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pages
Français
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2014
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Publié par
Date de parution
19 juin 2014
Nombre de lectures
1
EAN13
9782342024944
Langue
Français
« Les êtres vivants, végétaux compris, sont des prédateurs, dans le sens large de ce terme, et c'est en tant que tels qu'ils affirment leur soi, c'est-à-dire leur mode d'existence. D'où cet aphorisme nietzschéen abrupt de franchise : L'instinct de propriété – prolongement de l'instinct de nutrition et de chasse. L'instinct de la connaissance lui-même est une forme supérieure de l'instinct de propriété. Ces processus d'appropriation ne se résument pas simplement à des actes de capture, mais se prolongent par l'assimilation, en d'autres mots par le développement du soi, de son importance, de sa place dans le monde, de sa vitalité, de son rang. Loin de concevoir, comme on le fait si souvent, en particulier depuis Darwin, ces phénomènes en termes unilatéraux d'adaptation des organismes au milieu, je mettrai ici l'accent sur la tendance des êtres vivants à adapter le réel à leurs besoins et à leurs désirs : c'est en ce sens que toute existence est passion de vivre. » Nouvel essai signé R. Misslin, « Le Comportement d'affirmation de soi », en s'appuyant toujours sur cette fertile comparaison entre mœurs humaines et animales, bouscule nombre d'idées reçues, voire certaines thèses. Tendant encore une fois vers la philosophie, ce texte nous incite ainsi à reconsidérer catégories et concepts (l'actif et le passif, l'adaptation et l'évolution...), à repenser notre rapport à notre environnement et à la vie. Nourri par une érudition étonnante et passionnée, ce texte catalyse connaissances et réflexions qui projettent une lumière nouvelle sur l'existence, le vivre ensemble, la civilisation...
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Date de parution
19 juin 2014
Nombre de lectures
1
EAN13
9782342024944
Langue
Français
Le Comportement d'affirmation de soi
René Misslin
Publibook
Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
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Tél. : +33 (0)1 53 69 65 55
Le Comportement d'affirmation de soi
Retrouvez l’auteur sur son site Internet :
http://rene-misslin.publibook.com
En hommage à Gérald Fournier dont le livre intitulé Évolution et Civilisation m’a beaucoup instruit.
Introduction. Vivre ou la nécessité de s’affirmer
L’appropriation et l’assimilation consistent en une volonté de dominer ce qui est extérieur, de lui donner une forme, de le modeler et de le transformer, jusqu’à ce qu’enfin la substance vaincue soit entièrement passée dans le domaine de l’attaquant et soit venue l’augmenter.
Nietzsche
Lore Jonas, l’épouse du philosophe allemand Hans Jonas, rapporte dans l’avant-propos des Souvenirs de son mari (il s’était engagé en 1940 dans l’armée britannique pour combattre Hitler par les armes ) que dans sa période militaire, loin des bibliothèques, il méditait sur la vie pour des raisons évidentes – la mutilation et la mort menaçaient – et de là naquit son intérêt pour les sciences de la nature . 1 Dans la lettre qu’il adressa le 31 mars 1944 à son épouse restée en Palestine, Hans Jonas insiste, en effet, sur le caractère paradoxal de toute forme vivante, douée d’autonomie par rapport à la nature, acquise et affirmée à travers la causalité propre de l’organisme . Mais cette individuation par rapport aux conditions physico-chimiques environnementales se paie par une dépendance à l’égard de conditions qu’elle ne maîtrise pas et qui peuvent se refuser : l’audace de cette existence, pleine de mortelle angoisse, met dans une lumière crue le risque originaire de la liberté, encouru par la substance devenant organique . Toute vie est ainsi exposée au monde, contre lequel et par lequel simultanément elle doit s’affirmer. 2 (c’est moi qui souligne). André Pichot, spécialiste en histoire des sciences au CNRS, souligne, à sa manière, la singularité du phénomène vivant, en notant la disjonction évolutive physico-chimique de l’être vivant par rapport à son environnement et la tension sans cesse renouvelée qui en résulte : il se trouve, à sa naissance, jeté dans un monde où il est physiquement improbable et où il va devoir vivre . 3 Loin de pouvoir « se laisser vivre » sans soucis, l’être vivant aura pour tâche d’entretenir activement cette discontinuité native dont parle A. Pichot en affirmant, sous peine de périr, son « soi » face au « non-soi » que représente son milieu de vie. Mais ce « soi » n’est pas un être fixe et défini une fois pour toutes, il est une conquête de tous les instants. Comme l’écrit encore A. Pichot en se référant au philosophe Gilbert Simondon, il faut comprendre l’individu à partir de l’individuation, et non pas l’individuation à partir de l’individu . Montaigne, si sensible à la temporalité de nos existences, comme le sera plus tard Proust profondément marqué par la lecture des Essais , a exprimé à merveille notre condition d’êtres vivants quand il écrit : Nous n’avons aucune communication à l’estre, par ce que toute humaine condition est tousjours au milieu entre le naistre et le mourir… Car c’est chose mobile que le temps. 4 La question qui se pose est alors celle de savoir ce qui permet aux organismes d’affirmer la singularité de leur existence face à un environnement dont les lois de fonctionnement sont celles d’un monde inorganique. On sait que Darwin a répondu à cette question en considérant que vivre est essentiellement une lutte pour la vie ( struggle for life ). Le physicien Erwin Schrödinger, dans son livre intitulé Qu’est-ce que la vie ? (1944), a forgé quant à lui le concept de néguentropie pour caractériser les systèmes organiques. Il souligne que les êtres vivants, parce qu’ils sont ouverts sur l’environnement, ont la capacité d’assurer grâce à leurs activités l’écart dynamique qui les en disjoint en y prélevant énergie et information. Ainsi sont-ils à même de relever le défi existentiel qui est le leur.
Cette ouverture sur le monde environnant n’est rien moins qu’un phénomène passif, car les êtres vivants sont doués de mouvements spontanés et, de plus, orientés grâce aux organes sensoriels dont ils disposent. La physiologie classique, héritière du projet cartésien et dominée par la notion de réflexe, prônait une conception mécanique de la vie, de la sensation et du mouvement. 5 Mais, comme le note Georges Canguilhem, dans son passionnant livre, Le normal et le pathologique : les fonctions biologiques sont inintelligibles, telles que l’observation nous les délivre, si elles ne traduisent que les états d’une matière passive devant les changements du milieu. 6 Florence Burgat, docteur en philosophie, explore, depuis plusieurs années, les chemins ouverts par la phénoménologie pour penser la vie animale dans ce qu’elle a de singulier par rapport à l’inorganique : elle insiste, en particulier, sur l’existence du mouvement spontané chez les animaux lequel montre à l’évidence que leur comportement, loin d’être « causé » par les stimulus du milieu, selon la tradition behaviouriste, est l’expression au contraire d’un dynamisme interne aux organismes. Dans son livre, Une autre existence : la condition animale , elle se réfère à Hegel pour préciser sa pensée : Avec une profondeur inouïe, où se marque le passage de la « simple vie » à l’existence, Hegel décèle dans le mouvement spontané les conditions d’une nouvelle disposition affective . 7 Aristote avait déjà observé que la vie se mouvant elle-même, meut aussi le corps, en raison de ce qu’elle est entrelacée avec lui. La propriété fondamentale d’un être vivant était, à ses yeux, d’être constitué d’un corps matériel animé par le principe de vie. Il ne s’agit pas d’un dualisme ontologique car, comme il le souligne lui-même, un être vivant se distingue de la matière inorganique parce qu’il possède une propriété singulière qui est précisément le mouvement spontané : un organisme est une totalité dont on peut certes analyser les divers aspects fonctionnels, mais qui ne se réduit pas à la somme de nos analyses, aussi fines et riches qu’elles puissent être. C’est pour cela que l’on peut considérer Aristote comme un authentique penseur vitaliste, c’est-à-dire quelqu’un qui appréhende la vie en tant que phénomène singulier, qu’on peut certes connaître en le divisant , mais qu’on ne peut comprendre que dans une vision , comme l’a si bien écrit un jour Georges Canguilhem : Connaître, c’est analyser… Les formes vivantes étant des totalités dont le sens réside dans leur tendance à se réaliser comme telles au cours de leur confrontation avec le milieu, elles peuvent être saisies dans une vision, jamais dans une division. 8 Renaud Barbaras note, de son côté, que pour Aristote, l’âme, avant d’être et pour être capable de percevoir ou de connaître, était la forme d’un corps organisé, c’est-à-dire vivant. L’âme renvoie d’abord à l’être animé plutôt qu’à la connaissance : le connaître est pour Aristote une dimension du vivre. 9 C’est en retrouvant, en particulier, la posture « vitaliste » d’Aristote et en tournant le dos aux philosophies tant idéalistes que réalistes que Barbaras peut poser ce qu’il appelle la question décisive : que signifie percevoir dès lors que c’est le même qui se meut et qui perçoit, qu’il y a donc une unité originaire du sentir et du se mouvoir ? La réponse figure dans une note admirable de Merleau-Ponty : Le sensible est précisément ce medium où il peut y avoir de l’Être sans qu’il ait à être posé : l’apparence sensible du sensible, la persuasion silencieuse du sensible est le seul moyen pour l’Être de se manifester sans devenir positivité, sans cesser d’être ambigu et transcendant. 10 La vie est ainsi ce phénomène paradoxal , comme l’exprime si admirablement H. Jonas, qui a engendré des êtres singuliers, capables de se mouvoir par eux-mêmes, ce qui fait d’eux les sujets mêmes de leurs mouvements et de leur sensibilité. La conséquence la plus remarquable de cette intériorisation, von Uexküll la résume en un aphorisme lumineux : sans un sujet vivant le temps et l’espace n’existent pas. 11 Car, comme l’a si bien écrit Erwin Straus, un psychiatre d’origine allemande, mais qui s’était expatrié aux USA pour échapper aux nazis : Seul un être dont la structure offre à celui-ci la possibilité du mouvement peut être un être sentant . 12
Le concept de « monde » n’a donc de sens que pour un être vivant ; chaque espèce, compte tenu de sa structure organique, sa forme comme disait Aristote, a son monde propre défini par les mouvements et la sensibilité des individus. Nietzsche avait déjà clairement réglé, à sa manière, cette question : Que les choses puissent avoir une nature en soi, indépendamment de l’interprétation et de la subjectivité, c’est une hypothèse parfaitement oiseuse ; elle supposerait que l’interprétation et la subjectivité ne sont pas essentielles, qu’une chose détachée de toutes ses relations est encore une chose… Le monde est essentiellement un monde de relations ; vu de divers points de vue, il a autant de visages différents 13 (c’est moi qui souligne). Nietzsche, avec son talent pour la clarté excessive (dixit le philosophe allemand contemporain, Peter Sloterdijk) souligne ici l’un des aspects les plus remarquables de la vie, mais si souvent méconnu, voire nié, tant notre besoin de certitude objective est grand : que serait, en effet, le monde s’il n’y avait personne pour le percevoir ? Du non-être, une absence infinie… Jules Supervielle, dans son poème La demeure entourée ,