et les dynamiques des systèmes de santé, d’examiner l’intégration de la recherche scientifique en développement international et d’inscrire les acti-vités de l’Unité de Développement de Nomad RSI dans les processus sociaux et épidémiologiques en cours.
Site Internet : http://www.nomadrsi.org
Introduction
L’inéluctable rencontre Traditions de soins et développement sanitaire
Laurent Pordié
Commençons par ce qui pourrait ressembler à une anec-dote. Kumaran, enfant tamoul de douze ans, petit et sec comme un sarment et paraissant d’autant plus jeune que sa vie s’appa-rente à celle de l’âge adulte, prend soin de sa petite sœur Lakshmi de deux ans comme le font beaucoup d’enfants dans cette région du sud de l’Inde. Il la transporte partout où il se rend dans le village, posée à califourchon sur sa hanche droite. Ce jour, assis sous l’arbre à discuter avec les hommes, j’entends près de nous Lakshmi pleurer à gros sanglots. J’essaie de me faire expliquer tant bien que mal la situation. La petite s’est apparemment fait piquer par un frelon. J’observe alors son frère en train de courir auprès du margousier le plus proche, arracher une poignée de feuilles, les mâchonner et appliquer immédiatement la chique verdâtre sur l’endroit même de la piqûre. Les hommes qui assistent à la scène opinent du chef, connaissant le geste et le sens du soin que l’enfant prodigue à sa sœur. La jeune enfant est peu à peu entourée de villageois qui semblent cependant s’inquiéter de son sort car son pied enfle anormalement. On me réquisitionne alors, en tant que seul détenteur d’un véhicule dans le village, pour amener Lakshmi dans une structure médicale. Je cours chercher ma mobylette, charge les deux enfants et leur mère et fonce au centre de santé le plus proche, à cinq kilomètres de là.
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Panser le monde, penser les médecines
Sur place, l’enfant est examinée par un agent de santé après une longue attente, témoignant du faible statut social de cette famille d’intouchables, dont les membres sont immé-diatement identifiés en raison de leur langage, de leur appa-rence et de leur inconfort manifeste. La supériorité sociale du personnel de santé est marquée par un ensemble de com-portements, pourrait-on dire rituels, auxquels les petites gens se doivent inévitablement de répondre selon les codes sociaux établis. La situation est commune et ne choque per-sonne, les différences sont ici acceptées et, dans une certaine mesure, entretenues. L’agent de santé délivre un antihista-minique à l’enfant et renvoie la famille chez elle contre une somme d’argent aussi modique que leur situation leur per-met d’assumer. Mais un fait dans cette rencontre médicale a retenu mon attention. Lorsque la famille fut interrogée sur l’histoire de l’événement – questions que l’agent zélé s’empressa de me traduire en anglais en me tenant très poli-ment au centre du problème, en raison du statut social qu’un simple passeport me confère –, les trois protagonistes ne mentionnèrent rien de particulier. L’usage de la plante demeura sous silence. Ils me diront plus tard qu’il ne leur semblait pas utile de préciser quoi que ce soit, leur recours étant très pragmatique. L’application des feuilles de margou-sier ne pouvait pas faire de mal et, au mieux, elle compléte-rait les médicaments du « docteur ». De toute façon, ajouta la mère, les connaissances de sa famille, dont l’occupation tradi-tionnelle consiste à cueillir des noix de coco, « sont justes bonnes à ça et elles n’intéressent personne ». Pourquoi en faire part à ceux qui détiennent officiellement le savoir ? L’usage du margousier dans la vie quotidienne est tellement banal que c’est moi, par mes questions répétées, qui exhibe d’une certaine manière ma stupidité : pas tant pour ne pas connaîtreleur monde mais par le simple fait de m’y intéresser.
Le margousier est un arbre très commun en Inde du Sud ; son écorce, son feuillage ou ses fruits ont des vertus connues de tous. Il s’agit également d’un arbre sacré, associé à certaines divinités. On le retrouve aussi bien en usage médicinal domestique que dans les pharmacopées plurisécu-laires des médecines savantes ; il figure dans un nombre impressionnant de produits cosmétiques et hygiéniques
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modernes ; il est utilisé en thérapeutique, notamment pour des maladies d’ordre infectieux, parasitaires ou dermatolo-giques, mais aussi pour l’ornement des bus de pèlerins, ou encore pour l’enfumage des habitations dans le but d’écarter les insectes nuisibles. Cette activité pesticide fut même l’objet dans les années 1990 d’une guerre des brevets, après qu’un des principes actifs du margousier eut été convoité par une compagnie industrielle étrangère. L’Inde gagna son recours en justice et fit de cet arbre un symbole de son droit de souveraineté envers ses ressources biologiques, et, en par-ticulier, du savoir médical national.
Que nous enseigne ce type de récit en introduction d’un ouvrage généraliste sur les relations entre développe-ment et traditions de soins ? Quelques éléments de réponse émergent directement de ce qui précède. Il s’agit de la dimension sociale du mal, qui transparaît à la fois dans le type de recours et dans les modalités d’accès aux soins, de l’invisibilité ou de la transformation de certains comporte-1 ments et pratiques de santé pour le système biomédical , du caractère symbolique et identitaire du remède et, d’une cer-taine manière, de la place de l’étranger comme acteur du « système ». Ces éléments ne sont pas, bien entendu, propres au monde indien ; par contre, ils échappent généralement à la pratique du développement. L’étude des traditions médi-
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La biomédecine (médecine biologique) est le terme le plus approprié pour évoquer la « médecine occidentale » ou la « médecine moderne » selon leurs acceptions communes. Certains auteurs optent cependant pour le terme allopathie (on le retrouve également au sein du dévelop-pement, notamment dans les rapports et publications de l’Organisation mondiale de la santé [OMS]). Pourtant, cet usage est incorrect car le terme allopathie n’est pas uniquement applicable à la biomédecine. L’allopathie au sens strict désigne une méthode de traitement par induc-tion d’une condition différente de la cause de la maladie (allosautre » en, « grec etpathos, « affection » ou « maladie », ou le suffixe -patheiaou -pathês, « ce que l’on éprouve », en grec). Cependant, le terme fut ensuite (re)construit par les homéopathes (l’étymologie du terme évoque la loi de similarité entre la cause et le traitement de la maladie, « similaire » pourhomœoen latin, ouhomoiosen grec). Ce glissement sémantique fut le résultat de manœuvres sociales et politiques en opposition à la biomédecine. Aujourd’hui, l’allopathie n’est ni une doctrine, ni un profil de soin particulier mais simplement toute médecine qui n’est pas l’homéopathie.
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cales dans ce contexte offre une grille de lecture « inversée » des problèmes que nous venons d’évoquer. Elle permet d’observer le développement biomédical d’un autre point de vue et de saisir la façon dont le soin, pris dans son sens le plus ample, y est exprimé.
Notre attention se porte donc sur les traditions médi-cales car il est impensable de trouver un programme de santé publique qui ne rencontre pas, d’une façon ou d’une autre, des pratiques et des savoirs médicaux traditionnels détenus par des individus particuliers ou partagés de façon plus homogène par la communauté. Un premier questionne-ment peut être tiré de ce constat : comment, en raison de leur coexistence avec toute entreprise sanitaire, les tradi-tions de soins forment et déforment-elles le développement ? On observera ensuite les pratiques et la portée sociale du développement, et la façon dont les traditions de soins y sont manifestées, catégorisées, prises en charge ou rendues invi-sibles. Le problème ainsi reformulé incite à examiner réci-proquement le rôle que le développement détient dans la dynamique des pratiques et des savoirs de santé locaux. Ces interrogations constituent le cœur de cet ouvrage.
Bien que le sujet de ce livre mérite une exploration très approfondie, il a été essentiellement conçu pour un lecto-rat qui ne se limite pas aux spécialistes des sciences sociales. Il s’agit là d’un parti pris qui situe parfois ce travail en marge des écrits académiques classiques en s’efforçant de le rendre plus accessible, et en répétant, au besoin, des aspects déjà bien connus des anthropologues. Ce volume s’appuie sur des études de cas qui sont, à nos yeux, plus proches de l’exer-cice de terrain, en rendant l’analyse théorique suffisamment claire pour qu’elle soit applicable à divers contextes. Il forme un instrument de travail constitué par une série de textes ethnographiques théorisés et de témoignages contextualisés, dont la forme tend vers le récit. Cette flexibilité dans le style d’écriture et dans la retranscription des faits observés consti-tue la base même du ton donné à cette nouvelle série.
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Cheminer au gré du social : un apport possible au dévelop-pement ?
Malgré une reconnaissance accrue au cours des deux dernières décennies, les médecines traditionnelles restent, à tous points de vue, en marge du développement sanitaire. Or, elles composent d’une façon systématique le paysage sanitaire local. Au mieux, elles sont transformées par le caractère biomédicalisant et normatif de la prise en charge du soin dans le développement – caractéristique absolue des politiques internationales visant à « intégrer » les autres médecines dans le secteur sanitaire conventionnel. Ces médecines peuvent également être prises en charge par une certaine entreprise de développement, qui se revendique comme une alternative à ce que nous venons d’évoquer, mais qui reste aveuglée par un idéalisme et un purisme parfois naïfs. Entre ces deux extrêmes, d’autres cas de figure peu-vent bien sûr être relevés, mais ils restent fortement minori-taires et partagent souvent avec les autres types d’approche une vision culturaliste de ces médecines. De même, si l’étude des « médecines traditionnelles » a longtemps obtenu les faveurs d’une anthropologie en quête d’authenticité, c’est aujourd’hui plutôt dans les études de leursnouveautés, tant sociales que techniques, qu’elles sont susceptibles de nous intéresser.
Le développement sanitaire est pour cette raison exemplaire ; il contribue à la modernité de médecines pour-tant toujours légitimées comme traditionnelles. Son interac-tion ou son absence d’interaction avec les médecines verna-culaires constitue un lieu d’observation en tous points fécond. Il renseigne notamment sur d’autres dimensions que notre récit introductif ne reflète qu’indirectement. Il aurait fallu, en effet, présenter de cette situation une ethnographie complète et révéler ainsi le contexte social des médecines et leurs chevauchements, les inégalités des chances face à l’accès aux soins, les représentations des populations sur la santé, les usages sociaux et politiques des actes thérapeu-tiques ou encore les enjeux sémantiques du développement. Ces considérations doivent à leur tour être repositionnées dans un champ plus global. Le rôle que les médecines tradi-
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