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pages
Français
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2009
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2009
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Publié par
Date de parution
09 avril 2009
Nombre de lectures
1
EAN13
9782738195180
Langue
Français
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Date de parution
09 avril 2009
Nombre de lectures
1
EAN13
9782738195180
Langue
Français
© ODILE JACOB, AVRIL 2009
15, RUE SOUFFLOT, 75005 PARIS
www.odilejacob.fr
EAN : 978-2-7381-9518-0
Le code de la propriété intellectuelle n'autorisant, aux termes de l'article L. 122-5 et 3 a, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou réproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4). Cette représentation ou reproduction donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Ce document numérique a été réalisé par Nord Compo
Introduction
« Il n’était ni croyant, ni athée, ce qui veut dire que le fanatisme était tout disponible en lui. »
J. L. B ORGES ,
La Dernière Balle.
Aujourd’hui, le fanatisme a tendance à s’étendre et à se radicaliser. Sous des formes diverses et renouvelées, il renaît de ses cendres, tel un phénix monstrueux exigeant sans cesse de nouvelles proies. Des groupes politiques les plus extrémistes aux mouvements religieux les plus intégristes, la violence devient la règle coutumière. Il n’est pas de semaine sans que le monde ne soit témoin d’un nouvel attentat, d’une nouvelle action terroriste, revendiqués au nom d’un idéal par des groupes armés connus ou inconnus. La liste des victimes s’allonge, le nombre de morts s’égrène au fil des jours dans une banalisation inquiétante.
Pourtant, derrière ces actes meurtriers, derrière ces violences, des hommes et des femmes militent pour des valeurs plus ou moins hautes, plus ou moins exprimées, mais qui mettent toujours en avant une certaine idée de l’humanité. Comment comprendre que des sujets qui croient en une cause en viennent insensiblement à passer à l’action destructrice et à bafouer ainsi dans le sang les idées qui les animent ?
Brosser le portrait du fanatique, c’est lui donner un visage, toucher la personne qui se cache derrière le masque, approcher les idées par les hommes qui les incarnent et leur donnent vie.
Dans certains cas, le fanatisme n’est qu’une folie passagère, mais, dans d’autres, il devient un mode de pensée et un mode d’action qui se systématise. Vivre en fanatique devient non seulement un moyen, mais aussi un but, une fin dernière.
Le fanatisme a des degrés et tous les fanatiques ne se ressemblent pas. Nous voulons éclairer ce phénomène et proposer des pistes d’analyse afin de mieux nous repérer dans cette nébuleuse contemporaine.
Cet ouvrage ne propose pas une réflexion théorique abstraite et distanciée sur les causes générales du problème. Il a pour objectif, au contraire, d’aller au plus près des auteurs de la violence fanatique pour saisir la dynamique psychique qui est la leur. Cette démarche clinique cherche sous les apparences, sous les déclarations et les engagements, les ressorts inconscients qui poussent les fanatiques à poser des actes définitifs dont ils sont peut-être les premières victimes.
Notre propos est, avant tout, de faire connaître ceux qui ont incarné les positions fanatiques en nous approchant au plus près de leur personne, pour les voir vivre, pour les suivre dans leurs pensées et les accompagner dans leurs actions. Leurs actes sont, au premier abord, tellement passionnels ou tellement odieux qu’on a tendance à les croire inhumains. C’est uniquement à leur contact direct, au plus près de leur vie, qu’on a une chance de les comprendre. L’identification au fanatique paraît parfois impossible, tellement l’abomination recouvre leurs agissements. Pourtant, c’est seulement dans ce rapproché qu’il est possible d’accéder à la logique de l’horreur.
Nous allons suivre au plus près quelques figures historiques pour tracer les portraits les plus significatifs du fanatique. Découvrir les ressorts psychiques qui poussent et guident ces personnages offre la possibilité d’appréhender de l’intérieur ce qui fait le fanatique.
Certes, il existe de nombreux facteurs sociaux et culturels qui déterminent l’agir du fanatique. Nous les évoquerons, sans pour autant nous y attarder. Ce sont les motifs conscients du sujet qui guident notre analyse ainsi que les mobiles inconscients qui sont à l’œuvre derrière leurs décisions et leur engagement excessif et définitif.
L’approche clinique a l’avantage d’être empirique et concrète. Elle observe, décrit avant de chercher à décrypter. Tous les fanatiques diffèrent les uns des autres, mais à force de les regarder agir se dégagent de grandes lignes susceptibles de définir des types particuliers et de repérer des modes de fonctionnement psychique communs.
*
Le fanatique est l’homme du sacré, mais pas n’importe quel homme, ni n’importe quel sacré. Il est celui qui se voue corps et âme à sa cause, jusqu’à l’excès, jusqu’à la plus folle passion. Et le sacré dont il est question est un sacré qui s’idéalise, qui s’absolutise au point de recouvrir même le champ censé lui échapper, le champ profane. Le fanatique ne fait plus de différence, il est devenu un être monolithique.
Le problème de l’excès du fanatique, ce sont les conséquences tragiques que ne manque pas de créer son comportement. Ce ne serait pas si grave au fond si de telles conséquences ne touchaient que lui, mais ses actes produisent des effets en chaîne qui sont immensément dévastateurs pour autrui. Nous allons avoir à repérer deux types de conséquences de l’emprise fanatique.
D’abord, nous constatons une inversion des valeurs qui caractérise la pensée du fanatique. Ce qui habituellement a le plus de prix pour chacun, comme la vie, devient vain et sans intérêt. Ce qui est essentiel et vital pour chacun se révèle n’être pour lui que faux-semblants et doit être foulé aux pieds. Par contre, la négativité prend du sens, sinon comme fin, du moins comme moyen. Il faut détruire pour que le renouveau puisse voir le jour. Sur les ruines du passé vont pousser les fleurs de l’idéal. La culture de la négation occupe la place centrale dans tous les domaines et sert de guide unique à l’action fanatique.
Cette première inversion se fonde sur une autre, plus radicale, dont les mécanismes sont avant tout inconscients : l’inversion pulsionnelle. Les pulsions de vie et les pulsions de mort ne sont plus liées, et les pulsions de mort prennent l’avantage. Il n’est pas de fanatique qui ne soit au service de Thanatos, que la destructivité soit tournée vers l’autre ou qu’elle soit tournée vers lui-même. Le fanatisme, au-delà de ses légitimations partielles ou ponctuelles, est avant tout un culte du sacrifice. Nous verrons, selon les cas, comment se décline un tel culte et quelles formes surprenantes il est capable de prendre, comme par exemple le meurtre par procuration et le suicide par délégation.
Si nous allons nous attacher aux grandes figures du fanatisme qui ont marqué l’histoire, nous n’abandonnons nullement l’idée de dégager la structure psychique qui fait le fanatique et le distingue de l’idéologue, de l’utopiste ou autre instigateur d’idéal.
Chaque sujet présenté et étudié incarne un type de fanatique et c’est ainsi que nous allons les reconnaître et les différencier.
L’ inspiré est le premier modèle du fanatique, celui qui représente la relation la plus archaïque à l’objet religieux. Il est tellement imprégné de la présence de son dieu, tellement soumis au feu sacré qu’il le manifeste dans des conduites spectaculaires. Pour montrer qu’il a été choisi et que le divin a pénétré en lui, l’inspiré va jusqu’à la mort symbolique et partielle. Nous en verrons quelques exemples à propos des cultes d’Isis, de Cybèle et de Bellone.
Le deuxième modèle que nous allons analyser est le modèle de l’ exalté qui conduit à la possession. Par le biais de la transe et d’adjuvants externes comme la musique ou les drogues, l’adepte sombre dans l’aveuglement complet et ne s’appartient plus. Il est instrumentalisé par un meneur. Le possédé est ainsi capable de passer à l’acte violent contre autrui. Et la mère est capable d’assassiner ses propres enfants, comme dans la pièce d’Euripide, Les Bacchantes , où Agavé, possédée par Dionysos, égorge son fils, croyant avoir affaire à un lion. Le dionysisme repose sur la mise en œuvre par le corps et dans le corps d’un délire sacré, avec l’aide d’une substance divinement investie : le vin.
Avec Pythagore, nous verrons apparaître un tout autre type de fanatique, non moins violent, mais plus insidieux : l’ initié . L’initié est un doctrinaire, un homme épris de raison mais qui se laisse peu à peu dévoyer par les travers de l’emprise sectaire. Sous couvert de recherches rationnelles, l’initié se laisse embrigader par un maître imbu de sa puissance, qui veut construire un mouvement destiné à pérenniser sa gloire. L’initié est programmé pour mener à bien cette tâche par tous les moyens dont il dispose.
L’ enragé , quant à lui, substitue l’engagement militaire à l’investissement doctrinal. Il est assujetti à un chef sans scrupule qui fait de lui son bras armé. Ce type de fanatique est illustré au mieux par les haschischins du « Vieux de la Montagne » dont l’influence s’est exercée dans tout le Proche-Orient médiéval.
À la période moderne, un nouveau type voit le jour avec le terroriste . Maximilien de Robespierre théorise la Terreur et en fait un mode d’action politique redoutable. La méthode ne cessera de faire des émules dans les siècles
suivants. Nous nous intéresserons également à un grand précurseur en la matière, Jérôme Savonarole, ainsi qu’à des successeurs aussi notables que Netchaïev le nihiliste, Ravachol l’anarchiste, et Andreas Baader à leur suite. Dans tous les cas, le terroriste se donne pour vocation de frapper d’effroi les esprits par des actions spectaculaires et sanglantes.
Le sacrifice de soi est un mode opératoire du fanatique qui dure depuis l’Antiquité mais qui revêt diverses formes selon les circonstances.