L’invention de l’Afrique des Grands Lacs Une histoire du XXe siècle , livre ebook

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Date de parution

01 janvier 2010

Nombre de lectures

3

EAN13

9782811104009

Langue

Français

Poids de l'ouvrage

3 Mo

Jean-Pierre Chrétien
L’invention de l’Afrique des Grands Lacs
e Une histoire duXXsiècle
KARTHALA
L’INVENTION DE L’AFRIQUE DES GRANDS LACS
Publié avec le concours du Centre national du Livre
KARTHALAsur Internet : http://www.karthala.com Paiement sécurisé
Couverture:: Découverte des explorateurs par les Africains Stanley et Livingstone observés par des Barundi sur les bords du lac Tanganyika en novembre 1871 (H.M. Stanley,Comment j’ai retrouvé Livingstone, trad., Paris, Hachette, 1874, p. 385.
©ÉDITIONSKARTHALA, 2010 ISBN : 978-2-8111-0400-9
Jean-Pierre Chrétien
L’invention de l’Afrique des Grands Lacs e Une histoire duXXsiècle
ÉditionsKARTHALA 22-24, boulevard Arago 75013 Paris
Introduction
L’Afrique des Grands Lacs, * réalité ou mirage géopolitique ?
Deux congrès internationaux, qui ont eu lieuàBujumbura en sep-tembre 1979 etàBukavu en novembre 1982, prirent pour intitulés de leurs programmes la production matérielle et culturelle des«peuples des Grands Lacs». Les publications géographiques ou anthropologiques comportant dans leur titre cette mention ne se comptent plus, surtout si on y joint l’adjectif«interlacustre»(un barbarisme que l’on cherche en vain dans le dictionnaire français de Robert), employépar les Belges sous la colonisation. Une«Communauté économique des pays des Grands Lacs»a fonctionnécahin caha depuis les années 1970. Cetétiquetage hydrographique d’une région d’Afrique a aussi un grand succès touris-tique : l’Afrique orientale tout entière est volontiers intitulée l’«Afrique des lacs». Les crises politiques de la région depuis les années 1990 ont enfin contribué àpopulariser cette dénomination dans les médias.
«Les Anglais disent :«East Africa».Afrique des Grands Lacsnous paraît mieux conveniràce cœur innombrable de l’Afrique orientale, oùl’on s’enfonce encore, comme Livingstone, Speke, Baker ou Stanley, délivrés de l’histoire et de la géographie.»
Cette affirmation initiale, caractéristique d’un ouvrage d’une collection 1 française de vulgarisation géo-culturelle, date de 1968 . En fait cette
*«?L’Afrique des Grands lacs existe-t-elle »,de-emRonTeuvsrei, t. XXVII, avril-juin 1986, n°106, p. 253-270. 1. J.MILLEY,Afrique des grands lacs(coll.«Petite planète»), Paris, 1968, p. 5.
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L’INVENTION DE L’AFRIQUE DES GRANDS LACS
expression géographique aétéforgée par l’histoire et désigne un complexe oùs’emmêlentétroitement réalités et fantasmes. Il faut reconnaître en effet que l’imagerie associée aux lacs et aux mondes«lacustres»ne répond guère aux paysages que l’on peut observer habituellement au Burundi, au Rwanda, en Ouganda, en Tanzanie ou au Zaïre oriental, sauf lorsqu’on a la chance de longer un lac, ce qui n’arrive ni tous les jours, niàtout le monde dans les parages. Les montagnes y représentent une réalitéphysique beaucoup plus marquante. Si l’on veut comprendre la prioritéqui a ainsiétéaccordéeàl’hydro-graphie, il faut se reporteràl’histoire de la pensée géographique du siècle dernier et, plus précisément ici,àce qui hantait les premiers voyageurs européens venus dans la région. Car il s’agit d’abord d’une image d’explorateurs. La quête des sources du Nil supposait aussi,àleurs yeux, l’identification des lacs dont l’existence avaitétérapportée depuis l’Antiquitépar le géographe alexandrin Ptolémée. Dès les années 1840, des«géographes en fauteuil»de Londres, Cooley et Macqueen, affir-mèrent l’existence d’un immense lac centrafricain qui aurait reliéNyassa, 2 Tanganyika et Victoria . Quand Burton revient de l’exploration qu’il a menée avec Speke en 1857-1858 de Zanzibar au lac Tanganyika, il en 3 publie le récit sous le titre :«The Lake region of central Africa».Dans les années 1870, 1880 et 1890, cet intitulédevient le clichépréféréde tout voyageur venu se hasarder sur les hautes terres de l’Afrique de l’Est. Grant décrit le cadre physique de«the Lake region of Equatorial Africa»; Thomson raconte son voyage vers les«Central African lakes»; Giraud a visité «les lacs de l’Afriqueéquatoriale»; Heudebert raconte l’expé-4 dition avortée de Revoil«vers les grands lacs de l’Afrique orientale». Puis on passe de l’aventure aux premiers«safari»: le duc Louis-Amédée de Savoie (de la famille royale italienne) fait l’ascension du Ruwenzori au début du siècle,«entre les grands lacséquatoriaux de l’Afrique cen-trale»;àla mêmeépoque un grand chasseur poursuit le gibier vers le mont 5 Elgon,«autour des grands lacs de l’Afrique centrale». Ce qui est plusétonnant, c’est le succès de cette dénomination dans lesœuvres ethnographiques. Les Allemands ont montrél’exemple au
2. W. D.COOLEY, “The geography of Nyassi, or the great lake of Southern Africa, investigated…”, Journal of the Royal Geographical Society of London,1845, XV, 2, p. 185-235 ;Id., “Ueber den Zusammenhang des Tanganika mit dem Nyassa-See,Petermanns Mitteilungen,1859, p. 482. 3. R. F.BURTON,Voyage aux grands lacs de l’Afrique orientale, trad., Paris, 1862. 4. J. A.GRANT, “Summary of observations on the geography, climate and natural history of the Lake region of Equatorial Africa,Journal of the royal geographical society of London,1872, XLII, p. 243-342 ; J.THOMSON,To the Central African Lakes and ack,Londres, 1881 ; V.GIRAUD,Les lacs de l’Afrique équatoriale,Paris, 1890 ; L.HEUDEBERT,G. Revoil. Vers les grands lacs de l’Afrique orientale, d’après les notes de l’explorateur,Paris, 1900. 5. L. A. diSAVOIA,Le Ruwenzori, trad., Paris, 1909 ; M. deBARY,Grand giier et terres inconnues autour des Grands Lacs de l’Afrique centrale. Le mont Elgon, Paris, 1910.
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e début duXXsiècle. Dès 1890 la revueDas Auslandprésente des hypothèses de Emin Pacha (alias Eduard Schnitzer) sur les populations du Bunyoro sous le titre de«ethnologie du lac Albert», ce qui laisserait 6 supposeràtort pour un lecteur non averti qu’on y parle de pêcheurs ! Par la suite c’est l’expression composéeZwischenseengebiet,«territoire d’entre les lacs», qui devient comme un leitmotiv. La région est censée 7 être caractérisée par le réseau de lacs qui l’entoure . Les titres des publi-cations anglaises de l’époque semblent moins obsédés par cette formu-lation. En revanche les Pères Blancs français, dont«la province des lacs» apparaît comme un modèle aux yeux de leurs confrères de Haute-Volta, se situent volontiers dans ce cadre aquatique pour baptiser la région : Julien Gorju, alors missionnaire en Uganda, intitule son premier livre 8 Entre le Victoria, l’Albert et l’Edouard .Mais c’est surtout dans les années 1960, plus récemment donc, avec les synthèses publiées par l’Institut africain international de Londres et celles du Musée de Tervuren, que la qualification d’«interlacustre»estérigée au rang de concept anthropologique. La collection«Ethnographic survey of Africa»de l’IAI publie trois ouvrages sous cette rubrique :Western lacustrine Bantu, 9 Eastern lacustrine Bantuet«zone interlacustre méridionale». En 1960 le livre collectiféditépar Audrey Richards consacre une contribution au «féodalisme dans les royaumes interlacustres»; en 1969 lesCahiers d’Etudes africainesde Paris livrent uneétude de J.-J. Maquet sur«les 10 relations de dépendance dans quatre cultures interlacustres». Le terme français«interlacustre»a finalement eu plus de succès que son homo-logue anglaisinterlacustrine.Encore aujourd’hui au Zaïre on parle volontiers,àpropos de l’Est du pays, d’une«aire culturelle interla-custre», alors que les lacs y sontàla frange orientale, doncàl’extérieur en fait de la zone considérée.
6. Dr.EMIN(Pascha),«Zur Ethnologie des Albert-Sees»,Das Ausland, avril 1890, n°14, p. 263. 7. A.VIX,«Beitrag zur Ethnologie des Zwischenseengebietes von Deutsch-Ostafrika»,Zeitschrift für Ethnologie,1911, XLIII, 3-4, p. 502-515 ; B.STRUCK,«Bemerkungenüber die«Mbandwa»des Zwischenseengebiets»,Zeitschrift für Ethnologie,; J.1911, XLIII, 3-4, p. 516-521 CZEKANOWSKI, Forschungen im Nil-Kongo-Zwischengebiet.T. I : Ethnographie. Zwischenseengeiet: Mpororo, Ruanda,Leipzig, 1917 ; A. M.BIERENZ,«Soziologisches aus dem Zwischenseengebiete Ost-Afrikas», Völkerkunde,1930, 4-6, p. 116-119. 8. Publié àRennes en 1920. 9. B. K.TAYLOR,The Western Lacustrine Bantu,Londres, 1962 ; M. C.FALLERS,The Eastern L.acustrine Bantu (Ganda, Soga),Londres, 1960 ; M.D’HERTEFELT, A. A.TROUWBORST, J. H.SCHERER,Les anciens royaumes de la Zone interlacustre méridionale. Rwanda, Burundi, Buha,Tervuren, 1962. 10. E. M.CHILVER,«Feudalism in the interlacustrine kingdoms»,inA.RICHARDS(ed.),East African chiefs,Londres, 1960, p. 378-393 ; J.-J.MAQUET,«Institutionnalisation féodale des relations de dépendance dans quatre cultures interlacustres (Ankole, Ruanda, Urundi, Uha)»,Cahiers d’Etudes africaines, 1969, 3, p. 402-424.
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L’INVENTION DE L’AFRIQUE DES GRANDS LACS
Prolèmes de définition
La délimitation de cette région géo-culturelle n’a pas l’évidence qu’on a bien voulu lui prêter en procédant généralement par exclusions. Ses protagonistes européens ont focalisél’attention sur des pays comme le Buganda ou le Rwanda,àla rigueur sur le Bunyoro, le Nkore, le Burundi ou certains petits royaumes du Nord-ouest de l’actuelle Tanzanie, les pays environnantsétant décrits allusivement comme des zones de barbarie, d’oùse serait détachéunétrangeîlot de haute civilisation. Dans notre ouvrage, explique Julien Gorju au début de son livre sur l’Ouganda, «il ne sera pas parlédes peuplades du Congo belgeni des peuplades situées sur la rive droite du Nil…»: les ténèbres des«peuplades»face aux lumières des«royaumes»,àla manière des Germains de Tacite hors de l’Empire romain ou des Slaves refoulés par le Saint-Empire germanique ! Or un des résultats les plus significatifs des rencontres internationales de 1979 et de 1982,évoquées au début, aétéprécisément de conduire àune relativisation de ce point de vue excessivement ethnocentriste et de montrer que des groupes habituellement exclus de l’espace«inter-lacustre»présentaient des aspects politiques, sociaux ou culturels très voisins et avaient d’ailleursétabli avec les gens des Grands Lacs des relations plusétroites et plus diversifiées qu’on ne l’avait laissécroire. L’ensemble des populations de la Tanzanie centrale, du sud du lac Victoria aux abords du lac Rukwa, regroupées aujourd’hui sous les vocables de Banyamwezi et de Bakimbu, partageaient des institutions politiques, sans doute plus morcelées que celles des royaumes situés sur leur frange occidentale, mais analogues dans beaucoup de leurs formes, 11 de leur symbolique et mê. Cette constatationme de leur vocabulaire conduisit d’ailleurs maints auteurs d’orientation diffusionnisteàdécréter que les«Bantous de l’est»avaient décalquéles institutions«supérieures» venues du Rwanda, du Buganda ou des Etats hinda riverains duVictoria. Enfin on a souvent sous-estimél’importance deséchanges commerciaux noués par les colporteurs banyamwezi avec leurs voisins de l’ouest et du nord-ouest jusqu’au lac Tanganyika etàla Kagera, avant la coloni-12 sation et même avant la pénétration des traitants zanzibarites .
11. A.ROBERTS, “The Nyamwezi,inA.ROBERTS(ed.),Tanzania efore 1900, Nairobi, 1968, p. 117-150 ; F.BOESCH,Les Banyamwezi,Münster, 1930 ; A.GOTTBERG,Unyamwesi. Quellensammlung und Geschichte,Berlin (Est), 1971 ; A.SHORTER,Chiefship in Western Tanzania. A political history of the Kimu,Oxford, 1972. 12. R.GRAYet D.BIRMINGHAM,Precolonial African trade. Essays on trade in Central and Eastern e Africa efore 1900, Londres, 1970 ; J.-P.CHRÉTIEN,«Le Buhaàla fin duXIXsiècle : un peuple, six royaumes»,Etudesd’histoire africaine,; Id.,Lubumbashi, 1975, VII, p. 9-38 «Le commerce du sel e de l’Uvinza auXIXsiède la cueillette au monopole capitalistecle : »,in Le sol, la parole et l’écrit. 2000 ans d’histoire africaine(Mélanges R. Mauny), Paris, 1981, p. 919-940.
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Au nord le rôle de groupes lwo dans la structuration du royaume e e du Bunyoro entreXVetXVIIIsiècles est mieux connu, malgrélesécha-faudages d’hypothèses raciales auxquels il a donnélieu depuis plus d’un siècle (le fait lwo ayantétéinitialement exploitépour soutenir 13 l’hypothèse«hamitique») . Àl’ouest enfin, l’institution socio-religieuse dubwami, connue encore 14 aujourd’hui de façon trop superficielle , et qui marque profondément la culture des Babembe et des Barega, ouvre de nouveaux horizons sur l’institution royale dumwamitelle qu’elle fonctionnait au Rwanda, au Burundi, au Buha ou au Bushi. On a pu montrerégalement que le culte de Kiranga, la forme burundaise dukubandwa,renvoyaitàcertains 15 éléments religieux de la forêt zaïroise . Sans oublier les liens commer-ciaux, par exemple la diffusion de bracelets de raphia au Rwanda par 16 des colporteurs venus du Butembo . La«civilisation des Grands Lacs»présente donc un dégradéde situations intermédiairesàsa périphérie. Sur le plan géographique elle s’inscrit dans un espace de hautes terres de 1000à2000m d’altitude, délimitéessentiellement par la pluviométrie et la végétation, c’est-à-dire isoléplus ou moins rigoureusement du reste du continent par la grande forêtéquatoriale du bassin du Zaïreàl’ouest, par les steppes de la Rift Valleyàl’est, prolongées vers le sud-est par les abords desséchés du lac Rukwa, enfin par les steppesà épineux des abords du lac Turkana (ex-Rodolphe) et par les grands marais du Haut-Nil (Bahr-el-Ghazal) vers le nord. Dans cette vaste zone on trouve effectivement les lacs Victoria (ex-Nyanza), Luta Nzige (devenu Albert, puis Mobutu du temps du Zaïre), Rweru (momentanémentétiquetéIdi Amin après avoirétébaptisé Edouard), Kivu et Tanganyika, correspondantàdes zones de fractures (le Rift occidental),àdes barrières volcaniques (les Virunga) ouàdes dépressions tectoniques. Mais ce cadre physique lacustre n’a semble-t-il jouéun rôle que durant les derniers millénaires de l’âge de la pierre avec ce qu’un archéologue anglais a appeléla«civilisation aquatique 17 e er de l’Afrique moyenne»qui, duVIIIauImillénaire avant notreère,
13. J. B.WEBSTERet R.HERRING, “Labongo,Kenya Historical Review;, 1975, III, 1, p. 97-107 J. B.WEBSTERet J. M.ONYANGO-KU-ODONGO,The central Lwo during the Aconya, Londres, 1976. 14. Voir D.BIEBUYCK,Lega culture, Los Angeles, 1973. Les interprétations récentes qui font de cette structure religieuse uneécole de morale sociale ou une« église sansévêques»ne sont que des réductions ethnocentristes et anachroniques qui n’apportent rien. 15. P.SMITH,«Personnages de légende»s, in C. C. B.,La civilisation ancienne des peupler des Grands Lacs, Paris, 1981, p. 244-253. 16. D.NEWBURY, “Lake Kivu regional trade in the nineteenth century,Journal des africanistes, 1980, 2, p. 6-30. 17. J. E. G.SUTTON, “The aquatic civilization of Middle Africa,Journal of African History, 1974, p. 527-546.
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