Lettre aux mamans , livre ebook

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« Si toute la littérature chrétienne regorge d’écrits de religieuses qui ont narré comment elles trouvaient Dieu au cloître, même en ramassant une épingle, il est bien moins souvent raconté comment on le rencontre en mettant des enfants au monde, en les élevant et les chérissant. »

C’est le défi que relève Bénédicte Delelis dans ce texte personnel, émouvant et drôle. Elle propose aux mamans de reconnaître ce qui se joue profondément dans leur maternité, même aux instants les plus banals : une expérience de Dieu, une école particulière de foi, d’espérance et d’amour.

Cette lettre fera du bien à toutes les mamans. Chacune pourra y puiser force et lumière, y découvrir un sens nouveau à son quotidien.


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Date de parution

03 juillet 2023

Nombre de lectures

0

EAN13

9782728935475

Langue

Français

Bénédicte Delelis
­­À Maman † , merci.
I l faisait froid, te souviens-tu ? Les mimosas étaient venus, rieurs, narguant ­l’hiver et le gris morose qu’on avait déjà bien assez vus, mais en vain : ils ­n’avaient pas réussi à faire éclore le printemps. Derrière nous, le vent ­­s’engouffrait dans la ruelle, menaçant de nous faire subir un sort semblable à celui de la pauvre Mary Poppins qui, pour un oui ou pour un non, se trouve contrainte à voltiger en ­l’air avec son parapluie à bec de perroquet. ­J’observais, médusée, les femmes dont le brushing reste impeccable au milieu des bourrasques : jamais en retard à la sortie des classes, qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, rouge à lèvres carmin parfait sous leurs masques – on ne saurait en douter – et un gâteau au chocolat maison, bio même, certainement, tout prêt pour leurs délicieux marmots dans ­l’élégante boîte à arabesques grises et bleues.
C’est alors que je t’aperçus, tes abricots à la main. Ces abricots, au milieu du mois de mai qui ­n’en finissait pas ­d’être ennuyeux et glacé tel ­l’assommant février, brillaient comme une promesse. Les classes défilaient. Chaque maman récupérait son précieux bambin comme après une longue absence dans une effrayante bousculade. Il y avait des larmes à essuyer, déjà, des cartables trop lourds à porter, des baisers à donner sur les joues rondes, de graves récits de billes égarées, de poésies superbement récitées, de dictées ratées hélas, et pourtant comme nous ­l’avions répétée, la leçon des n qui se métamorphosent en m sauf dans bonbonnière qui, elle, on ne sait pourquoi, a le droit malicieusement de ­n’en faire qu’à sa tête…
Ta phrase, lancée dans ce tourbillon ­d’enfants et de poussettes, dans ­l’atmosphère des tendres retrouvailles du soir après la longue journée à tâcher de se tenir sage, me marqua profondément : « Personne ne m’avait dit, me confias-tu, que c’était si difficile ­d’être mère. »
Toutes les mamans ont leurs peines, plus ou moins lourdes, certes. Mais nulle ne traverse le chemin de la maternité sans connaître – au milieu des vibrantes joies – inquiétudes, fatigues immenses et vastes chagrins. Et ­l’on devine, derrière tes yeux aux couleurs des étangs les soirs dorés, combien de bravoure il a fallu, combien il en faudra encore…
­J’avais justement visité, peu de temps auparavant, une autre femme, qui souffrait ­d’un cancer en phase terminale et qui devait laisser derrière elle des enfants encore bien petits. Cette femme dans sa jeunesse avait été novice au Carmel. Alors qu’elle était heureuse chez la grande et la petite Thérèse, tout occupée à suivre le Christ et à ­l’aimer, les religieuses avaient discerné que ce ­n’était pas sa vocation. Ce fut difficile. Elle dut repartir dans le monde, et certainement, tel Claudel qui connut autrefois un semblable chagrin ­d’amour avec le bon Dieu, ­s’est-elle sentie alors délaissée ou repoussée par Celui à qui elle avait voulu, de toutes ses forces, ­s’offrir.
Dieu dessinait pour elle une autre histoire, encore difficilement lisible au cœur des étonnants mystères douloureux de la maladie où je la voyais. Certainement, cette histoire prendrait son sens avec le temps, dévoilant peu à peu ses fruits, comme cela arrive toujours pour les saints, grands ou petits, connus ou inconnus. La jeune femme sortie du Carmel se maria, fut heureuse, et eut des enfants dans ­l’allégresse de son amour. C’est alors que tonna le cancer comme un brusque orage dans le ciel bleu ­d’un tout début ­d’après-midi, surprenant ceux qui croyaient encore au bonheur, faisant virer le monde violemment au gris, déchiré quelquefois des arcs-en-ciel brefs de ­l’espoir, puis au noir, et hélas, au blême silence de la mort.
Sur son lit, les derniers jours, elle était toujours belle. Le Carmel demeurait comme un point ­d’interrogation dans son existence. Peut-être était-ce là, disait-elle, qu’elle avait eu ­l’impression de suivre Jésus de plus près. Ensuite, dans la joie de son mariage, dans le don de la maternité, dans le quotidien des bouillies et des rires enfantins, elle avait moins découvert, m’expliquait-elle, comment apercevoir le visage de Celui qui ­n’avait jamais cessé de ­l’appeler.
Sans doute pourrait-on penser un peu hâtivement : cette jeune personne devait avoir une vocation religieuse et ­l’avait tout simplement manquée. Il me semble que ­l’on ­s’égarerait pourtant avec une telle affirmation. Car Dieu ­n’écrit pas des histoires imaginaires mais des histoires vraies, avec le réel dont il se sert assurément. Le vote des carmélites était clair. Et Dieu parle à travers les votes, les conclaves, les nominations, les naissances, les amours, les choix des hommes, bien que toujours mêlés, il est vrai, de bon grain et ­d’ivraie. La Bible tout entière raconte cela : Dieu agit à travers ­l’histoire de ­l’humanité, même si celle-ci est traversée de fautes ou ­d’échecs. Il est capable de tirer, ­d’un mal même, un plus grand bien.
Cette jeune femme avait certes souhaité être religieuse mais la Providence en avait décidé autrement et elle était devenue épouse et mère. Sa vocation était donc cela : le mariage et la maternité. Dieu ­s’était engagé. Le mariage signe ­l’amour des époux par le sang de la Croix. Alors, pourquoi avait-elle cru davantage saisir le visage si cher du Christ au sein de son couvent autrefois ? La réponse lui appartient. Et nul ­n’a le droit ­d’en donner une à sa place. Cependant, il me semble que, si toute la littérature chrétienne regorge ­d’écrits de religieuses qui ont narré comment elles trouvaient Dieu au cloître, même en ramassant une épingle, il est bien moins souvent raconté comment on le rencontre en mettant des enfants au monde, en les élevant et les chérissant. Cela signifie-t-il qu’il est absent de ces mystères de la vie ordinaire, absent des mystères de sa création qui se poursuit, absent des mystères de la vie ? Certes non. Si ­l’on croit au sacrement de mariage, on affirme que Dieu se lie avec ­l’amour des époux, que les eaux plates de ­l’amour humain deviennent, par le consentement mutuel devant ­l’Église, ­l’enivrant vin de ­l’amour même du Christ. Le mariage est un sacrement, un signe visible et efficace de la présence de Dieu et de sa grâce ; la maternité et la paternité sont ­l’œuvre du Créateur qui se poursuit. Ils sont une histoire sainte où Dieu se donne, se rend présent et visible, où il agit, guérit et sauve.
Dans cette cour ­d’école, ce jour-là, à ­l’heure où le soir se prépare doucement à strier le ciel de pourpre et de rose, j’entendis tes mots qui m’atteignirent au cœur : « Personne ne m’avait dit que c’était si difficile… » Je repensais au sourire de lumière et de cire de cette jeune femme et à sa quête inachevée. On ne nous dit pas assez, à nous, les mamans, comment le visage de Dieu se découvre de manière particulière dans la maternité, ce que ­l’on saisit de lui, fugitivement peut-être, mais réellement, lorsqu’un enfant survient en nous, surprise étonnante de sa grâce. Je crois que la grâce du baptême se déploie de manière spécifique dans la maternité ; la maternité est une expérience intime de Dieu, une école pour croire, aimer et espérer.
­J’aurais voulu évoquer cela à mon amie malade, si belle encore sur son lit immaculé. Je ­n’ai pas eu le temps. Dieu, nous ­n’avons pas encore compris pourquoi, ­l’appelait sans délai. La louange éternelle du Ciel était sa vocation ultime, et nul ne lui laissait, ô mystère, le temps ­d’achever sa tâche. Avec elle, vivante et proche dans la communion des saints, je continue de chercher le visage de Dieu dans la vocation qui est la nôtre et qui fut la sienne : la maternité. Oui, personne ne nous avait dit combien il était difficile de mettre des enfants au monde, de se laisser user et vider par eux, de leur permettre de croître et de ­s’envoler, de souffrir de leurs douleurs, de veiller leurs maladies, de leur transmettre la foi, de ­s’angoisser pour eux quelquefois, impuissantes… Nous ignorions aussi cette profonde allégresse de leurs petits visages splendides, et ­l’âpre joie du sacrifice. C’est au cœur de cette vie-là que nous trouvons Dieu, ou plutôt qu’il nous trouve.
1
La maternité comme expérience de Dieu
Au commencement… Dieu, et un oui
Oh ! quelle surprise ce fut… « Un autre a surgi en moi. » Et survient ce moment, très étrange, au souffle comme suspendu, où ­l’on se demande : « Y a-t-il là un enfant qui commence à lentement se tisser ? » Il y a ce moment où personne ne sait, pas même la mère qui se doute simplement ou ­s’interroge confusément. À cet instant, qui ­s’étire avec son visage de mystère, chargé de sentiments contradictoires, ­d’anxiété ou de fol espoir, Dieu seul sait.
Et nous, nous sommes le témoin muet de ce qui se trame entre Dieu et cette créature que, peut-être, il ­s’est mis patiemment à façonner, au-dedans de nous. Existe déjà entre Dieu et ce petit être une histoire devant laquelle, comme mère, nous nous effaçons : une histoire qui nous échappe, que nous contemplons dans cette sage ignorance que nous en avons encore, et que nous abandonnons à Dieu.
Au commencement est la solitude de cet enfant avec Dieu. Et ­l’on requiert notre oui. Quelquefois, nous avons tellement hâte de le donner, ce oui, nous ­l’espérons tellement, ce bébé, que nous peinons à retenir notre acquiescement et à attendre la certitude. Le cœur battant de joie, nous avons ­l’air ­d’écouter et de parler, de marcher dans la rue, de participer à une réunion ou de faire cuire un œuf, mais en réalité nous ne faisons rien de tout cela. Nous attendons. Tout notre être attend et compte les jours et les semaines, et naîtra-t-il à la fin de ­l’été ou en septembre à ­l’heure des fruits, et si c’était une petite fille ?… Et une semaine en paraît huit, infiniment longues de notre impatience heureuse.
Mais pour ­d’autres, c’est un peu comme le pauvre Simon de Cyrène fort occupé à ses travaux et si chargé déjà. Et la journée devait être rude, et il avait mal dormi, qui sait, il souffrait peut-être du dos ou des jambes ou de

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